Toilettes qui se rangent dans le mur,
recyclage des déchets... :
Voici vos futurs WC

Un dossier de Laura Lieu

Toilettes japonaises, à la turque, en extérieur ou même dans la nature : la manière dont on va au « petit coin » est empreinte de notre culture. Mais il se peut que d’ici 15 ans, l’ensemble de l’humanité fasse ses besoins sur un même trône, sans considération de la richesse de chacun. Un réel changement d’habitude… et de culture car la toilette à « l’occidentale » doit complètement être réinventée.

Voici les trois enjeux qui vont nous obliger à changer nos habitudes.

Un enjeu écologique

A chaque chasse d’eau, les Occidentaux « gaspillent » entre 5 et 9 litres d’eau potable. Or, selon des estimations, on pourrait économiser entre 8.000 et 10.000 litres d’eau par personne et par an.

En outre, les déchets produits pourraient être recyclés et réutilisés comme combustibles ou engrais. Même l’eau sale pourrait être employée pour arroser les plantations ou nettoyer le sol. Certains scientifiques vont jusqu’à dire qu’elle pourrait à nouveau devenir… potable !

Un enjeu économique

Un autre enjeu est celui de la vente : dans la lutte acharnée qui se joue dans l’ombre, la société qui commercialisera en premier la toilette autonome et biologique de demain pourra engranger de plantureux bénéfices.

Un enjeu humanitaire

Au-delà de l’aspect économique et écologique, l’aspect humanitaire prend une tout autre ampleur : chaque année, 1,7 million de personnes dans le monde décèdent de maladies liées à l’eau, 600.000 victimes sont à dénombrer rien qu’en Inde. Les maladies en ligne de mire : le choléra, la dysenterie, la typhoïde, l’hépatite A… En effet, 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès aux toilettes, soit un tiers de la population mondiale.
Mais cela n’empêche pas l’ONU d’être optimiste : l’organisation souhaite que d’ici 2030, l’entièreté de la planète ait accès à des toilettes.

Comment les premières toilettes sont apparues

La toilette n’a pas évolué depuis le 18e siècle

La forme de la toilette telle que nous la connaissons aujourd’hui a été amorcée par John Harrington et Alexander Cummings.

En 1596, le premier invente la chasse en mettant en place un système d'arrivée d’eau et un long tuyau, évitant ainsi l’accumulation de bactéries dans un seau. Deux siècles plus tard, en 1775, Alexander Cummings y ajoute un siphon faisant stagner l’eau propre et empêchant ainsi la remontée des mauvaises odeurs et des excréments.

La toilette que nous connaissons aujourd’hui n'a pas changé en 240 ans, du moins... jusqu'à maintenant. Voici quelques exemples déjà très concrets des toilettes du futur.

La nanotechnologie au service de l'humanité

Bill Gates, en 2012 sur Twitter : « La toilette moderne a été inventée en 1775 et nous avons arrêté d’innover… jusqu’à aujourd’hui ».

Devenu le projet auquel il tient le plus, le fondateur de Microsoft a montré depuis 2006 un grand intérêt pour la crise sanitaire que subissent les pays en voie de développement. « Les toilettes sont très importantes pour la santé publique et, quand vous y songez, pour la dignité humaine », écrit le milliardaire sur son blog The Gates Notes.

Sous l’impulsion de la Fondation Bill et Melinda Gates, un prototype de toilette autonome a donc été réalisé par l’université de Cranfield au Royaume-Uni qui travaille depuis quatre ans sur des toilettes à nano particules (« nano » étant la plus petite unité de mesure représentant la distance entre deux atomes). Sobrement appelé The Nano Membrane, le projet a bénéficié de 710.000 dollars de fonds de lancement. En tout, la Fondation a offert plus de 100 millions de dollars de subventions à des sociétés et des universités qui étudient la question de l’hygiène dans le tiers-monde.

Comment ça marche ?
Fini l’eau, les égouts et la fosse septique. Cette fois, c’est la technologie qui va faire le travail. L’objectif de ce projet est de permettre l’accès à des sanitaires dignes de ce nom à l’ensemble de la population. Comment ? En se basant sur le principe d’une toilette autonome, ne nécessitant ni eau ni électricité et qui recycle les excréments.

Grâce à un système de rotation, l’urine et les excréments tombent dans une zone hermétique. La première étape consiste à dissocier les liquides des solides.

C’est là qu’interviennent les « membranes nano-filtrées ». Les vapeurs d'eau émanant des déchets passent à travers un tuyau de condensation et retournent à leur état liquide. Cette eau purifiée peut dès lors être stockée et utilisée pour les travaux ménagers ou pour arroser les plantes.

Quant au reliquat, les déchets solides, il est drainé et stocké avec de la paraffine. Cette substance permet d’éviter la diffusion des mauvaises odeurs. Il ne restera plus qu’à vider le bac une fois par semaine et à utiliser ces déchets comme… fertilisants ! Mais ceux-ci pourraient également être récoltés pour produire de l’énergie thermique alimentant en électricité tout un quartier. Le coût pour l’utilisateur : à peine 5 centimes d’euro par jour.

