Les trains des orphelins aux Etats-Unis

l'espoir (parfois brisé) d'une vie meilleure




« Autant je détestais l'orphelinat, autant je détestais encore plus ces voyages en train. » Lee Nailling a à peine huit ans lorsqu'il monte avec ses deux frères dans l'un des Orphan Train, un convoi composé de dizaines d'enfants dont les parents ne pouvaient plus s'occuper et qui était chargé de mener tout ce petit monde vers « de merveilleuses nouvelles vies ». « Avant que l'on parte, mon père m'a demandé de veiller sur mes frères : Lio, 6 ans, et Gérald, 3 ans. Il a tout fait pour nous garder mais, étant au chômage, il a dû se séparer de nous après la mort de maman. Il m'a dit au revoir et m'a glissé une enveloppe rose timbrée sur laquelle il avait griffonné son adresse. Il s'est contenté de dire 'Ecris-moi quand tu seras installé' avant de se mettre à pleurer. »

Les trois bambins ont fait des signes de la main à leur père à travers la fenêtre jusqu'à ce que le train se mette en route et que l'homme se fonde dans le paysage. « A ce moment-là, j'ai eu très peur. Je me suis demandé ce qui allait nous arriver », confie Lee dans sa biographie. Épuisés, les garçons finissent malgré eux par s'endormir. Le lendemain, ils sont réveillés par une dame qui faisait la route avec eux. Elle leur apprend qu'ils sont arrivés à leur premier arrêt. Mais, au moment de prendre son manteau, Lee a une bien mauvaise surprise : son enveloppe a disparu. « J'ai aussitôt demandé de l'aide à mes frères. On s'est tous accroupis pour la chercher. On faisait tellement de ramdam que la dame est revenue nous demander ce que l'on faisait. Après avoir entendu nos plaintes, elle s'est contentée de dire 'Asseyez-vous et tenez-vous droit, vous commencez une nouvelle vie maintenant'. J'ai alors su que c'était elle qui avait pris l'enveloppe et je l'ai aussitôt détestée ».



A chaque arrêt dans une nouvelle ville, c'est le même rituel. Les enfants sont invités à se rendre dans l'Eglise locale. Là, les membres de la Children's Aid Society qui sont chargés de leur trouver une famille d'accueil épinglent sur chacun d'eux un numéro. Ces jeunes sont alors placés en ligne pour que les adultes désireux de les adopter puissent mieux les observer. Dès qu'un enfant intéresse un couple, ce dernier l'appelle par son numéro. Un membre de la Children's Aid Society établit alors un contrat de base actant les droits et les devoirs de chacun.



- S'occuper de lui en cas de maladie
- L'envoyer à l'école jusque l'âge de 16 ans
- L'envoyer à l'Eglise tous les dimanches
- Lui payer un salaire lorsqu'il fête son 18ème anniversaire
- Si l'enfant ne convient pas, le garder jusqu'à ce que la Société puisse le récupérer
- Ecrire à la Société tous les ans
- Ne pas lui porter de préjudices physiques ou moraux




« A chaque fois qu'on nous passait en revue, j'étais terrifié à l'idée d'être choisi », se rappelle Lee. « J'ai vu des frères et soeurs être séparés et je ne voulais pas que ça nous arrive. » Mais, un beau jour, au Texas, sa pire peur devient réalité. « Un jeune couple a choisi Gérald. Lorsque les papiers ont été signés et qu'ils ont pu partir, Gérald a crié après nous. J'aurais voulu prendre Leo et le rejoindre mais je savais que j'aurais été stoppé net. J'étais tellement en colère que je n'ai pas vu le couple en face de nous qui était en train de nous adopter Leo et moi. » A ce moment, Lee sent l'espoir renaître. Il s'imagine que lorsqu'il sera grand, il ira récupérer Gérald et qu'ils rentreront à trois à New York rejoindre leur père. Mais, à peine est-il installé dans sa nouvelle famille que Lee doit la quitter. « La femme du train est revenue et m'a dit que le couple avait changé d'avis. Il ne pouvait finalement accueillir qu'un seul enfant et a choisi de garder Leo. »

