10 préjugés sur l'économie passés au crible avant les élections

1. Les riches ne paient pas assez d'impôts

Le patrimoine et ses revenus sont surtout mal taxés

La taxation du capital, et plus largement celle du patrimoine, fait débat et les idées reçues à ce sujet sont contradictoires. De nombreuses voix s’élèvent pour dire que "les riches ne payent pas assez d’impôts" et que le capital n’est pas suffisamment taxé par rapport au travail. Mais d’autres réactions se font entendre pour s’insurger contre une taxation trop forte du capital et surtout de ses revenus. Avec l’instauration du tax shift en Belgique, dès 2014-2015, les taux d’imposition sur le capital, et plus particulièrement sur les actifs mobiliers, ont sensiblement augmenté.

Dans ce domaine, les économistes constatent que le patrimoine et ses revenus sont surtout mal taxés et que des distorsions existent dans la taxation des revenus du patrimoine selon leur provenance : immobilière ou mobilière. Si l’on regarde les statistiques, on constate qu’en matière de taxation du patrimoine et sur base des chiffres de 2016, la Belgique est dans le peloton de tête. Il n’y a donc pas vraiment de marge pour une augmentation de cette taxation mais la manière de taxer le patrimoine pourrait être grandement améliorée tant du point de vue de l’équité que de l’efficacité.

Ils préconisent alors de revoir la taxation immobilière dans tous ces aspects : l’achat (réduire les droits d’enregistrement et en élargir la portabilité) et les revenus (en taxant les revenus réels). En ce qui concerne la taxation des biens mobiliers, ils estiment que les revenus du capital (dividendes et intérêts) sont suffisamment taxés (si on les mesure en termes réels) mais qu’il faudrait envisager une taxation intelligente des plus-values. Ils insistent également sur la nécessaire abolition des régimes de faveur appliqués à certains produits d’épargne (comme le livret d’épargne, par exemple). Et que faut-il penser d’une taxe sur la fortune, du type ISF en France, aussi qualifiée de taxe sur les millionnaires ? Si la taxation sur les plus-values est mise en place et fonctionne de façon efficace, il ne serait plus nécessaire de taxer le capital ou la fortune.

Les économistes invitent également à une réflexion plus large sur la taxation du patrimoine, de ses revenus et de sa transmission. Un bon système de taxation sur les plus-values nettes réalisées pourrait aboutir à une meilleure répartition des richesses qui permettrait d’envisager simultanément une baisse les droits de succession. Et ils insistent, une fois de plus, sur la nécessité d’une taxation globale des revenus.

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2. Cet étranger qui prend mon emploi

À bien des égards, les idées sur l’immigration sont fausses. Il faut mieux l’organiser.

L’immigration produit de nombreuses idées reçues. Il n’est souvent pas fait de différence entre réfugié, immigré, migrant et clandestin. La souveraineté et l’identité des pays paraissent en danger face à l’afflux des immigrés. Des études convergent cependant pour établir que l’incidence de l’immigration sur l’emploi, le chômage et les salaires des locaux est limitée et qu’elle est bonne pour le PIB et la démographie. Les économistes prônent alors de sortir des amalgames en définissant une procédure d’accueil qui soit conforme à la Déclaration des Droits de l’homme pour les réfugiés politiques et de définir une politique d’immigration légale active, et ses objectifs. Il faudrait aussi mettre à la disposition des services d’immigration concernés du personnel suffisant veillant à la mise en place d’une immigration organisée.

Dans une deuxième étape, il conviendrait d’assurer une meilleure insertion socioprofessionnelle des immigrés. Ce manque d’insertion (ou d’intégration) est indéniable en Belgique. Il est déjà visible entre différentes classes sociales parmi les natifs, et devient flagrant quand on compare les populations d’origine immigrées avec les natifs. En matière de performances d’éducation ou d’insertion professionnelle, la Belgique fait partie des (très) mauvais élèves européens. Il paraît donc urgent de mettre en place des parcours d’insertion de qualité tant pour les immigrés que pour les réfugiés politiques. Ces parcours devraient s’accompagner d’une plus grande responsabilisation des employeurs, par exemple, au travers de campagnes de sensibilisation pour les employeurs (style CV sans référence culturelle ou quota), pour les propriétaires bailleurs, pour les migrants (langue, connaissance de l’histoire du pays d’accueil…). Un agencement des espaces de vie en vue de favoriser une bonne insertion socioprofessionnelle est également préconisé.

