Le Parc Royal de Bruxelles,
un parc franc-maçon ?

La Libre Explore poursuit sa démarche d'éclairer les pseudo-mystères historiques.Et, dans son second volet, démonte un mythe bien installé.
Celui du Parc royal, franc-maçon.
En compagnie de trois historiens.

"Parc de Bruxelles; Quatre heures après dinée, 1834" © Bibliothèque Royale

"Parc de Bruxelles; Quatre heures après dinée, 1834" © Bibliothèque Royale

Les férus du Bruxelles architectural auront sans doute été touchés par une interprétation très diffusée, à savoir que le parc Royal de Bruxelles, suivant un plan général sur le modèle d’un compas et d’une équerre, serait en fait un parc maçonnique... 

Situé entre rue Ducale, la place des Palais, la rue Royale et la Rue de la Loi, le Parc de Bruxelles a été le terrain du développement de théories historicisantes fumeuses.

De quoi encore nourrir la bête fantasmatique de la franc-maconnerie mystérieuse.
En compagnie de Jean Van Win, historien, Xavier Duquenne, historien d'art et spécialiste du Parc, et Alain Jurisse, guide conférencier du musée de la franc-maçonnerie à Bruxelles, on dissèque les contre-vérités associées au Parc et à la franc-maçonnerie en général.

L'entrée du Parc, côté Palais Royal © Johanna De Tessières

L'entrée du Parc, côté Palais Royal © Johanna De Tessières

1.Symbolique maçonnique au Parc

On observe les détails du Parc.
Entretien avec Jean Van Win, historien.

Une vue du parc de Bruxelles, © Johanna De Tessières

Une vue du parc de Bruxelles, © Johanna De Tessières

Le Parc Royal de Bruxelles est un lieu emblématique de notre ville et par ailleurs il est soumis à une mythologie maçonnique qui a fait couler beaucoup d'encre.

Dans “Bruxelles maçonnique, faux mystères et vrais symboles”, j'ai cherché à démonter ces inventions mystèrieuses, même s’il y a tout de même des symboles maçonniques qui touchent au parc de Bruxelles et à la ville...

Quels sont les symboles maçonniques qui sont de l’ordre du réel et non de l’ordre du mythe dans notre parc ? 

Ce sera bref, car peu de symboles sont authentiquement maçonniques. On peut être certain que le sculpteur Godecharle, qui était très connu à la fin de la gouvernance de Charles de Lorraine, a sculpté les trophées qui se trouvent de part et d’autre du portail de l’entrée du Sénat, en face du parc de Bruxelles, rue de la Loi (cf. notre illustration ci-contre). Sur le portail d'entrée du Sénat on y voit des symboles maçonniques. 

Parlez-nous de cette symbolique maçonnique.

Dans l'ordre, on y voit un oeil inscrit dans un triangle, c’est l’oeil du grand architecte. On y voit aussi un livre qui est certainement la Bible ; un compas qui est l’instrument maçonnique par excellence ; une équerre. On y voit également une colonne tronquée. C’est un symbole de l’Ordre de la Stricte Observance, dont faisait partie le Prince de Starhemberg. Starhemberg s’est chargé du Parc de Bruxelles sous les instructions de Charles de Lorraine – qui ne fut jamais franc-maçon. Son frère François était le mari de Marie-Thérèse d'Autriche, qui était très hostile à la franc-maçonnerie dans son propre pays. C’est elle qui a approuvé les plans du parc de Bruxelles. Si ce parc avait été truffé de symboles maçonniques, elle n’aurait jamais étayé les propositions du Parc de Bruxelles.

Pourquoi la symbolique du compas et de l’équerre dans le monde maçonnique ? 

