Prothèses osseuses en 3D : "Ce que nous réalisons n’est que la pointe de l’iceberg"

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Grâce à sa facilité d’utilisation et son prix bas, l’impression 3D conquiert ces dernières années des secteurs diversifiés comme l’automobile, l’aérospatial ou l’architecture. En médecine, la chirurgie orthopédique lui ouvre aussi la voie royale : le procédé permettra d’ici peu de produire des os en biocéramique sur-mesure. Un pas de géant pour se détacher des reproductions métalliques actuelles et éviter les nombreux désavantages liés à une intervention et à la standardisation des prothèses. Une révolution… "Made in Belgium".

Accident, cancer, maladie congénitale… Les opérations osseuses sont monnaie courante dans les services hospitaliers orthopédiques. De nos jours, la manière traditionnelle de remplacer ou de réparer un os est d’en prélever directement chez le patient ou chez un donneur. Il est également possible d’implanter des prothèses standardisées en métal ou en plastique. Dans les deux cas, les chirurgiens-orthopédistes doivent « bricoler » tout en prenant en compte les nombreux désavantages que l’opération occasionne. En effet, diverses complications peuvent survenir comme des douleurs post-opératoires, des inégalités de longueur des membres ou le mauvais positionnement de la prothèse provoquant des luxations. Ces désagréments sont en réalité provoqués par la standardisation de ces prothèses imitant les os, où seuls quelques millimètres en trop ou en moins peuvent engendrer des douleurs importantes chez le patient. Un problème à prendre très au sérieux puisque, par exemple, pas moins de 20 500 Belges ont reçu une prothèse totale de la hanche en 2013. La durée de vie de celle-ci n’est que de 10 à 15 ans et nécessite d’autres opérations de réajustement dans les dix années suivant son placement.

Par ailleurs, le professeur Eric Rompen (sur la photo), chef du Département de Parodontologie et Chirurgie buccale à l’Université de Liège, affirme que "les seules prothèses 3D disponibles actuellement pour la régénération osseuse sont taillées dans des blocs osseux naturels préexistants sur base du scanner du patient". Selon lui, "l'avenir est sans conteste à l'impression 3D de blocs ou de coquilles de matériaux synthétiques sur-mesure qui vont accueillir voire stimuler la régénération".

La prothèse 3D en métal ou en plastique, une technique qui a ses limites

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Brooke Hayes est une américaine atteinte de nanisme. Devant subir une opération de la hanche en 2010, les chirurgiens ont été confrontés à l’absence totale de prothèse adaptée à sa taille. Il aurait fallu de nombreuses interventions afin d’affiner cet os de substitution, une solution inconcevable pour ses médecins qui lui ont conçu une prothèse sur-mesure grâce à une imprimante 3D.

En Chine, c’est un os en métal imprimé en 3D qui a été posé sur un patient de 84 ans. L’homme a pu réaliser quelques mouvements quelques heures seulement après l’opération contre plusieurs jours en temps normal.

Le succès de ces deux exemples de personnalisation prothétique a prouvé que l’avenir se trouvait dans l’adaptation de ces faux-os. Cependant, un problème persistait : le matériau. En titane, en plastique ou en tantale (métal cher dont la compatibilité est néanmoins plus efficace que le titane), ces matériaux ont le désavantage d’être régulièrement rejetés par le corps humain.

La 3D offrait déjà il y a plusieurs années des perspectives d’avenir pour remplacer les os malades ou abimés. Mais il aura fallu plusieurs années pour trouver la matière adéquate à son implantation dans le corps. Et c’était dans le bassin liégeois que la solution se trouvait…

Du "Made in Belgium"

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Installée sur le campus de Sart Tilman à Liège, Cerhum a été fondée en 2015 par Grégory Nolens (à gauche sur la photo), ingénieur biomédical. Spécialisée dans la reconstruction osseuse par implants médicaux en biocéramique, la société est composée de six personnes et est en pleine expansion. "Nous avons besoin de renforts !", s‘exclame son fondateur. D’ailleurs, "on commence à manquer de place", plaisante-t-il.

Et ce succès, c’est grâce à son produit-phare : une prothèse sur-mesure dont la composition est similaire à l’os, promettant 0% de rejet.

Grâce à ses avancées majeures dans l’impression 3D, la boîte liégeoise reçoit des demandes dans des secteurs variés : "On a des demandes dans l'aéronautique, l'électronique ou encore la bijouterie et le luxe. En effet, la technologie 3D est capable de réaliser des formes très intéressantes pour ces secteurs. Ce sont des marchés intéressants mais pas prioritaires pour Cerhum", nous assure Grégory Nolens.