Cependant, deux problèmes persistent selon Alison Parker, la chargée de recherches : l’utilisation du papier toilette (qui ne peut être jeté dans la cuvette et auquel toute la population n’a pas accès) et la maintenance des toilettes. En effet, il serait nécessaire pour le moment d’avoir une maintenance professionnelle hebdomadaire et un entretien à raison de tous les six mois pour remplacer certaines pièces. Ces toilettes ne pourraient donc s'implanter que dans des milieux urbains.

Quand seront-elles commercialisées ?

Les tests sur le terrain ont normalement commencé cette année, comme l’a précisé Brian Arbogast, responsable de l’innovation sanitaire à la Fondation Bill et Melinda Gates, lors d’une interview au Monde : « La barre est très haut, mais nous avons de plus en plus de compétiteurs. Nous espérons tester les premiers pilotes en 2017 ». Mais avec deux freins importants qui n’ont actuellement pas de solution, on s’imagine mal voir ces e-toilettes sortir en 2018. Bien que le projet de l’université de Cranfield soit le plus avancé, Bill Gates a investi ses jetons dans plusieurs projets prometteurs. Il aide également le gouvernement indien dans l’installation de ses 75 millions de WC.

Bill Gates reste cependant optimiste et a notamment déclaré en novembre 2016 sur son blog : « Je continue d'être surpris par l'innovation dans le domaine de l'assainissement, qui était jusqu’à peu, un sujet tabou. Cela n'avait pas attiré beaucoup de ressources ou d'intérêt de la part des chercheurs. Aujourd’hui, des dizaines de chercheurs, de technologues et de décideurs du secteur privé et du secteur public sont des partenaires dans l'effort. Ensemble, nous travaillons à identifier et à développer des solutions qui amélioreront la santé et la dignité des bidonvilles urbains et autres communautés densément peuplées où le besoin d'un meilleur assainissement est immense. »

Un médecin... dans votre cuvette

Le milliardaire et fondateur de Microsoft n’est pas le seul à s’intéresser à la problématique de la santé à travers les lieux d'aisance. Takuji Yamada, lauréat du Grand Prix de biosciences à Tokyo, a planché sur un prototype de toilettes capables de dresser un bilan de santé sur base des déjections. La cuvette munie de micro-capteurs permettrait d’aider l’utilisateur à adapter son régime alimentaire et lui procurerait un état de santé global. Les données récoltées seraient transférées sur son smartphone et permettraient d’être consultées à la demande, par le médecin ou quiconque aurait accès à l’application.

Le chercheur japonais avance que ses toilettes contribueraient à dépister le diabète et le cancer du côlon, qui est la deuxième cause de décès par cancer dans les pays occidentalisés.

La toilette, cet objet encombrant

Vivre dans une grande ville peut parfois être synonyme de concessions. Un grand living, une belle luminosité, un bon emplacement. Pour gagner de la place, les salles de bain sont plus petites car l’espace est un élément indissociable de notre confort. Et si on pouvait replier sa toilette dans le mur, quand on n’en a plus besoin ?

C’est le pari fou que s’est lancé le concepteur de Sanifree. Plombier de père en fils, Philippe Marleix, lauréat du Concours Lépine 2016, est un inventeur français qui tente de transformer la toilette en objet pratique non contraignant. Comment lui est venue l’idée ? « A l'origine, je cherchais à fabriquer des toilettes à hauteur variable pour mon enfant », a-t-il évoqué sur son site. Puis, il est allé plus loin. Voyant qu’il pouvait rendre une toilette modulable, pourquoi ne pas complètement la faire disparaître ? Il avait en effet constaté en allant chez ses clients que la cuvette prenait beaucoup de place dans les petites salles de bain des logements urbains. Mais son invention ne s’arrête pas aux appartements de ville. Elle est applicable aux lieux collectifs comme les hôtels, les hôpitaux, les centres pour personnes âgées ou handicapées. Philippe Marleix admet viser un public très varié.

Il a dès lors conçu une toilette autonettoyante totalement encastrée dans le mur. Lorsque le client a un besoin urgent, il bascule l’objet. Quand la personne a terminé, il suffit de remonter la planche. C’est à ce moment que des buses projettent de l’eau pour nettoyer le pot.

La consommation de l’eau est, quant à elle, un peu moins importante qu’avec nos toilettes contemporaines : de 3 à 6 litres par chasse. Le coût de l’installation ? Environ 1.000 euros. Le Français tente désormais de recueillir assez de fonds pour pouvoir commercialiser à grande échelle son projet.

CE LIEU DE CONFORT

Au-delà de l’aspect pratique et humanitaire, les toilettes pourraient également à l’avenir posséder de nouvelles fonctionnalités pour aider l’utilisateur à « vivre une agréable expérience ».

Siège chauffant, chauffe-pieds, accès à la musique, chasse d’eau automatique, massage, ventilation anti-odeur, capteur infrarouge pour détecter l’arrivée et le départ de la personne… Quelques-unes de ces options sont déjà exploitées au Japon, nation de la toilette hi-tech. Mais le pays peine à répandre ses innovations à travers d’autres contrées.

La toilette du futur devra de toute façon remplir trois objectifs : l’autonomie (sans eau, ni électricité), le recyclage des déchets organiques et l’économie des dépenses liées à son entretien.