Vladimir Poutine

Le président russe s'apprête
à exercer un quatrième mandat au Kremlin.
Retour sur le destin extraordinaire
d'un homme ordinaire.

PORTRAIT

Vladimir Vladimirovitch Poutine, 65 ans et quelques injections de botox, s'apprête à devenir l’un des dirigeants russes à la plus grande longévité. Assuré de remporter l'élection du 18 mars 2018, le président devancera Léonid Brejnev, secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique de 1964 à 1982 (18 ans), mais pas Joseph Staline (30 ans) dont il contribue à restaurer habilement la mémoire en Russie.

Une jeunesse à Saint-Pétersbourg

L’eau de la Neva a coulé sous les ponts de Saint-Pétersbourg depuis l’époque où le sale gamin, qu’il confesse avoir été, dérivait dans la cour de son immeuble de la rue Baskov.

"Si je n’avais pas fait de sport, je ne sais pas comment j’aurais tourné."

Vladimir Poutine, dans le livre d’entretiens “A la première personne”, paru en 2000.

L’ado indiscipliné excellait en kimono et c’est un entraîneur de judo, "Anatoli Semenovitch, qui m’a sorti de la rue" - un second père pour lui.

Aujourd'hui encore, "si vous voulez comprendre Vladimir Poutine, lisez des manuels de judo!", lance l'ancien diplomate soviétique devenu écrivain prolifique,Vladimir Fédorovski. Patient et obstiné, à l'affût de signes de faiblesse de l'adversaire, il utilise la force de son partenaire au service de sa victoire.

Son origine modeste permet peut-être de comprendre la revanche que cet enfant né sur le tard – ses deux frères aînés sont morts avant sa naissance – a voulu prendre sur la vie. Vladimir Poutine est un Russe ordinaire au destin extraordinaire. "Jusqu'à ce qu'il acquière une position de pouvoir, à la mairie de Saint-Pétersbourg, à près de 40 ans, il a vécu une vie qui ne le distinguait pas de ses concitoyens", explique Héléna Perroud, auteure d'"Un Russe nommé Poutine" (Ed. Du Rocher). Il "a partagé les épreuves et le quotidien de tous ses compatriotes".

"D'abord, il a vécu toute son enfance, son adolescence et sa vie d'étudiant dans un appartement communautaire, comme tous les Russes. Ses parents étaient ouvriers, des gens tout à fait modestes. Il n'est pas fils d'apparatchiks qui aurait hérité d'une position de pouvoir par sa famille", nous dit-elle. "Ensuite, c'est quelqu'un qui a été très marqué par le blocus de Leningrad, un épisode de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale que les Occidentaux ne connaissent pas bien mais qui est fondamental pour comprendre Poutine. Ses parents en sont des miraculés et, bien que lui-même soit né après, en 1952, il se perçoit comme un survivant lui aussi. Il aurait très bien pu ne pas naître."

Le président a célébré, le 18 janvier 2018, les 75 ans de la fin du siège de Leningrad. (© Anatoly Maltsev / AP)

Du KGB au Kremlin

Mais, pour percer la personnalité et le credo politique de Vladimir Poutine, se faire une vision réaliste de son caractère et de son comportement, il faut aussi se rappeler le milieu professionnel dans lequel il évoluait avant d’être bombardé au Kremlin et des circonstances peu ordinaires qui en ont fait le successeur de Boris Eltsine à la tête de l’Etat.

Vladimir Poutine est un pur produit de l’éducation patriotique soviétique. Il proposa ses services au KGB à l’âge de 14 ans, mais ne fut affecté à la Loubianka qu’en 1975, après avoir décroché un diplôme de droit à l’université de Leningrad.

En uniforme du KGB. (D.R.)

En uniforme du KGB. (D.R.)

Si elle a incontestablement contribué à diaboliser son image, sa carrière au Comité pour la sécurité de l’Etat se serait en fait révélée relativement terne : il fut chargé de la lutte contre les éléments antisoviétiques, puis envoyé en poste à Dresde en RDA en 1985,sous le nom de Platov. Il n'empêche qu'elle a façonné l'homme qui excelle en "relations humaines". Il a acquis cette capacité de se mettre en résonance, en empathie, avec son interlocuteur, jusqu'à imiter ses gestes et postures et à exploiter ses faiblesses - des compétences et techniques dont il use encore aujourd'hui. "Il n’existe pas d’anciens agents du KGB", a d'ailleurs coutume de dire Vladimir Poutine.

