Chevron-Texaco en Équateur ou le "Tchernobyl de l’Amazonie"

Le spectre de la multinationale Chevron-Texaco plane encore aujourd’hui sur la forêt amazonienne. La faune, la flore et ses habitants se souviennent de cette exploitation pétrolière aux dommages irréversibles. Aujourd'hui encore, en Amérique latine, des citoyens, médias et experts qualifient ce désastre de "Tchernobyl de l’Amazonie".

Alors que la justice équatorienne avait condamné l'entreprise à verser une amende de 9,5 milliards de dollars en 2013, le géant pétrolier a décidé de faire appel à un tribunal commercial privé à La Haye.

Le 7 septembre 2018, les trois arbitres ont annulé la condamnation de la justice équatorienne. Une condamnation qui avait résulté d'un procès long et coûteux pour les victimes, qui a duré plus de vingt ans.

Pour la série "Il était une fois", LaLibre.be revient sur ce désastre écologique qui a coûté la vie à de nombreux Équatoriens et endommagé l’un des plus grands habitats de la biodiversité.

L'histoire commence dans les années 1960, lorsque le gouvernement équatorien signe un contrat avec le géant pétrolier Texaco (à l'époque, pas encore jumelé avec Chevron) et lui permet d’extraire des millions de barils de pétrole.

Cette extraction génère d’énormes bénéfices pour l’entreprise au détriment de l’environnement et des habitants de la région.

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La forêt amazonienne en quelques mots

Elle s’étend sur 7,3 millions de km². Elle est située essentiellement au Brésil mais aussi en Équateur, en Colombie, au Venezuela ou encore au Pérou.

Il s'agit de l’un des plus importants réservoirs de biodiversité de la planète et représente la moitié des forêts tropicales du monde.

En Équateur seulement, la forêt amazonienne compte environ 10% des espèces de plantes du monde entier et héberge 1.618 espèces d’oiseaux. Cela signifie qu'environ 18% des espèces d'oiseaux de la Terre trouvent refuge dans l'Amazonie.

Véritable laboratoire de biodiversité, cette forêt abrite des espèces uniques, qui n'existent à nul autre endroit.

"La pollution, dans les zones exploitées, était jusqu'à 1000 fois supérieure aux normes environnementales"

(Experts mandatés par la Cour de Lago Agrio)

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L'entreprise Chevron-Texaco a reconnu que, durant les presque 30 ans pendant lesquels elle a opéré dans l’Amazonie équatorienne, elle a foré 339 puits sur 4.300 km² de terres.

Elle a versé quelque 64 millions de litres de pétrole dans l’écosystème, 70 milliards de litres d’eaux toxiques dans les fleuves et les sols et elle a envoyé dans l’atmosphère plus de 6 milliards de mètres cubes de gaz.

L'exploitation pétrolière a contraint les peuples autochtones à se replier sur des terrains de plus en plus restreints. Alors qu'ils représentaient 63% de la population en 1950, les Indigènes sont réduits à 28% quarante ans plus tard.

Eaux, sols et sous-sols sont contaminés par des boues toxiques de pétrole déversées directement dans la nature. Peu à peu, les cancers se développent et touchent la population indigène de l’Équateur.

"Petit, j'allais très souvent dans la forêt amazonienne.
Aujourd'hui, il y a des animaux que je n'ai plus vus depuis mes dix ans. L'espèce a probablement disparu ..."

Angel, habitant de la province d'Orellana (Nord-Est de l'Équateur)

Angel a dix ans lorsque les premiers barils de pétrole sont extraits de la province de Sucumbios et Orellana. Aujourd'hui, il cultive le cacao dans son "hacienda" et veille sur le bien-être de la nature qui l'entoure.

Les camions transportant les barils, les flaques noires sur le sol et les taches denses sur les fleuves... Les souvenirs sont intacts. Mais les souvenirs seulement.

"Je m'en souviens comme si c'était hier. Ils ont réalisé ces opérations pétrolières de manière totalement irresponsable. La Pachamama (Terre mère) a été détruite d'une manière ahurissante en quelques années seulement", explique-t-il. "Tout ça sans jamais indemniser les victimes."