Lee a changé plusieurs fois de famille jusqu'à arriver devant une énième maison. L'homme de la bâtisse l'accueille, comme d'habitude, en lui serrant la main et en lui confirmant que c'est ici qu'il va vivre. « Pas pour longtemps », pense aussitôt l'enfant. « Pendant le repas, le couple a essayé de me parler. Comme je ne répondais pas, ils ont arrêté ». A l'époque, Lee est dans un tel état d'esprit qu'il ne pensait qu'à s'enfuir dès qu'il en aurait l'occasion. « Dès la première nuit j'ai voulu partir, mais j'ai été réveillé par la lumière du soleil. Je n'ai pas pu rester debout. J'ai été déjeuner en me disant que ce serait pour le lendemain. Lorsque j'ai voulu attraper un biscuit, la femme m'a stoppé et m'a dit qu'il fallait d'abord réciter le bénédicité. Elle a alors remercié Dieu de lui avoir donné la chance d'avoir un garçon. Pour la première fois, j'étais considéré comme une chance pour quelqu'un. J'ai alors réalisé qu'il y avait peut-être d'autres options que la fuite. Lorsque nous nous sommes rendus au village, mon nouveau père m'a présenté à tous ses amis. J'ai su à cet instant que j'avais à présent deux papas et que je pourrais continuer à leur parler à tous les deux. » Jusqu'à sa mort, en 2001, Lee Nailling n'a jamais regretté d'avoir été adopté par cette famille si charmante.

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Stanley Cornell a lui aussi voyagé avec l'Orphan Train alors qu'il était âgé de six ans. « Un jour, deux femmes sont arrivées en voiture à la maison. Elles nous ont demandé si nous étions heureux avec papa. Je lui ai répondu que non ». Son père, un ancien combattant de la première guerre mondiale souffrait de nombreux problèmes de santé. Sa femme étant morte, il ne pouvait s'occuper correctement de Stanley, son frère Vic et sa soeur Elouise. La dernière a été recueillie par une tante tandis que les deux garçons ont été placés dans un orphelinat.

« Nous mangions des repas simples composés de viande, lait, pain et soupe. Lorsque nous avions terminé, nous avions droit à un fruit. Mais quand on sortait du bâtiment, des petits durs nous faisaient peur pour nous les prendre. Ce n'était pas un endroit très agréable mais nous étions au chaud », raconte-t-il. Un beau jour, tout ce petit monde est invité à quitter l'orphelinat pour monter dans le train. C'est le début d'un nouveau voyage.





« On a vécu dans six maisons différentes qui nous ont rejetés après le premier mois ou dans les trois mois. Je n'ai jamais su pourquoi ils ne voulaient pas nous garder. » Stanley et Vic ont finalement effectué un arrêt supplémentaire au Texas. « Nous étions en ligne lorsqu'un fermier s'est approché de nous. Il avait déjà deux filles et voulait deux garçons. Il a décidé de nous prendre tous les deux sur un coup de tête. Sa femme n'était pas au courant. Nous sommes montés dans sa voiture et sommes arrivés devant notre nouvelle maison. Il a dit à sa femme et ses filles qu'il avait ramené des courses sur le siège arrière. Une des filles a hurlé en nous voyant. A partir de ce moment-là, ils se sont très bien occupés de nous. Nous avons atterri dans une jolie maison, notre maison. »


Comme d'autres, Stanley a attendu d'être adulte pour retrouver son père biologique et sa soeur. « Même si je suis content d'avoir retrouvé mon père, j'ai toujours considéré mes parents adoptifs comme mes vrais parents. »

Les trains, alliés ou ennemis des droits de l'enfant ?


Les trains des orphelins ont circulé de la fin du XIXème au début du XXème siècle à travers les Etats-Unis à l'initiative de la Children's Aid Society. Cette association protestante s'était fixée comme objectif de trouver un nouveau foyer aux enfants qui traînaient dans les rues ou les orphelinats des métropoles de l'Est. De nombreux parents se retrouvaient en effet au chômage à cause du manque de travail dans cette partie des Etats-Unis. Un parent seul, sans travail, était incapable de subvenir aux besoins de son enfant. Les gamins pauvres, SDF ou descendants d'immigrés étaient donc placés dans ces trains pour vider les rues de New York et des autres Etats.





Charles Loring Brace, un pasteur qui a toujours eu à coeur d'aider les jeunes livrés à eux-mêmes décide d'organiser des voyages en train qui s'arrêteraient dans des grandes villes américaines où des familles pourraient adopter les enfants à la recherche d'un foyer. Une initiative couronnée de succès puisque des centaines de milliers d'enfants ont pu être placés, principalement dans le Midwest où les habitants recherchaient un coup de main peu cher pour les aider dans leur travail manuel.