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3. La pauvreté ne cesse d'augmenter

Plaidoyer pour une information objective et des mesures en faveur des plus démunis

Parmi les idées reçues, celle que la pauvreté augmente est bien ancrée dans les esprits. Or, la proportion de la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté a presque diminué de moitié au cours des deux dernières décennies. Il existe donc un écart important entre la pauvreté mesurée et la pauvreté subjective ou ressentie.

En Belgique, le taux de pauvreté subjective (perçue) a augmenté brusquement en 2008 (il est passé de 15,3 à 21,6 %). La pauvreté mesurée a, par contre, progressé moins et plus lentement, pour passer de 15,2 % en 2007 à 15,9 % en 2017.

Après avoir présenté une série de données chiffrées objectives sur la pauvreté, les inégalités et la concentration des richesses, les économistes voudraient remédier à cette mauvaise perception de la pauvreté. En vue de favoriser la transmission d’une information objective sur ces critères, un appel est lancé aux leaders d’opinion que sont journalistes, syndicats, hommes et femmes politiques pour la diffusion d’une information claire et de qualité concernant la pauvreté et les inégalités. L’idée de la création d’un Observatoire de la pauvreté plus indépendant et mieux financé est aussi avancée. Les économistes épinglent également que, dans une société dont on regrette le consumérisme mais où tous revendiquent le droit aux biens et services disponibles, le vouloir d’achat semble se confronter toujours davantage au pouvoir d’achat. Dans ce cadre, la proposition d’un renforcement des normes éthiques régissant la publicité est avancée.

La perception concernant la pauvreté et les inégalités est souvent liée à d’autres facteurs plus généraux qui sont attachés à un mal-être plus global ou parfois ciblés sur le travail. L’accent est alors mis sur la nécessité de renforcer les mesures de protection des travailleurs sur leur lieu de travail, d’augmenter les allocations de chômage durant les premiers mois suite à une perte d’emploi ainsi que d’améliorer la structure de l’organisation des entreprises. Les économistes insistent également sur la nécessité de déployer une formation continue de qualité et sur la révision du panier de consommation qui suivrait les besoins spécifiques des plus démunis (proposition déjà énoncée lors des travaux de ce groupe en 2016). Un appel est aussi lancé en vue d’amener les filets de sécurité au moins au-dessus du seuil de pauvreté pour les plus démunis et de renforcer les mécanismes d’assurance autonomie des personnes âgées sur le même schéma que celui de l’assurance-santé.

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4. La globalisation détruit nos emplois

La globalisation n'a pas que des effets néfastes mais elle doit être mieux gérée

Certains chantent les louanges d’un commerce international plus étendu là où d’autres y voient une source de danger pour leur emploi ou leur mode de vie. Mais les arguments développés par les protectionnistes semblent oublier que personne n’est contraint à un échange commercial : celui-ci est volontaire. Le consommateur européen, s’il achète un produit d’importation, exprime en fait sa préférence pour ce produit venant de l’étranger. De l’autre côté de la frontière, le travailleur a trouvé un intérêt à prendre un emploi dans le secteur d’exportation. Cependant, penser que l’ouverture des frontières a un effet significativement positif sur l’ensemble de l’économie, semble faux car il faut s’assurer que ses bénéfices soient partagés par tous.
Les économistes réconcilient alors ces deux tendances en proposant une meilleure gestion de la globalisation, en démocratisant et rendant plus transparents la procédure et les débats entourant la signature d’accords commerciaux complémentaires. Ces traités de libre-échange devraient veiller à intégrer davantage les intérêts stratégiques nationaux. Les économistes encouragent l’application d’une forme de taxe à la frontière sur les biens ou services importés et produits dans des situations qui ne respecteraient pas certaines conditions environnementales ou sociales. Il conviendrait aussi de mettre en place une structure supranationale qui réglerait les litiges commerciaux internationaux entre entreprises, tout en maintenant la capacité des autorités publiques à changer les règles, sans devoir indemniser les parties lésées par le changement.

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5. Quand les allocations de chômage dépassent le salaire