"Cet organisme très spécial vous forme au sens ontologique du terme, et […] après il vous colle à la peau."

Vladimir Fédorovski, ancien diplomate, dans "Poutine de A à Z" (Stock).

Sa carrière ne l’empêcha en tout cas pas de rejoindre en 1990 le camp des nouveaux démocrates de l’époque, pour devenir le bras droit du maire de Leningrad, Anatoli Sobtchak – le père de Xsenia, candidate à la présidentielle et filleule de l'actuel président.

Mais c’est à Moscou que Vladimir Poutine relance sa carrière, dans l’administration présidentielle et à la tête du Service fédéral de sécurité (FSB), le successeur du KGB. Sa nomination (soudaine) au poste de Premier ministre, le 16 août 1999, est suivie par sa promotion (tout aussi soudaine) à la tête de l’Etat le 31 décembre suivant, à la faveur de la démission d’un Boris Eltsine plus porté sur la bouteille que sur les affaires publiques.

Vladimir Poutine et Boris Eltsine le 10 août 1999. (© AFP)

Vladimir Poutine et Boris Eltsine le 10 août 1999. (© AFP)

Cette stratégie avait été pensée et orchestrée par l’entourage proche du président retraité, soucieux de sauvegarder son pouvoir et sa fortune dans le chaos qui agitait la Russie à cette époque et plongeait les familles dans la misère et le désarroi. Le rôle réservé au petit Vladimir dans cette intrigue s’apparentait à celui d’un factotum, d’un pantin censé obéir aveuglément à ses créateurs. C’était sans compter les ambitions et le pragmatisme de Vladimir le grand.

La verticale du pouvoir

Élu le 26 mars 2000, réélu le 14 mars 2004, Poutine s’installe durablement au Kremlin. Il s'attelle à restaurer l'Etat, sous peine d'une dislocation totale, et à redresser l'économie grâce à la manne pétrolière et gazière. La marionnette présumée coupe les ficelles et devient marionnettiste.

Des "matryoshka" à l'effigie du président, dans un magasin près de la place Rouge. (© Yuri Kadobnov \/ AFP)   


Des "matryoshka" à l'effigie du président, dans un magasin près de la place Rouge. (© Yuri Kadobnov / AFP)   

Il déblaie méthodiquement le terrain des oligarques gênants. Vladimir Goussinski d’abord, le patron de la chaîne honnie NTV qui ne cesse de l’humilier. Boris Berezovski ensuite, le bienfaiteur qui a surestimé son rôle en essayant de dicter ses volontés au chef de l’Etat et dont on retrouvera le corps dans sa salle de bain à Ascot en Angleterre. Mikhaïl Khodorkovsky enfin, dont l’arrestation en 2003 met définitivement les oligarques au pas et refroidit à jamais toute tentative de fronde.

Cette première étape du renforcement du pouvoir personnel de Vladimir Poutine permet non seulement de neutraliser ses ennemis potentiels mais aussi, et surtout, de mobiliser et promouvoir à des postes politiques et économiques des hommes de confiance. Cet entourage est composé de partenaires de judo (les frères Arkady et Boris Rotenberg), d'anciens de Saint-Pétersbourg, de membres du cercle de la coopérative de datchas qu'il a créée près d'un lac (d'où son nom, Ozero) et,bien sûr, d'ex-collègues des services secrets. Le chef de l’Etat a fondé son pouvoir sur ce réseau et verrouillé le tout. "Parmi eux, vous avez un certain nombre de gens très riches aujourd'hui...", constate Héléna Perroud. Cet entourage forme un rempart le protégeant d’éventuelles intrigues de palais. Et lui permet d’opérer un retour à une gouvernance autoritaire: la verticale du pouvoir.

En même temps qu’il assoit sa stature d’homme fort, Poutine se taille un uniforme de chef de guerre en lutte contre les terroristes, tchétchènes en particulier. Sa hantise est aussi de voir la Fédération de Russie connaître le même sort que la Yougoslavie: la dislocation. "On ira les buter dans les chiottes", la phrase est restée dans les annales. Il l'a prononcée alors qu'il n'était encore que Premier ministre, après les attentats de Moscou en septembre 1999.