La franc-maçonnerie est une démarche philosophique qui n’est pas incompatible avec l’exercice des religions. AU XVIIIe siècle, la plupart des francs-maçons étaient catholiques, dans nos pays. (Ils étaient protestants en Angleterre et aux Etats-Unis). C’est, donc, une philosophie qui fait la promotion de la primauté de l’esprit sur la matière. La matière est représentée par une équerre : une équerre est rigide, elle ne donne que l’information de l’angle droit et rien d’autre. Elle n’a qu’un sens et qu’une signification. Dans la représentation maçonnique, le compas doit être inscrit au-dessus de l’équerre. Le compas étant mobile, et s’ouvrant selon différents degrés, démontre la mobilité de l'esprit. 

Sur ce portail décoré de la rue de la Loi, vous parliez d’une Bible...

La Bible n’est pas un symbole de la franc-maçonnerie à proprement parlé, mais les loges de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle étaient dites “des loges de Saint Jean”. Dans les loges de Saint Jean, les récipiendaires prêtaient serment la main posée sur la Bible. Et pour quelle raison me direz-vous ? Dans le Prologue de l’évangile de Saint Jean, on parle de la lumière. Or, un des principes fondamentaux de la maçonnerie consiste à dire que la raison triomphe de l’obscurité intellectuelle. (NdlR, les actuels initiés en maçonnerie ne prêtent plus forcément serment sur la Bible, mais parfois sur un simple livre ouvert.)

2. Deux contre-vérités maçonniques au Parc

La cour de Bruxelles, dessin à l'aquarelle de B.de Momper © Bibliothèque Royale

La cour de Bruxelles, dessin à l'aquarelle de B.de Momper © Bibliothèque Royale

1. Le combat entre "la patte-d'oie" et le compas.

Paul de Saint Hilaire en aura répertorié des dizaines, qu'il aura littéralement fantasmées. on revient sur le plan du Parc avec le grand spécialiste de l'architecture bruxelloise, notamment pour le Parc de Bruxelles, Xavier Duquenne.

"On a utilisé l’argument du bassin comme la tête du compas".
Xavier Duquenne, historien d'art et spécialiste du parc

Mais précisément, dans l'édification du Parc, le bassin est venu après le reste des lignes tracées par le concepteur Starhemberg.

En fait, ce plan est dit en patte d'oie, soit une allée principale et deux allées axiales. Et ce genre de plan est une figuration bien antérieure à la franc-maçonnerie. Et surtout c'est un plan très en vogue dans l'architecture des jardins, à l'époque où on élabore le plan du Parc vers 1770.

"Je suis certain que cela n’a pas été fait pour l’idée maçonnique. Mais ensuite, cela été récupéré".
Xavier Duquenne, historien d'art

2. L'inscription au V.I.T.R.I.O.L

C'est Alain Jurisse, guide conférencier du musée de la franc-maçonnerie de Bruxelles et membre du Conseil Suprême de Belgique, qui nous donne une 2e exemple de contre-vérité.


"Au Parc Royal, vous avez la mention V.I.T.R.I.O.L. "

[NdlR, V.I.T.R.I.O.L signifie Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem) soit Visite l’intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée et est souvent utilisé dans l'univers maçonnique].

"Cette mention date de 1962, elle est récente il n’a rien de maçonnique. D’autres prétendent le contraire mais dans le fond, en maçonnerie, la liberté de conscience est totale. Les individus peuvent le croire,  ça ne me dérange pas".
Alain Jurisse, guide conférencier

3. Pourquoi ce mythe du parc maçonnique a-t-il surgi ?

On décrypte avec Jean Van Win.

Vue de Bruxelles de 1785. © Bibliothèque Royale

Vue de Bruxelles de 1785. © Bibliothèque Royale

Pourquoi ce mythe du parc royal a-t-il été développé ?

