Comment l'école francophone pourrait s'approcher du "miracle finlandais"



En Finlande, la réussite du système scolaire est qualifiée de miracle. Etonnant, ce succès n'est pourtant pas mystérieux. Avec le Pacte, l'enseignement belge francophone parviendra-t-il à le reproduire ?

Mais comment fait-elle ? Alors qu’elle investit moins que la Belgique francophone dans son enseignement, alors que ses profs sont mieux payés, que ses élèves ne redoublent (presque) jamais et bénéficient de journées plus courtes et plus variées avec des cours de bois, de couture et d’entretien ménager, la Finlande surpasse en tous points notre enseignement lors des études internationales qui évaluent l’efficacité et l’équité des systèmes scolaires. Comment fait-elle ?

Au fond de l’atelier de technologie de l’école communale Kirkkojärvi située au large d’Helsinki, une armoire entrouverte épaissit encore le mystère. Y sont méticuleusement rangés par les élèves des pinces, des maillets, des tournevis, des scies, des limes et des ciseaux à bois. À ses côtés, l’atelier est constitué d’une dizaine d’établis, alors qu’au fond du couloir deux autres classes, parsemée de tables et de fours pour l’une, et de dizaines de guitares, pianos et batteries pour l’autre, se donnent des allures de cuisine familiale et de studio d’enregistrement. Cet établissement qui encadre 725 élèves âgés pour la plupart entre 6 et 16 ans ressemble décidément à un miracle grandeur nature.Ce miracle, qui est celui de toutes les écoles publiques finlandaises, ne passe d’ailleurs plus inaperçu aux yeux du monde. La directrice des lieux, Maria Stenbacka, avoue dans un sourire qu’elle accueille, comme la plupart de ses collègues, des dizaines de visiteurs par an. Le système d’enseignement local fait désormais l’objet d’un véritable tourisme pédagogique. .

Ce miracle, qui est celui de toutes les écoles publiques finlandaises, ne passe d’ailleurs plus inaperçu aux yeux du monde. La directrice des lieux, Maria Stenbacka, avoue dans un sourire qu’elle accueille, comme la plupart de ses collègues, des dizaines de visiteurs par an. Le système d’enseignement local fait désormais l’objet d’un véritable tourisme pédagogique.

L’élève est au centre de tout. Et cela se voit.

Un seul miracle, certes, ne préfigure pas toujours le paradis, mais l’école Kirkkojärvi surprend tout de même positivement. Autour de quelques tables qui ponctuent les couloirs, quatre élèves travaillent ensemble pendant que les autres suivent en classe les cours de l’enseignant. Tous sont en chaussette, “pour faire comme à la maison”. “Et vous observerez que tout est réfléchi, glisse le concierge des lieux. Dans cette partie destinée au plus jeunes, les locaux sont plus petits. Les architectes ont également imaginé l’école pour qu’elle soit lumineuse.” Dans une région qui aperçoit à peine le soleil en hiver, la chaude clarté des intérieurs invite en effet les élèves à s’y engouffrer. “Tout doit participer au climat général et souligner la bienveillance que nous souhaitons instituer entre les élèves et les enseignants”, poursuit la directrice depuis son bureau vitré. “Et ça marche. L’an dernier nous n’avons dû renvoyer qu’un élève.” A l’est d’Helsinki, le lycée franco-finlandais présente les mêmes aspects. “Et vous pouvez aller partout en Finlande, ce sera la même chose”, note le directeur Kari Kivinen.

Si l’architecture participe donc au climat général d’échanges et de bienveillance souhaité, elle témoigne surtout, en se conjuguant aux besoins de chacune des classes, de la place centrale octroyée à l’élève. Car si les enseignants bénéficient d’une plus large autonomie pédagogique qu’en Belgique, la plupart favorisent une approche “par le faire” qui impose aux jeunes d’être constamment actifs dans la découverte du savoir, et qui privilégie, dans l’ensemble des matières, l’activité manuelle. Découper, trier, manipuler, tester, sentir inscrirait davantage le savoir dans la durée. À entendre les profs d’ailleurs, une telle approche pédagogique est indispensable pour répondre à la diversité des élèves qui suivent, dans une même classe, un même tronc commun pendant dix ans, de 6 à 16 ans.

Le tronc commun venu du nord

La réussite du tronc commun se présente à son tour comme un des succès de la Finlande. Ce tronc commun se développe cependant à la mode nordique : lors des deux dernières années, les adolescents ont la possibilité de choisir quelques options (à raison, en général, de deux ou trois heures par semaines). Ce choix des options n’est actuellement pas prévu par le Pacte d’excellence qui appelle à la mise en place d’un tronc commun de la maternelle à l’âge de quinze ans. Contrairement à la plupart des enseignements du sud de l’Europe également, les Finlandais ne pratiquent pas le redoublement. Ou très peu. Seuls 4 % des élèves de quinze ans ont doublé une fois ou plus. Ce chiffre est de… 48 % en Belgique francophone.

Pour éviter le redoublement, les Finlandais ont développé une armada de dispositifs. Le premier est le regard du professeur, explique Maria Stenbacka. “Quand un élève est difficile, on se dit avant tout que nous n’avons pas été capables de comprendre le pourquoi. Et c’est ce pourquoi que nous cherchons à corriger.” “En Finlande, il y a en effet cette certitude que tous les élèves sont capables d’apprendre, mais qu’il revient au prof, dont c’est le métier, de trouver comment”, renchérit Laure Leporini, enseignante spécialisée au lycée franco-finlandais.