Le caricaturiste Elkine rebondit avec ce dessin. "Fais gaffe, des fois que Poutine se ramène en douce." © Yandex \/ Elkine

Le caricaturiste Elkine rebondit avec ce dessin. "Fais gaffe, des fois que Poutine se ramène en douce." © Yandex / Elkine

Le peuple russe, sous le choc des prises d’otages au théâtre de Moscou en 2002 et à l’école de Beslan en 2004, attend de son chef qu’il le rassure et le protège. À notre confrère du “Monde” qui le questionne en 2003, lors d'une conférence de presse à Bruxelles, sur les exactions des troupes russes en Tchétchénie, Vladimir Poutine rétorque froidement: “Si vous tenez vraiment à devenir un islamiste radical, et si vous êtes prêt à vous faire circoncire, je vous invite à Moscou. […] Je recommanderai de vous faire cette opération de telle façon que rien ne repousse.” Le Danois Anders Fogh Rasmussen, l’Italien Romano Prodi et l’Espagnol Javier Solana, qui partagent la tribune avec lui, ne bronchent pas: ils n'ont rien compris, l'interprète ayant omis de traduire la phrase.

Vladimir vole, Vladimir plonge, Vladimir chasse

Il apparaît évident, pendant ses deux premiers mandats présidentiels, que Vladimir Poutine goûte au pouvoir, à son impunité, et n’entend pas l’abandonner si facilement. Aussi confie-t-il les clefs du Kremlin à Dmitri Medvedev – un ancien de Saint-Pétersbourg – et patiente-t-il quatre ans à la Maison blanche, siège du gouvernement russe à Moscou.

Pendant que le nouveau chef de l’État mange des hamburgers avec Barack Obama et entreprend de moderniser le pays, le Premier ministre, lui, peaufine son image – appareils photos et caméras toujours judicieusement placés pour capter l’événement. Il vole au secours des ouvriers exploités par des chefs d’entreprise sans scrupule, il prend en main la guerre contre la Géorgie, il distribue des montres de grande valeur à de petites gens. Il plaît.

Dans "Limonov", publié en 2011, Emmanuel Carrère explique de belle manière son succès: "Je pense que Poutine est un homme d'État de grande envergure et que sa popularité ne tient pas seulement à ce que les gens sont décervelés par des médias aux ordres. Il y a autre chose. Poutine répète sur tous les tons quelque chose que les Russes ont absolument besoin d'entendre et qui peut se résumer ainsi: ‘On n'a pas le droit de dire à 150 millions de personnes que soixante-dix ans de leur vie, de la vie de leurs parents et de leurs grands-parents, que ce à quoi ils ont cru, ce pour quoi ils se sont battus et sacrifiés, l'air même qu'ils respiraient, tout cela était de la merde'."

En même temps, les services de communication abreuvent le pays et le monde de ses images: Vladimir monte torse nu à cheval, Vladimir ramène de plongée sous-marine deux amphores (qui venaient d’un musée local, apprendra-t-on ensuite!), Vladimir chasse la baleine,Vladimir nage le papillon dans un fleuve de Sibérie, Vladimir joue du piano, Vladimir vole en deltaplane à moteur, Vladimir pêche un brochet de 21 kilos, Vladimir excelle en hockey sur glace (une passion qu'il partage avec plusieurs membres de l’élite russe, dont le ministre de la Défense Sergueï Choïgou).

Vladimir Poutine en vacances à Kyzyl, en Sibérie, en août 2009. © Alexei Druzhinin / UPI / Photo News

Il suscite les sarcasmes de l’intelligentsia russe et parfois même de ses collègues du monde. Peu après le sommet du G8 de l'été 2013, le Britannique David Cameron ironise devant un parterre d’hommes d’affaires: "Vous n’imaginez pas ce qu’il se passait en coulisses, Vladimir Poutine voulait imposer le code vestimentaire torse nu à dos de cheval. J’ai dû me battre pour imposer le style décontracté-chic."

Mais le compte-rendu de ses occupations viriles, somme toute inoffensives, ne vise pas spécialement la classe moyenne ou supérieure, urbaine et éduquée, encore moins ses homologues étrangers. Elle s’adresse surtout à ses nombreux partisans – fonctionnaires, salariés d’entreprises d’Etat, paysans – concentrés essentiellement en province et en "Russie profonde".

"Je dois être tel que mon peuple lattend."

Vladimir Poutine, dans le documentaire allemand Ich,Putin, diffusé en 2012.

Et ce qu'attend le peuple, c'est un chef, sportif et en bonne santé, au service de la Russie. Aujourd'hui encore, le sport contribue à l'équilibre du président qui – soit dit en passant - ne fume ni ne boit: avant de se rendre au Kremlin vers 13 heures, ses journées commencent par une séance de musculation, des longueurs de piscine et des bains chauds et froids.