Il y aurait des mesures à prendre pour diminuer les pièges à l'emploi

Beaucoup d’idées reçues circulent concernant l’emploi et plus particulièrement les chômeurs et les pièges à l’emploi. Souvent, la différence entre les allocations sociales et le salaire perçu est tellement faible que la question est posée : vaut-il mieux travailler ou chômer ?
Pour aider les personnes les plus démunies à réintégrer le monde du travail sans perte de revenus, les économistes préconisent une idée qui a déjà été pratiquée à l’étranger : instaurer, dans certains cas, un précompte professionnel négatif qui permettrait que le salaire net de l’employé soit supérieur à son salaire brut. La mise en place de l’individualisation des droits sociaux est aussi préconisée de façon à ce que les droits soient attachés à la personne, quelle que soit sa situation familiale.
Plutôt que d’envisager la dégressivité pure et simple des allocations de chômage, une adaptation de ces allocations en trois phases est proposée. Dans une première phase, dite assurancielle, l’allocataire social recevrait une allocation de perte d’emploi dont le montant devrait être revu à la hausse par rapport aux montants actuels. Ensuite, dans un deuxième temps, si la personne n’a pas retrouvé d’emploi durant cette période, un accompagnement actif et personnalisé lui est soumis pour l’aider à retrouver un emploi ou pour se former. C’est la phase contractuelle avec un revenu de remplacement moins élevé. Dans une troisième étape, est proposée une phase de soutien assortie d’un revenu d’insertion sociale plus faible sans exigence d’effort de recherche d’emploi, ni de moyens publics déployés dans ce sens. Tous les parcours d’emplois seraient ainsi couverts.

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6. Un monde plus durable sera aussi plus taxé

Économie de marché et développement durable: un défi au-delà des clichés

Le problème ne se réduit pas au changement climatique. Les types de consommation et les modes de production mettent à mal nos ressources limitées et la biodiversité. L’économie de marché peut-elle nous amener à une décroissance de la pression sur les ressources physiques et vivantes ?
Cette compatibilité serait possible moyennant la mise en place d’un certain nombre de correctifs fiscaux, réglementaires, de sensibilisation ou de mécanismes spécifiques. L’application de taxes, de type taxe carbone ou Pigou (pollueur-payeur), alliée à l’exigence de normes de pollution strictes et contraignantes à la fois dans la sphère publique et dans la sphère privée sont mises en avant. Les économistes proposent également d’entamer un large plan d’investissement pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments publics, d’établir une planification agricole sur de plus longues périodes et de lancer des campagnes de sensibilisation et d’éducation pour favoriser une meilleure et moindre consommation.

7. Il faut limiter l'endettement de l'État

Un bon endettement public nécessite des ajustements en identifiant bien les dépenses

Certaines voix affirment que la dette est assimilée à un investissement public et peut donc être élevée. D’autres discours estiment, au contraire, qu’il faudrait garder l’endettement à un niveau raisonnable en ayant la capacité de remboursement suffisante. Mais l’État ne se gère pas comme un ménage. L’orthodoxie budgétaire n’est pas toujours la règle car, par exemple, si les taux d’intérêt sont inférieurs au taux de croissance du PIB, le coût de la dette est négatif. Il faut aussi assurer l’équité intergénérationnelle. Si l’endettement public finance des biens collectifs dont les bénéfices restent acquis aux générations futures, il est parfaitement justifiable en termes d’équité intergénérationnelle. Mais, si cette dette a financé de la consommation ou des transferts, elle fait porter une charge indue sur les générations suivantes. Il est alors proposé d’identifier correctement les dépenses courantes et les dépenses d’investissement et d’intégrer dans les budgets futurs les dépenses de maintenance. Les économistes reconnaissent cependant la difficulté de la prise en compte des coûts et bénéfices de budgets successifs et leur assignation à différentes générations.

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8. L'État est forcément gaspilleur

Ce n'est pas l'origine des capitaux qui importe mais l'autonomie et la qualité

Une partie de l’opinion reste convaincue que, dans la gestion de certains pans de l’économie, l’État est souvent gaspilleur et inefficace là où le privé est forcément plus performant.
Le sujet de la gestion efficace du privé face au public amène les économistes à préconiser que, lorsqu’il s’agit de produire un service public ou lorsqu’on est en situation de monopole naturel, le service peut être efficacement rendu par une entreprise publique si elle a des objectifs clairs, une réelle autonomie de gestion et si elle fait l’objet d’une évaluation régulière de ses performances. Dans le cas où le service est concédé à un opérateur privé, il devrait être soumis périodiquement à des appels d’offres concurrentiels. Il importe de mener régulièrement des études de performance comparatives entre les entreprises publiques et privées. Les économistes conseillent la flexibilité des emplois dans la fonction publique tout en protégeant l’indépendance de certaines fonctions (justice, par exemple) et d’améliorer les règles de gouvernance des entreprises publiques en vue de faire la clarté sur la gestion de leur administration.

