Une nuit, Adolphe Sax plaqua tout pour Paris...
où la rivalité l'attendait




Alors que la Belgique célébrait son indépendance, Adolphe Sax, âgé d'à peine 16 ans, était déjà un grand facteur d’instruments. Originaire de Dinant, il n’a vécu chez nous que le temps de sa jeunesse. L’inventeur du saxophone s’échappera vite, succombant aux sirènes de la capitale française, là où il aura enfin le sentiment de jouer dans la cour des grands.

Au musée des instruments de musique (MIM) de Bruxelles, l’aile réservée aux clarinettes, cornets et autres saxhorns expose quatre vitrines à remonter le temps. Les yeux sont tout de suite attirés par cette trompette interminable, à la forme inhabituelle. Géry Dumoulin, spécialiste en instruments à vent occidentaux, est notre guide. "La trompette de l’opéra Aïda, de Giuseppe Verdi? C’est un instrument de son temps. Verdi voulait travailler avec un autre facteur que Sax, un Italien. Mais quand son orchestre arriva en France, c’est avec les trompettes de Sax qu’on jouait. Le compositeur a bien été obligé d’accepter la chose…"

En 1870, on ne présente plus Adolphe Sax. Alors âgé de 56 ans, il est, de loin, le facteur d’instruments le plus convoité, à tel point que le gotha de l’acoustique se polarise. "Il y avait deux camps, raconte Géry Dumoulin comme s’il s’en souvenait: les pro-Sax, assez nombreux, surtout dans les hautes sphères, et les anti qui voulaient continuer à utiliser les modèles traditionnels. Il ne laissait personne indifférent."




Une vie de défis



Alors qu’il jouit d’une belle réputation à Bruxelles, il se retrouve pris en duel lors d'un concert de la Grande Harmonie, orchestre apparu sous le Ier Empire français. Un membre de la troupe, jaloux d’apprendre que toutes les clarinettes empruntées seraient celles de Sax, le met au défi d’en jouer, face à une salle comble et internationale. Ce soir-là, Adolphe bluffe tout le monde.

Au fur et à mesure, ses relations se francisent. A l’étroit dans un Bruxelles qui lui correspondait de moins en moins, il prend ses affaires et emporte son atelier en pleine nuit. Direction Paris, en 1842, où il multiplie les demandes de naturalisation et les lettres écrites à la lueur d'une bougie, rassurant sa famille restée à Dinant. “Il a tout de suite défrayé la chronique, ajoute Géry Dumoulin. C’était le petit Belge qui débarquait, qui imposait ses vues. (...) Ses concurrents se sont organisés pour essayer de lui mettre des bâtons dans les roues: ils craignaient que Sax n’obtienne un monopole dans les musiques militaires; qui étaient très importantes d’un point de vue commercial.”


Facteur, mais pas businessman



Ce qui impressionnait, c’était sa capacité à perfectionner des outils déjà existants. "Son premier brevet concernait la clarinette basse. Il agrandit les trous, il élargit la perce, il repense le bec… Tout cela donnera une sonorité plus ample, qui plaira”, explique Dumoulin.

L’élite lui tend la main. Il rend cois tous ceux qu’il côtoie, Berlioz le premier. “Celui-ci racontait que Sax passait des heures en atelier, sur sa planche à dessin. A cette époque, d’autres facteurs étaient plutôt des vendeurs, des businessmen. Ils ne fabriquaient pas vraiment, ils ne chauffaient pas les clés. Sax, lui, le faisait."

(Sur cette photo, Géry Dumoulin tient un modèle de saxophone utilisé par le musicien de renom Charlie Parker, dans les années 1940)

Un “artiste” auquel il ne fallait pas confier les rênes d’une entreprise: il fera faillite à trois reprises. "Son core business, c’était plutôt les cuirs à embouchure; les instruments qu’il a remodelés, comme le cornet ou le trombone. De son vivant, le saxophone n’a pas eu autant d’importance qu’on pourrait le croire.” Pour plusieurs raisons: si l'invention de Sax, apparue lors d'une nuit créative dans son atelier bruxellois, devient incontournable dans les compositions militaires, le petit nouveau des vents n’attire pas les jeunes apprentis du conservatoire. A l'époque, personne ne pouvait en transmettre les bases: Sax terminera d'ailleurs sa vie comme professeur.

Il faut attendre le XXème siècle et le succès inattendu de musiciens comme John Coltrane ou Charles ‘Birdy’ Parker pour que le saxophone pleure enfin ses morceaux les plus connus, un siècle après que son inventeur a tout plaqué pour le paradis.

Géry Dumoulin, le passionné du MIM



Vous venez de ?
Sivry, pas loin de Chimay.



Votre instrument favori ?
Le cornet. J’aime ce côté plus doux que la trompette, qui est cet instrument noble, brillant, que tout le monde entend.



Un modèle ?
J’aime beaucoup un modèle des années 1880, imaginé par Arban.



Entre un des premiers cornets fabriqués par le père de Sax et un cornet dernier cri, vous choisissez ?
Je joue dans un ensemble qui reprend le répertoire des années 1840 sur des instruments d’époque. Mais à choisir, cela doit être plus agréable de souffler dans un neuf.



La musique, pour vous, c’est ?
Une histoire de famille, de grand-père en père, en fils…


Le saviez-vous ?



On n’arrête pas le progrès. Les facteurs d’instruments ont bien moins d’influence aujourd’hui que dans les années 1800, mais la recherche et le développement continuent: tous les ans, des brevets sont déposés sur, par exemple, les matériaux utilisés. Désormais, on fabrique un pavillon en carbone et non plus en laiton. Les pistons sont aussi de plus en plus légers et, entre les doigts du musicien, la course est de plus en plus rapide.

(Cliché pris dans la réserve, fermée au public, du musée des instruments de musique)

Nicolas

Lowyck


Journaliste