L'organisation des Jeux olympiques à Sotchi en 2014 et de la Coupe du monde de football en 2018 renforcent son image en interne et celle de son pays sur la scène internationale.

Le mâle domine. Sa famille reste invisible, l'homme est tout entier au service du pays. Il divorcera en 2013 de Lioudmila, mère de ses filles Maria et Ekaterina, reconnaissant qu'elle ait "monté la garde" pendant ses mandats comme un bon soldat... Sa vie privée – tout comme sa fortune d'ailleurs - demeure secrète (bien qu’on lui prête une relation avec l'ancienne gymnaste Alina Kabaeva et des enfants de plus).

Chanté par des starlettes pop –  "J’en veux un comme Poutine, sobre, gentil et pas coureur !" –, l’apprenti-tsar se fait star. Mais une star aux goûts simples, dotée d'humour (ses bons mots, les "putinizmy", rencontrent d'ailleurs un certain succès), qui mène "une vie ordinaire" et aime "les romans historiques et la musique classique", comme il le déclara lors d'une rencontre avec des jeunes Russes.

Retour au Kremlin

Au pouvoir, le président Medvedev suscite les espoirs, certes illusoires, d’une partie de la société russe en menant une politique de libéralisation. Il s’émancipe, critique même. Le Premier ministre revient alors au galop pour siffler la fin de la récréation: assez joué au cow-boy des steppes, l’heure est venue de reprendre le Kremlin au plus si brave Dmitri.

Les élections législatives du 4 décembre 2011 portent le parti Russie unie au pouvoir et la présidentielle du 4 mars 2012 signe le retour de Vladimir Poutine au sommet avec 63% des voix au premier tour. Ce résultat lui a d'ailleurs arraché une larme surprenante, pour un homme qui cultive une extrême maîtrise de soi et ne manifeste d'empathie ni pour autrui ni pour lui-même.

Mais la fraude électorale se révèle telle que la classe moyenne encore embryonnaire brave la peur et sort dans les rues de Moscou et d’autres grandes villes de Russie pour contester les résultats.

Des Russes ont manifesté pendant des semaines, comme ce 10 mars 2012 à Moscou, pour réclamer le départ de Vladimir Poutine en 2012. ©Natalia Kolesnikova / AFP

C’est à ce moment, précisément, que se transforme le pouvoir. Vladimir Poutine, bien déterminé à rester en place durant douze ans, ne peut tolérer aucune contestation de ses prérogatives. Il s’attaque aux organisations non gouvernementales et aux médias indépendants. Il fait passer des lois liberticides par le Parlement et limiter les réseaux sociaux. Il s’en prend à ses opposants, comme Alexeï Navalny et Gary Kasparov, en s’appuyant sur le puissant Comité d’instruction, dont l’autorité s’impose à la justice et aux forces de l’ordre. Il se sent suffisamment fort pour faire libérer Mikhaïl Khordokovsky et les deux membres du groupe Pussy Riot.

Une vision quasi messianique

Ses ambitions personnelles le poussent à vouloir marquer de son empreinte tout ce premier quart de XXIe  siècle; les oligarques d’Etat de son entourage, richissimes, n’envisagent d’ailleurs pas une seconde qu’il en soit autrement.

Baptisé en cachette par sa mère, pratiquant (peut-être même plus que croyant), Poutine, dont la pensée est influencée par les philosophes conservateurs Constantin Léontiev et Nicolas Berdiaev, semble investi d’une mission pour la grande et sainte Russie, face à un Occident décadent.

Vladimir Poutine s'est aventuré dans l'eau glacée du lac Seliger pour célébrer l'Epiphanie.  © Alexei Druzhinin \/ Reporters \/ Abaca.   


Vladimir Poutine s'est aventuré dans l'eau glacée du lac Seliger pour célébrer l'Epiphanie.  © Alexei Druzhinin / Reporters / Abaca.   

Peu importe qu’il s’appuie pour cela sur un système corrompu et dévoyé qui bafoue les valeurs chrétiennes qu’il défend. Le pouvoir est sacralisé. Autocrate, orthodoxe, patriote, il s’approprie les attributs d’une parodie de la Russie monarchique. Il glorifie le peuple russe et ses valeurs traditionnelles. Il est l'émanation de la Russie.

"La Russie, c’est Poutine. Sans Poutine, pas de Russie."

Viatcheslav Volodine, le porte-parole du Parlement russe.

"Je suis persuadé que Poutine pense avoir été choisi par la Providence" pour sauver la Russie, sourit Vladimir Fédorovski.