De fait, c’est une théorie qui donne lieu à une littérature largement développée ! C’est une médecin montois, qui a cherché à mettre en lumière le fait que Charles de Lorraine était franc-maçon. Dans la foulée, un certain Paul Saint-hilaire, devenu “de” Saint-Hilaire a pondu des bouquins à tirage faramineux : un “Bruxelles maçonnique”, un “Brabant maçonnique”. Il a inventé cette théorie à propos du Parc de Bruxelles dans les années 70 en considérant le plan aérien. Selon lui, on y voit un compas. Et c’est là le début d’une erreur fondamentale. La forme que l'on observe est un trident. Il y a deux allées latérales, et une allée centrale, c’est ce qu’on appelle “une patte d’oie”, [Ndlr le modèle des parcs établis au XVIIIe siècle].

La franc-maçonnerie continue à faire fantasmer.

la franc-maçonnerie est une société discrète et non une société secrète. Des sociétés secrètes, il y en a, mais on ne les connait pas ! 

C'est comme s'il fallait nourrir la bête du mystère... La théorie du Parc Royal franc-maçon le démontre ...

Deux livres ont eu une grande influence sur cette espèce d’ésotérico-attitude et ont donné lieu à des ouvrages tels que ceux de Saint Hilaire. “Le matin des magiciens”, de Pauwels et Bergier, en 1960, est un livre qui a eu un retentissement énorme. Les gens s’arrachaient ce bouquin même si c'était un ramassis d’histoire abracadabrantesques.

A eux deux, ils cherchaient à démontrer que la réalité des choses était d’ordre mystérieuse, inconnue et cachée au grand public et que le grand public subissait tout cela. Cela explique en grande partie le succès des publictations de Saint Hilaire, de type “Brabant Mystérieux”, “Bruxelles Mystérieux”. Ces livres se sont vendus comme des couqus

Nous vivons à l’heure actuelle un mouvement similaire et qui s’accroche au “Da Vinci code”.
Jean Van WIn, historien

Le Da Vinci code vénère tout une série d’histoires abracadabrantes. Et dans son sillage, on observe de grands mouvements d’intérêt pour la maçonnerie, les Templiers, le Saint Graal, les alchimistes, et tout cela...

4. Le Bruxelles maçonnique

On complète nos connaissances
dans les rues de Bruxelles
et au musée de la franc-maçonnerie
avec Alain Jurisse.

A l'entrée du musée de la franc-maçonnerie de Bruxelles © Aurore Vaucelle

A l'entrée du musée de la franc-maçonnerie de Bruxelles © Aurore Vaucelle

Quelques lieux marqués de l’empreinte maçonnique dans Bruxelles

Il est vrai que la ville de Bruxelles compte le plus grand temple de style "égyptisant" du continent  : il se situe Rue de Laeken, et a été construit en 1910.

Le premier temple bruxellois qui accueillait une loge est situé rue du Persil, il a été édifié en 1879. Cependant, il n’est pas possible de percevoir de l'extérieur que ce sont des temples maçonniques car les décorations ont été arasées, à une époque où la maçonnerie n’avait pas le vent en poupe  dans la société. Si c’est temples sont fermés au public, on peut néanmoins les visiter lors des Journées du Patrimoine.

D’autres indices architecturaux plus voyants de la maçonnerie dans Bruxelles. A la Grand Place, et auprès de la statue de T'serclaes réalisé par Julien Dillens qui appartenait à la franc-maconnerie, on peut voir une stèle à la gloire de Charles Buls, grand franc-maçon, faite par Victor Horta. Sur cette stèle, on observe une lampe à huile qui est la lumière de l’esprit ;une femme qui tient un compas devant les plans de la ville, et une volute recouverte d’acacias, qui fait référence à la franc-maçonnerie. 

On pourrait aussi citer la sculpture de Georges Dobbels, qui s’élève à front de l’avenue Franklin Roosevelt, sur laquelle on observe divers symboles maçonniques dont le compas et l’équerre.

Enfin, le fronton du château royal de Laeken a été sculpté par Godecharle. Albert de Saxe-Teschen qui a succédé à Charles de Lorraine en 1780, a fait construire Le Château de Schonenberg, devenu le château royal de Laeken. Cet Albert de Saxe Stechen était membre de la Stricte Observance, une obédience maçonnique très distinguée qui ne comportait que des aristocrates. Et sur ce fronton, où on peut voir notamment une allégorie du temps qui passe, on trouve un symbole maçonnique : une colonne tronquée. C’est un symbole par le franc-maçon Godecharle pour le francs-maçons Saxe-Stechen. 