9. L'Europe, source d'immobilisme

Plutôt que de faire éclater le modèle européen, il vaudrait mieux l'amender

L’Europe a sans doute favorisé une certaine forme de libéralisme mais, malgré d’indéniables lacunes, elle a fait preuve de résilience en surmontant des dangers qui menaçaient son existence et en permettant de nombreuses avancées. Les économistes, conscients de l’ampleur de ce sujet, se sont concentrés sur les aspects fiscaux et de défense du citoyen.
Ils prônent de revoir les mécanismes décisionnels, bloquant parfois des décisions, en levant l’obligation de l’unanimité dans certains domaines au profit d’une majorité qualifiée. Le rôle des institutions et leur partage de compétences (Commission, Conseil, Parlement, Cour de Justice) devraient aussi être clairement redéfinis.
Ils rappellent l’existence des consultations d’initiative citoyenne européenne qui pourraient être renforcées. Ils invitent aussi à sanctionner des pays pour leurs éventuels manquements dans le respect des droits de l’homme et encouragent le développement d’une Europe qui protège ses citoyens dans un certain nombre de domaines. La création de listes électorales paneuropéennes favoriserait le débat démocratique au niveau européen plutôt qu’au niveau strictement national.

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10. Il n'y a pas d'emploi pour tous

L’emploi n’est pas en quantité fixe: personne ne prive un autre de son emploi

Il s’agit ici de combattre l’idée reçue que la quantité d’emploi est fixe et que la mise à la retraite des plus âgés ou la réduction du temps de travail permettraient d’accroître l’emploi total. Dans la réalité, le travailleur âgé n’est pas un substitut parfait du jeune, pas plus que l’immigré ne prend le job d’un autochtone.
Les économistes insistent sur le fait qu’il faut arrêter de mettre les travailleurs à la retraite trop tôt (sauf en cas de pénibilité démontrée pour l’individu). L’emploi total ne va pas augmenter par cette mise à la retraite et cela va entamer sérieusement notre système des pensions. Mais on pourrait mettre en place des structures qui utilisent l’expérience des plus âgés pour former les plus jeunes.
La réponse à une hausse du taux d’emploi ne se trouve pas dans la réduction du temps de travail générale et uniforme mais dans l’appui à d’autres politiques. Les solutions doivent être trouvées, par exemple, du côté du financement alternatif de la sécurité sociale, de la formation ou d’un aménagement du temps de travail pour pouvoir mieux concilier vie professionnelle et vie privée.

À l'occasion de la 6e édition de l'Economic Prospective Club, animée par Isabelle de Laminne (qui a rédigé ce dossier), ce tour d'horizon des idées reçues et des solutions possibles a été réalisé grâce aux contributions de six économistes de renom.

CV Express

Micael Castanheira est directeur de Recherche au FNRS, professeur à l’ULB (Solvay) et membre du conseil scientifique de l’Observatoire des prix et de la Banque nationale de Belgique. Sa recherche porte sur l’économie politique des décisions de groupe et des interactions entre entités publiques et privées.

Étienne de Callataÿ, est chief economist et président d’Orcadia Asset Management. Chargé de cours invité à l’Université de Namur, il est aussi président de la Société royale d’économie politique de Belgique et membre du Conseil académique des pensions.

Philippe Defeyt est président, cofondateur de l’Institut pour un développement durable. Il a été président du CPAS de Namur. Il est vice-président de l’UCL et l’auteur de nombreuses publications (thèmes : prix, revenus, logement, pauvreté, protection sociale, emploi…).

Olivier Lefebvre est docteur en Économie et administrateur indépendant dans diverses entreprises et institutions. Il a enseigné à l’UCL et à l’UNamur. En 2000, il a été un des fondateurs d’Euronext, et a coordonné l’intégration transfrontalière des aspects réglementaires et de post-trade.

Luc Leruth enseigne actuellement à l’Université d’Essex (UK). Il a travaillé au FMI à Washington et a été professeur à l’ULg et membre du Core (UCL). Il est l’auteur de nombreuses publications scientifiques ainsi que de trois romans dont deux publiés chez Gallimard.

Pierre Pestieau est membre du Core et membre associé du PSE. Il a enseigné à l’Université de Cornell (USA) et a été professeur d’économie à l’Université de Liège dont il est professeur émérite. Il est éditeur associé de plusieurs revues économiques. Ses principaux sujets d’intérêt sont l’économie publique, l’économie de la population et la sécurité sociale.

Luc Leruth, Pierre Pestieau, Philippe Defeyt, Micael Castanheira, Étienne de Callataÿ, Isabelle de Laminne, Olivier Lefebvre, en week-end d’étude, décryptent l’économie.

Luc Leruth, Pierre Pestieau, Philippe Defeyt, Micael Castanheira, Étienne de Callataÿ, Isabelle de Laminne, Olivier Lefebvre, en week-end d’étude, décryptent l’économie.