La Sainte Rolende






Depuis des siècles des pèlerins retracent, à Gerpinnes, lors de la Pentecôte, un itinéraire devenu immuable. Au fil du temps, cette procession a, comme d'autres, étoffé ses rangs d'escortes armées. LaLibre.be vous propose de marcher dans leurs pas.

Parce qu’il y a plusieurs siècles, une certaine Rolende, fille du Roi des Lombards, décide de désobéir à son père et de refuser un mariage arrangé, une procession religieuse accompagnée d’escortes militaires folkloriques se tient chaque année à Gerpinnes (Hainaut). La presque totalité des villages et hameaux de l’entité plus quelques autres de proximité immédiate retracent, lors de chaque Pentecôte, le parcours emprunté par la future sainte. Ses restes – ou ce que l’on considère comme tels – rassemblés dans un reliquaire nommé “Châsse”, porté par les mêmes familles depuis des siècles, passent de village en village. Des pèlerins catholiques ou non, convaincus ou non, répètent immuablement ce folklore désormais classé à l’Unesco.

La sainte Rolende vécue avec la compagnie d'Hymiée

Lors de cette procession, plusieurs villages et hameaux de l'entité de Gerpinnes accompagnent les reliques de la sainte. Hymiée est l'un d'eux.

Les 2 500 marcheurs de la Sainte Rolende revêtent ces uniformes inspirés de ceux du 19e siècle, marchent au pas, au son des fifres et des tambours, s’abreuvant de gouttes, de bières et même parfois d’eau. Qu’est-ce qui les anime, qu’est-ce qui les motive ?

“La Libre” s’est glissée dans leurs rangs, à Hymiée, hameau gerpinnois de près de 600 habitants. Ici ce ne sont pas moins de 300 marcheurs qui ont pris leurs quartiers.

Un folklore très masculin

La compagnie d’Hymiée regroupe une batterie, une petite fanfare, un peloton de sapeurs qui ouvre la marche et deux pelotons d’artilleurs. Armés de fusils pour les uns et de tromblons pour les autres. Tous ne sont pas du village, tous ne viennent même pas forcément de Gerpinnes. Comme tous ces folklores qui égayent la Wallonie, les marches de l’Entre-Sambre-et-Meuse, dont la Sainte Rolende est l'une des plus connues, rassemblent des personnes de tous horizons et de toutes professions.

A Hymiée, seuls les hommes sont autorisés à revêtir l’uniforme. Dans d’autres, les femmes occupent des places de “cantinières” ou de “porte-chapeaux”. Dans les fanfares qui accompagnent les compagnies de marcheurs, par contre, les femmes sont acceptées. La question de l’égalité complète des genres dans les pelotons de marcheurs est un débat vieux comme la marche.

“Chargez, chargez à volonté…”. L’ordre sera répété plusieurs fois durant le week-end. “Portez armes…”, “Présentez armes”, “Tambour roulement…”, “Pied gauche en avant”, “A mon dernier commandement, en joue, feu…”, “feu de bataillon, bataillon, apprêtez armes…” Des cris qui résonnent durant trois jours à Hymiée comme dans les villages participants.

Le dimanche

Le premier jour de marche. Après un bon petit déjeuner, la compagnie déambule dans le village.

Dans les rangs des fusils d’Hymiée, on commente le dernier tir… ou pas, on est content de se retrouver après un an d’attente. Ceux que “La Libre” a décidé de suivre ont commencé leur journée chez un des leurs. Sébastien est guide nature dans la vie civile. Ici, il n’a pas son pareil pour assaisonner le café d’un peu de genièvre. On s’en moque, on ne conduit pas.

Après les premiers tours de village, la gerbe de fleurs du monument aux morts et la remise des médailles aux plus anciens, les marcheurs d’Hymiée ont faim. Le groupe des fusils est accueilli chez un membre du peloton. Un chapiteau a été dressé dans le jardin de ses parents.

En plus du barbecue et de la pompe à bière en coulée continue, l’ambiance est assurée. Un guitariste émérite amuse les troupes en reprenant quelques standards. De Claude François à Sandra Kim. On s’en moque, on ne conduit pas.

On repart, pour le clou de la journée : la remontée de la place en bataille. “Ca ne marche jamais, on dirait un troupeau de vaches”, se désespère un vieil habitué de l’affaire. Mais la pluie et l’orage s’invitent, les marcheurs sont rincés.

“On dit que Dieu est Gerpinnois à la Pentecôte, cette année il n’est pas là”
Un soldat dépité

“Il est peut-être à Thuin ?”, rétorque un autre faisant référence à une autre marche de l’Entre-Sambre-et-Meuse qui se déroule le même week-end à quelques kilomètres de là.

La pluie redouble d’intensité, on va même ouvrir l’église pour abriter les marcheurs et autres spectateurs qui n’ont pas pu trouver d’abri dans l’unique café du village "Le bistrot” qui, en un week-end fera sa plus belle recette de toute l’année. On s’en moque, on ne conduit pas.

Le Lundi

Les choses sérieuses commencent durant la nuit. La Châsse entame son long parcours qui s'arrêtera avec la rentrée solennelle.

A 3 h 45 du matin lundi, les marcheurs sont de retour sur la place du village après quelques heures de sommeil pour les plus raisonnables. Les choses sérieuses commencent. La Châsse arrive escortée par la compagnie de Gerpinnes-centre. Hymiée prend la main et file vers Hanzinne, le village voisin où la compagnie locale les attend. Le pas est accéléré, il s’agit de ne pas traîner.

La Châsse, ceux qui la portent et ceux qui la suivent ont près de 40 kilomètres à effectuer. A Hanzinne, Hymiée s’arrête. La Châsse part pour Tarcienne, Bertransart, Les Flaches, Joncret, Acoz, Villers-Poterie, Gougnieset Fromiée. Ils ne la reverront que plus tard dans la journée, à Gerpinnes-centre, où toutes les compagnies des villages participants convergeront avant la “rentrée” solennelle.

Quelques marcheurs d’Hymiée sont reçus pour un petit-déjeuner copieux chez un ami vivant à Hanzinne. La bière spéciale, les pains aux chocolats, les pistolets et les œufs au lard, à 7 h du matin, il faut l’avoir fait au moins une fois dans sa vie. On s’en moque, on ne conduit pas.

Dans le jardin de leur hôte, les marcheurs échangent leurs fusils et leurs commentaires nécessaires sur ces derniers. Il est grand temps d’aller se coucher ou… de rendre visite à d’autres compagnies.

Le sartia

Vers 15 h, c’est reparti, les marcheurs se retrouvent à Hymiée pour rallier Gerpinnes-centre. C’est au “Sartia”, un champ suffisamment grand pour accueillir toutes les compagnies, qu’ils convergent. On attend la rentrée solennelle.

La foule est massée dans et autour du champ. Depuis le classement de la marche comme patrimoine immatériel de l’Unesco, il y a du monde pour assister aux festivités.

Les compagnies partent alors les unes après les autres et fondent sur Gerpinnes, sa tribune d’honneur et son parc Saint Adrien pour un dernier verre. On s’en moque, on rentre à pied ou on vient nous chercher.

La fête continuera encore ce mardi pour les plus téméraires et pour les femmes. A Hymiée, en effet, même si elle ne mettent pas l’uniforme, le mardi, ce sont surtout elles qui font la fête.

La sainte Rolende, c’est un mélange de ferveur religieuse bon enfant, de guindaille, de camaraderie, de tradition, de folklore et de fête. La sainte Rolende c’est chaque année, depuis des siècles et c’est parti pour durer quelques siècles encore. Pour les beaux os de Rolende.