Dans quels cas fait-on appel à une prothèse osseuse ?

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Les prothèses interviennent dans deux cas : lors d’un traumatisme comme un accident ou un cancer, ou une maladie congénitale (le bec de lièvre par exemple).

En effet, la perte osseuse dans ces différentes situations nécessite une greffe d’os. Mais la pose d’une prothèse peut également être envisagée dans des cas plus lourds.

Tous les os sont-ils reproductibles ?

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A l’heure actuelle, la société Cerhum réalise tous les os liés à l'orthopédie comme par exemple l’épaule, la jambe, le pied ou la main, mais aussi les vertèbres. La société développe également de nouveaux produits dentaires qui interviendront avant la pose d'implants et des formes imitant le maxillo-facial, à savoir : tout ce qui touche au maxillaire, au nasal, au zygomatique et à l’orbite.

Gregory Nolens admet néanmoins qu’ils ne sont qu’au "début de l’aventure". Ils se focalisent donc pour le moment sur les applications dont ils sont certains de la réussite.

De quoi sont faites les prothèses ?

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Les prothèses 3D réalisées par Cerhum sont faites à base d’os synthétique et c’est ce qui en fait son côté révolutionnaire. En effet, cette matière est composée de calcium et de phosphate, tout comme nos vrais os. "Il s'agit du meilleur matériau biocompatible pour ce genre d’utilisation", nous explique le CEO. "Elle est reconnue par le corps humain comme de l’os alors que le métal ou le plastique sont considérés comme des corps étrangers." De cette manière, les cellules du patient peuvent "coloniser" rapidement le faux os et recréer de nouveaux tissus dedans et autour de la prothèse.

L’avantage de cette innovation est donc son excellente biocompatibilité. Aucun rejet n’a jusqu’à aujourd’hui été notifié lors des expérimentations, même sur le long terme.

De plus, la biocéramique utilisée possède d’excellentes qualités en matière de régénération osseuse. Elle résiste à la friction, à la corrosion et à la compression.

Des prothèses faites sur-mesure

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"C'est comme les chaussures, illustre Grégory Nolens. On peut utiliser des formes standards, ou faire du sur-mesure. Ceci a l’avantage d’être plus efficace au niveau de la guérison mais aussi au niveau de l’esthétisme."

La première étape consiste à dessiner la prothèse. Pour cela, c’est la société 3D-SIDE, basée à Louvain-La-Neuve, qui s’en charge. Sur base de scanners radiographiques du patient, les dessinateurs sont capables de savoir au millimètre et à la courbe près ce dont le patient a besoin pour obtenir un résultat optimal. Lorsque le dessin est validé, le "volume" est transmis à Cerhum pour production.

Même si l’impression en tant que telle ne prend qu’entre une et trois heures, le procédé dans son entièreté peut s’étendre sur une à trois semaines.

Aujourd’hui, Cerhum est toujours en phase développement. Mais le procédé a déjà permis de fabriquer plus de 10.000 prothèses en un an. "L’impression 3D de prothèses est mûre, on pourra bientôt passer à la production commerciale", assure le CEO.

Vers une commercialisation dans l’année

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Le professeur Rompen, spécialisé dans la régénération osseuse et les biomatériaux, est également optimiste : "certes, les certifications ne sont pas encore obtenues donc l'utilisation clinique n'est pas encore possible. Mais nous espérons que cela puisse être le cas endéans l'année".

Un point spécifique pourrait cependant être amélioré selon le fondateur de Cerhum (sur la photo) : "chaque application a ses restrictions. L’un des principaux freins pour le moment est la charge mécanique pour pouvoir résister à des pressions importantes comme la mastication ou subir des chocs extérieurs".

Au-delà de ces recherches, il évoque plutôt des évolutions et des combinaisons. "Nous découvrons tous les jours de nouvelles pathologies que nous pourrions traiter. Par exemple, nous pensons qu'il sera un jour possible de combiner notre produit avec des cellules souches afin de soigner des patients dont les os prennent trop de temps à se réparer. Ce que nous montrons n'est que la pointe de l'Iceberg."

Combien coûteront ces prothèses ?

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Gregory Nolens ne souhaite pas s’avancer mais affirme que "le prix dépendra fortement des applications et du défaut à corriger. Les prothèses représenteront un coût de toute façon bien inférieur à une procédure de prélèvement d'os chez le patient et de sa réhabilitation. Et c’est sans compter le confort de vie du patient qui sera largement amélioré. C'est pour cela que nous espérons que la plupart d'entre-elles seront remboursées par la mutuelle".