"Les gens mourraient petit à petit. Ils sont morts de maladies directement liées à la pollution. Le docteur ne pouvait pas les soigner, il pouvait juste essayer de soulager les douleurs."

Les gens se lavent avec l'eau des fleuves, ils pêchent dedans, ils cuisinent et s'hydratent avec.

ce moment-là on ne savait pas que les puits étaient nocifs et contaminaient l'eau. On l'utilisait en toute insouciance, sans se douter du danger".

Les répercussions de cette exploitation pétrolière ne se limitent pas aux habitants de la région mais affectent les cultures agricoles. Un drame pour ce pays producteur de café, banane et cacao.

"Mon père m'a raconté que le café ne poussait plus, les plants mourraient, on ne savait rien en faire. Le sol était bien trop pollué."

Le bétail est lui aussi touché. "On a mis du temps avant de comprendre. Nos bêtes maigrissaient très rapidement. Elles étaient chaque jour de plus en plus mal... Plus tard, on a compris que c'était à cause de l'eau qu'elles buvaient, comme nous, comme les voisins, comme tous les autres ..."

"C'est David contre Goliath, l'Équateur contre la multinationale,
l'environnement contre le business.
Mais cette fois-ci, David a perdu"

Le 7 septembre 2018, trois arbitres privés, basés à La Haye, ont annulé un jugement émanant de la justice équatorienne. Celle-ci condamnait Chevron-Texaco à payer 9,5 milliards de dollars (8 milliards d'euros) de dédommagement pour les dégâts environnementaux causés par l’exploitation pétrolière dans la région Amazonienne de l’Équateur. Mais la société a toujours estimé que le verdict n'était ni légitime ni exécutoire.

Le géant pétrolier a même affirmé que cette sentence était le fruit de "la fraude et de la corruption". La compagnie a intenté de nombreux recours devant les tribunaux américains – qui lui donnaient raison – et équatoriens – qui lui donnaient tort.

"Selon eux, Chevron s’est libéré de toute mise en cause par la signature d’un accord de compensation très partiel, signé avec le gouvernement de l’époque. Cependant, cet accord ne déchargeait pas la compagnie de sa responsabilité envers les tierces personnes", explique l'avocat des 30.000 victimes, Julio Prieto.

"Los afectados" est le nom du groupe constitué, en 1993, par ces 30.000 personnes touchées par ce désastre écologique. Face à la Cour d'arbitrage, elles n'ont pas pu se constituer partie civile, seul l'État équatorien était concerné.

"Ce jugement est terrible pour les victimes. Après avoir gagné le procès dans leur pays, elles se retrouvent sans défense face à l'arbitrage international", ajoute Julio Prieto. "Malgré cela, les personnes que je défends ont fait voeu de continuer à se battre tant que le territoire n'est pas assaini."

Le scandale environnemental ne réside pas dans l'activité pétrolière à proprement parler, mais "c'est la manière qui pose problème. Chevron a construit des fosses sans matériel isolant pour le sol", réagit l'avocat. "Des piscines de déchets à ciel ouvert étaient utilisées pour déverser le pétrole et les eaux toxiques. Ce sont des choses qui ne seraient jamais restées impunies dans un pays de l'hémisphère Nord".

Encore aujourd'hui, ces toxines continuent d'infiltrer le sol. Certaines parcelles ne pourront probablement jamais être récupérées.

"Non seulement, aucune précaution n'a été prise pour protéger l'environnement mais en plus la compagnie revendique avoir nettoyé la zone", s'indigne l'une des victimes.

Ce nettoyage a consisté à couvrir les piscines de déchets avec de la terre et du ciment, ce qui n'empêche pas le pétrole de continuer à s'infiltrer dans le sol, ce qui affecte plantes, animaux et habitants.

En plus des conséquences sanitaires, l'impact économique qu'ont dû supporter les paysans, restés avec des terres infertiles, doit être pris en compte. Deux arguments balayés par l'arbitrage international au nom du traité bilatéral de protection des investissements avec les États-Unis, signé en 1995, trois ans après que Chevron-Texaco ait quitté l'Équateur.

Cette histoire, aussi complexe qu'inquiétante, illustre la problématique de la responsabilité sociale qu'ont les multinationales. Elle met ainsi en évidence le rôle controversé de l’arbitrage international et des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États.