Définition de la franc-maçonnerie. 

“La maçonnerie c’est un élément de construction. Et le maçon que construit-il ? Il se construit et, ans le même temps, il essaie de construire une société meilleure – avec tous ceux qui n’appartiennent pas à la franc-maçonnerie. Mais précisons que ce n’est pas une religion, ni une église, ni une école, ni un parti politique. C’est une méthode d’accès à la connaissance”.

Fascination et réputation.

Sans doute est-ce parce que la franc-maçonnerie est assez mal connue qu’elle continue à fasciner les foules. Comme le disait Jean Van Win (cf.ci-contre), c’est une association discrète, qui fonctionne selon un système fermé, par initiation. La manière dont on perçoit la franc-maçonnerie est aussi le résultat de l’Histoire. “L a franc-maçonnerie a été en but à l’hostilité de mouvements religieux et politiques. La réputation sulfureuse est donnée par ceux qui sont opposés à la franc-maçonnerie.Notamment en réponse au fondement de la franc-maçonnerie. “Ceux qui défendent une vision totalisante de l’individu ou de la société (comment on doit vivre ; comment on doit mourir, etc.) et qui prétendent détenir la Vérité ne peuvent accepter que cette vision soit contestée. Or le franc-maçon est celui qui pratique le libre-examen, c’est à dire qu’un aucun individu n’a la vérité absolue, ce qui gêne ses opposants”.

Comment devient-on franc-maçon ?

Tout le monde peut entrer en maçonnerie, même ceux qui pensent que la terre est plate ou que le monde évolue sur la carapace d’une tortue. Cependant, “il faut avoir la capacité d’entendre des opinions qui ne sont pas les vôtres. Mais j’ai l’habitude d’ajouter : on n’est pas les seuls, on n’est pas les meilleurs, on n’est pas les plus beaux. On peut avoir une vie extraordinaire sans appartenir à la franc-maçonnerie”.

Et si on vous donnait un avant-gôut du musée de la franc-maçonnerie bruxellois...Suivez le guide.

A l'agenda d'EXPLORE.

Le 28 mai, nous vous donnons rendez-vous, chers lecteurs. A la suite de ce dossier, nous vous invitons à une après-midi découverte de la franc-maçonnerie dans Bruxelles.

En compagnie du journaliste Christian Laporte, nous visiterons le musée de la franc-maçonnerie. Puis nous poursuivrons notre balade, à travers le Parc Royal de Bruxelles. Une visite guidée permettra d'en découvrir la grande histoire et autres anecdotes. Une surprise attend nos lecteurs en fin d'après-midi. Pour vous inscrire, www.lalibre.be/action/francmaconnerie
(Attention, places limitées)

A suivre dans la rubrique La Libre Explore, un éclairage de la bataille de Waterloo. Rendez-vous dans un mois, le 26 mai, dans nos pages culture de « LaLibre ».

Pour continuer sur le sujet,

- « Le parc de Bruxelles », Xavier Duquenne, aux éditions CFC.

- « Bruxelles maçonnique. Faux mystères, vrais symboles », de Jean Van Win, aux éditions Cortext.

- "Itinéraire de la franc-maçonnerie à Bruxelles", édité par laSociété Royale de Géographie, éd. Parcours maçonnique, Bruxelles, 2000.

- Le musée de la franc-maçonnerie est ouvert , à Bruxelles, rue de Laeken, 71. Du mardi au vendredi, de 13h – 17h et le samedi jusque 16h30. Entrée de 2 à 6 euros. Visite guidée conseillée.

A voir, aussi, un travail photographique sensible, au coeur du musée de la franc-maçonnerie signé @bewephoto_artist