Des groupes d'une quarantaine d'orphelins âgés de 4 à 18 ans étaient placés dans des trains où un membre de la Children's Aid Society les accompagnait. L'association se chargeait de faire de la pub dans chaque ville où le train s'arrêtait afin de prévenir les familles que des enfants adoptables viendraient leur rendre visite. Au moment du choix fatidique, les jeunes qui le souhaitaient pouvaient faire un petit spectacle pour « se vendre » auprès des adultes. Mais certaines familles n'adoptaient que les enfants les plus robustes afin de les faire travailler dans leur ferme, ce qui a laissé dire à certains que les trains offraient en réalité des « travailleurs gratuits ».




Malgré un contrat qui imposait à la famille adoptive d'écrire à l'association une fois par an – et qui en outre n'était pas toujours signé -, le suivi n'était pas vraiment assuré. L'association ne savait pas réellement dans quelles conditions vivait l'enfant dans sa nouvelle famille. « Les enfants étaient placés à la va-vite sans enquête préalable, quelques-uns d'entre eux ont été abusés sexuellement », peut-on lire dans une étude. En outre, des enfants placés très jeunes qui souhaitaient retrouver leurs vrais parents en étaient parfois incapables puisque l'association n'avait pas gardé suffisamment de traces de l'adoption.



Des adoptions bancales




Rebecca S. Trammell est très critique à l'égard des Orphan Train. Cette chercheuse a publié une longue étude où elle explique que ces trains étaient loin d'être une révolution. « Les lois sur l'accueil et le travail des enfants n'ont pas été créées grâce aux trains des orphelins, mais bien pour s'opposer aux pratiques de ces trains », affirme-t-elle.




Certains Etats – comme le Texas, le Massachussets ou la Pennsylvanie – avaient édicté des lois réglementant les adoptions bien avant la mise en circulation des premiers trains des orphelins. Si les autres Etats ont commencé à suivre ces précurseurs, c'est parce que les premiers textes sur les droits de l'enfant les ont inspirés, non grâce aux trains. A cette période, les tribunaux ont commencé à se poser des questions sur les adoptions : est-ce que l'enfant adopté a toujours droit à l'héritage de ses parents naturels ? Est-ce qu'il hérite automatiquement de ses parents adoptifs ? Est-ce que les parents naturels doivent valider le choix de la famille adoptive ? « Toutes ces questions ont été traitées et mises en loi dans les années 1920 pour clarifier les précédents textes. Cela n'a rien à voir avec les trains des orphelins », affirme l'auteure.

En outre, des tribunaux de l'époque ont jugé des affaires où les enfants avaient été adoptés via les trains sans que la famille ne signe de contrat écrit, ce qui laissaient les bambins dans un vide juridique total. Certains ont fini par statuer que les enfants adoptés sans contrat avaient les mêmes droits que ceux avec contrat. Mais d'autres n'ont pas pu hériter de leurs parents adoptifs à leur mort. Les trains des orphelins n'auraient donc pas servi à faire promulger de nouvelles lois puisqu'ils ne respectaient pas toujours celles déjà existantes.



Quid du travail des enfants ?




Les trains des orphelins se basaient, on l'a vu, sur l'hypothèse que l'enfant allait travailler pour sa nouvelle famille en échange de soins. Plutôt que de contribuer à la réforme du travail des enfants aux Etats-Unis, les trains semblent donc avoir alimenté le problème, affirme la chercheuse. « Les organisations de protection de l'enfant ont eu du mal à obtenir des réformes dans le secteur agricole étant donné que les fermiers avaient besoin des enfants pour les aider à travailler. Loin d'aider les associations dans leur combat, les trains des orphelins ont au contraire continué à fournir aux fermiers des milliers de travailleurs agricoles. »

A l'heure actuelle, plusieurs experts s'affrontent encore au sujet des trains des orphelins. Certains affirment qu'ils ont contribué au bien-être des enfants adoptés, tandis que d'autres sont beaucoup plus critiques. Ces convois ont en tout cas définitivement cessé leurs activités en 1929 suite à la fin des tarifs préférentiels des compagnies de chemin de fer, au nombre suffisant de travailleurs dans le Midwest et aux lois qui ont compliqué les adoptions.


SOURCES

Youtube
National Orphan Train Complex
childrensaidsociety.org
usgennet
digitalcommons

Jessica

Flament


Journaliste


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