"Il a cette force qui fait qu'il agit comme il agit, avec, comme il le dit dans une émission de télévision en 2012, un sentiment de justesse intérieur", rapporte Héléna Perroud. "Il sent au fond de lui que ce qu'il fait est juste et bon pour le pays." Et essentiel pour la patrie qu'il chérit. "En français, le mot "État" prend une majuscule mais, en russe, c'est le mot "patrie" qui en prend une. Il faut le savoir pour comprendre Poutine." Dans la première interview que le président donnera à des journalistes américains en 2001, il expliquera que ce qu'il a appris de plus important au KGB sont l'amour et le service du pays. "Dans ce qu’il appelle l’idée russe, il distingue quatre valeurs qu’il considère comme essentielles pour consolider la société russe et qu’il appelle les "valeurs traditionnelles des Russes": ce sont le patriotisme, la puissance, l’étatisme et la solidarité sociale", explique Héléna Perroud.

La revanche de la Russie

Son troisième mandat ira de pair avec la valorisation de la mémoire et la restauration de la grandeur de la Fédération russe sur la scène internationale. Il répond à la volonté des Ukrainiens de conclure un accord d'association avec l'Union européenne par l'annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass. Il dope sa popularité, qui bondit à 80% d'opinions favorables, mais déclenche la pire crise depuis la fin de la guerre froide entre Russes et Occidentaux.

Celui qui qualifie la disparition de l'URSS de "plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle" s'employait depuis quelques années à restaurer l'influence et la puissance de la Fédération dans le monde, avec cette idée de revanche sur toutes les humiliations subies individuellement et collectivement par les Russes pendant les années 1990. Vladimir Poutine n'avait pas de griefs particuliers contre l'Occident au départ, il a même noué des amitiés avec certains de ses dirigeants, Jacques Chirac, Gerhard Schröder ou Silvio Berlusconi.

Jacques Chirac, Vladimir Poutine et Gerhard Schröder lors d'un sommet tripartite à Sotchi le 31 août 2004. © Vladimir Rodionov \/ AFP  


Jacques Chirac, Vladimir Poutine et Gerhard Schröder lors d'un sommet tripartite à Sotchi le 31 août 2004. © Vladimir Rodionov / AFP  

L'invasion américaine de l'Irak en 2003, qui suivait les frappes de l'Otan au Kosovo en 1999, a constitué un tournant. Si personne n'écoute ce que la Russie a à dire, il va falloir qu'elle s'affirme autrement. Il le dira clairement le 10 février 2007, lors de la conférence de Munich sur la sécurité: finis les "formules de politesse convenues" et les "clichés diplomatiques aussi agréables à entendre que vides de sens".

"Nous sommes le peuple des gagnants, c’est dans notre code génétique.”

Vladimir Poutine.

En annonçant sa candidature à la présidentielle, le 5 décembre dernier, il ajoutera: "La Russie va continuer d'aller de l'avant, et dans ce mouvement en avant, personne ne l'arrêtera jamais".

Sabine Verhest

Et après ?

Le quatrième mandat à venir ne manque pas de grands défis pour Vladimir Poutine: l'amélioration du niveau de vie, la diversification de l'économie, la lutte contre la corruption ou encore la préparation du lendemain. "La succession mal préparée est une faiblesse historique en Russie", rappelle Vladimir Fédorovski.

Qu'adviendra-t-il, en 2024, de Vladimir Poutine et de la Russie qu'il a façonnée? "Il ne sera certainement pas président en exercice, empereur, à vie", estime Héléna Perroud. L'ancien diplomate, lui, l'imagine prendre la tête de la fédération de judo et continuer à influencer la scène politique en coulisse. Le principal intéressé a assuré le 10 mars, dans une interview à la chaîne américaine NBC, qu'il n'entendait absolument pas modifier la Constitution pour rester au Kremlin au-delà de 2024.

Reste à voir quelle figure émergera du lot des successeurs potentiels et quand, sachant que "celui qui est président avant l'heure est tué, soit politiquement soit physiquement”.

S.Vt.

Pour en savoir plus

Eltchaninoff Michel, "Dans la tête de Vladimir Poutine", Actes Sud, 2015.

Fédorovski Vladimir, "Poutine de A à Z", Stock, 2017.

Kastoueva-Jean Tatiana, "La Russie de Poutine en 100 questions", Tallandier, 2018.

Jouanny Jean-Robert, "Que veut Poutine ?", Seuil, 2016.

Perroud Héléna, "Un Russe nommé Poutine", Editions du Rocher, 2018.