Toutes les écoles, pour favoriser l’accompagnement très serré des élèves qu’imposent le tronc commun et les pédagogies dites “socioconstructivistes”, bénéficient également d’un thérapeute et de profs spécialisés (il y en a 10 à Kirkkojärvi) qui passent d’une classe à l’autre épauler un collègue ou prendre en charge un élève dès qu’une difficulté se présente. Quant à ces derniers, ils sont encouragés à s’entraider. Cette collaboration peut d’ailleurs aller loin. À Kirkkojärvi toujours, ce sont de jeunes Finlandais qui racontent des histoires aux primoarrivants. Ces derniers sont donc introduits dans la langue par leurs camarades, et inclus directement dans la vie de l’école. L’inclusion de tous au sein d’un même groupe est aussi une des caractéristiques de la Finlande. Une caractéristique qu’aimerait poursuivre le Pacte, tant elle favorise grandement l’équité d’un système, et augmente “légèrement, mais augmente tout de même” le niveau général de l’enseignement, explique Dominique Lafontaine, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Liège.

La patiente formation des enseignants

Inévitablement, c’est aussi la formation des enseignants (cinq années initiales avec l’obligation de suivre d’autres formations en cours de carrière) qui se présente comme plus rigoureuse et complète qu’en Belgique. Et cela, tant d’un point de vue disciplinaire que pédagogique. Mieux payés, davantage formés pour s’adapter à tous les types d’élèves, les profs sont aussi sélectionnés à l’entrée des études. Seuls 10 % des postulants obtiennent une place. En est-ce une conséquence ? En 2011, le métier d’enseignant était le deuxième métier le plus attractif en Finlande. La légitimité des enseignants dans leurs rapports avec leurs élèves et les parents en seraient modifiés.

Ces compétences vont de pair avec une très large autonomie offerte aux directions comme aux professeurs qui doivent “simplement” se conformer aux attendus fixés par l’État. L’équipe pédagogique, collectivement et en fonction de son environnement, planifie par ailleurs des objectifs à atteindre vers lesquels elle sera accompagnée par la municipalité qui a la compétence sur l’école et qui pourra, en cas de difficultés particulières, octroyer davantage de moyens. Cette autonomie et ces objectifs à fixer sont très proches, sur papier, du projet du Pacte d’excellence, et du mode de gouvernance qu’il entend introduire avec ses “plans de pilotage” des écoles.

Un système qui n'est pas à l'abri des difficultés futures

Jusqu’aux excursions ou aux repas chauds offerts tous les midis, on pourrait poursuivre la liste des bons exemples de cet enseignement totalement gratuit. La Finlande a pu en effet réduire les coûts de son école en rationalisant davantage qu’en Belgique son offre scolaire, et en évitant la facture liée au redoublement. Celle-ci, chez nous, avale à elle seule 11% du budget alloué à l’enseignement. Au-delà de ces exemples, deux bémols se présentent cependant. Depuis quelques années relève Sirkku Kupiainen, chercheuse à l’université d’Helsinki, on voit apparaître des différences de niveaux entre classes. “C’est un phénomène classique, note Dominique Lafontaine. Quand les écarts entre écoles sont limitées, il y a souvent pas mal de différences entre classes, un peu comme s’il était quasi impossible d’échapper à toute forme de regroupement par niveau. A certains égards, cela rend le système éducatif finlandais moins “exceptionnel”, plus compréhensible, sans lui ôter d’indéniables qualités.”

De même, les acteurs interrogés doutent de la capacité du système à survivre tel quel dans une société qui s’annonce davantage hétérogène suite à l’arrivée un peu plus importante qu’auparavant de migrants. En Finlande en effet, chaque écolier, sauf exception, est inscrit dans l’école de son quartier. L’installation d’une ségrégation résidentielle menacerait donc l’homogénéité du système scolaire. “Dans notre école, nous estimons que nous pouvons accueillir des élèves issus de l’immigration jusqu’à un taux de 40 %”, explique Maria Stenbacka. Des écoles issues de quartiers où ce taux serait plus important pourraient faire face à des difficultés inédites. “Le seul avantage, note Laure Leporini, c’est que les Finlandais sont conscients de ce risque.”

“Il n’empêche..., conclura-t-elle plus tard en choisissant ses mots, bien que l’enseignement Finlandais ne définisse pas de recette magique, il présente des atouts dont il est légitime de s’inspirer.” Si le secret de la réussite de l’enseignement finlandais est donc inséparable du contexte national, il est intéressant d’observer qu’il partage un certain nombre de caractéristiques avec d’autres systèmes à succès : l’exigence de la formation des enseignants et de la collaboration entre eux ; l’autonomie et le leadership des directions et, enfin, l’accompagnement des écoles et des élèves, en favorisant, pour ces derniers, le diagnostic et la prévention immédiates des difficultés. Autant de souhaits avancés par le Pacte.

Repères

Évaluations. Face à la Finlande, la Belgique francophone fait pâle figure. L’enquête internationale Pisa de 2015 classait l’enseignement finlandais dans le top des pays de l’OCDE en matière d’efficacité et d’équité, malgré une baisse de ses résultats par rapport aux précédents tests. La Belgique francophone occupait la queue du classement. À l’occasion de l’étude Pirls de 2016 qui évaluait les compétences des élèves en lecture, la Finlande, au contraire de la Belgique francophone toujours, présentait également d’excellents résultats en se classant à la deuxième place.

Système L’école finlandaise est structurée autour d’un réseau unique et décentralisé au niveau des municipalités. À la suite du tronc commun, près de 55 % des élèves se dirigent vers le supérieur. En secondaire, ces élèves suivent 844 heures de cours par an pour 971 chez nous. Les profs sont mieux payés (entre 3 800 et 5 500 euros par mois), alors que la Finlande investit moins (4% de son PIB) que la Belgique (4,25 %) dans son enseignement.