Ces métiers inattendus du Parlement fédéral

Anecdotes et témoignages des personnes de l'ombre

"L’union fait la force", "Eendracht maakt mach".

La devise surplombe la salle plénière du Parlement fédéral. Juste en dessous, flottent les drapeaux belge et européen. La salle est presque vide, aucun député en vue, la séance plénière ne commence que dans quelques heures.

Dominique et Annick

"On a parfois plus d'impact que le président de la Chambre"

Dominique parcourt les bancs vides. Elle distribue l’agenda de la séance plénière à chacun des 150 députés. Plus haut dans les tribunes, l’une de ses collègues installe les chaises pour que la presse puisse suivre le travail parlementaire. Encore un peu plus loin, Annick s’assure du suivi des dossiers : "Il faut envoyer les amendements et les motions, qui ont été votés, aux différents services". Leur métier ? Huissière, "et c’est un rôle très varié", précisent-elles.

Elles sont vêtues d’un pantalon noir, d’un chemisier blanc et d’une cravate. "Un collègue a déjà dû prêter la sienne à un député qui n’en avait pas alors qu'il devait s’exprimer au perchoir", se souvient Dominique. En cas d’événement plus protocolaire, elles ajoutent des gants, noirs ou blancs selon les circonstances. Toutes deux sont bilingues, comme l'exige la fonction. "J’ai un accent flamand mais je suis francophone, c’est resté à force de m’entraîner à prononcer les ‘r’", s’amuse Annick.

L’une de leurs tâches est, entre autres, de veiller au bon déroulement de la séance plénière et des commissions : "Que ce soient les visiteurs ou les députés, on surveille tout le monde", explique Dominique. "On a parfois plus d’impact que le président de la Chambre", renchérit Annick. "Certains députés sont des orateurs phénoménaux et ont du mal à respecter le temps de parole qui leur est accordé, c’est alors à nous de leur demander de descendre car, avec le président ça ne marche pas toujours, c’est un petit jeu politique."

Après 34 ans de carrière, Annick fêtera demain sa première année à la tête du service. Elle a connu trois Rois: Baudouin, Albert II et Philippe. "Que ça passe vite…" Dominique acquiesce. "C’est vrai, moi ça fait déjà 23 ans." Pourtant, elle n’a pas assisté à la prestation de serment du Roi Philippe. "J’étais en vacances à l’étranger", soupire-t-elle. "C'est vraiment un événement que j'aurais souhaité vivre."

Il y a aussi un côté relationnel au métier. "C’est l’une des choses que je préfère", confie Dominique. Le Dalai Lama, Yacer Arafat, Poutine,… autant de personnalités politiques qu’elles ont eu "la chance de rencontrer". Et celle qui aura le plus marqué les esprits, c’est Ingrid Betancourt. "L’entendre raconter son histoire, c’était quelque chose de fort. C’est un souvenir qui m’a beaucoup marquée".

Des souvenirs, elles en ont plein la tête. De très bons, pas de mauvais. "Je dirais plutôt des difficiles", rectifie Annick, et pour l’illustrer, elles sont unanimes : c’est la commission Dutroux qui a été le plus dur à gérer. "C’était un contexte très lourd, on a vu et entendu des choses difficiles." Ces dires ne sortent pas de la salle, Annick et Dominique ont d’ailleurs dû prêter serment à leur entrée en fonction. C’est la même chose avant chaque commission d’enquête, "c’est un métier de responsabilité et de confiance".

Mustapha

"Le premier jour, j’ai atterri dans le bureau de Premier ministre"

Deux étages plus bas, Mustapha déambule dans les sous-sols du Parlement. "Ce ne sont pas les coulisses mais carrément les catacombes des lieux", rigole ce technicien. Habillé d’une chemise à carreaux, sa tenue est plus décontractée que celle des huissiers. "Je ne porte pas d’uniforme, je ne me sens pas à l’aise dedans", confie-t-il. Dix-huit ans que cet ancien animateur dans une maison de quartier travaille dans ce Parlement. Il se fond dans la masse, entre les fils internet et téléphoniques.

Du trousseau qu'il sort de sa poche, il compte une cinquantaine de clés. "C’est le strict minimum." Beaucoup de serrures sont devenues électroniques aujourd’hui, "on a moins de clés qu’avant mais je ne m’y retrouve pas toujours".

Les salles sont nombreuses, les couloirs interminables. Mustapha parcourt des kilomètres au sein de l’institution fédérale. "La première semaine, j’étais complètement perdu, à tel point que quand je suis revenu de ma pause midi, je me suis trompé d’entrée et j’ai atterri dans le bureau de Premier ministre". A l’époque, c’était Guy Verhofstadt qui tenait le 16 rue de La Loi.

Dans les caves, Mustapha ouvre plusieurs portes. Derrière celles-ci, on peut découvrir des installations techniques, réalisées par lui et ses collègues, notamment la centrale informatique. "Ça n’a pas l’air très ordonné vu comme ça, mais en réalité tous les fils sont annotés et ils ont un fichier qui leur correspond", explique-t-il. Les installations ont été mises à jour, c’était une nécessité avec la technologie toujours plus avancée.

Dans une énième pièce, il désigne un tunnel au milieu de nulle part. "Pour l’anecdote, il parait que ce passage mène directement au Palais royal mais je n’ai jamais essayé."

Ce technicien travaille dans l’ombre. Sans lui et ses collègues, rien ne fonctionnerait au Parlement. Les micros, la téléphonie, la lumière, les écrans du moniteur : "Tout ça, c’est nous qui gérons". L’homme est multi-tâches, sans aucun doute. "On répare, on installe, on met à jour, il y a toujours quelque chose à faire. On ne sait juste pas si on va pouvoir le faire sereinement ou si ça sera dans l’urgence." Les journées sont toutes différentes, en fonction des chantiers et des urgences. "Lorsque la grille ne s’ouvre pas par exemple, on doit réparer la panne très vite sinon le boulevard se retrouve bloqué."

A la moindre panne donc, c’est eux qu’on appelle. Mais pas seulement. "On doit installer les salles où il y aura les projections ou gérer le matériel pendant dans les conférences. On est aussi là pour s’assurer que tout se passe bien, si la réunion est à huis-clos, on doit vérifier que rien n’est retransmis en dehors."

Les réunions sont parfois tellement importantes que la présence des techniciens est requise tout au long de celles-ci. "Je me souviens d’une réunion avec Michel Barnier (NDLR : le négociateur en chef de l'UE sur le Brexit). Le matériel était opérationnel et quand ça a commencé tout a planté. J’ai donc assisté à la réunion malgré moi. Mais c’est toujours instructif."

Républicain assumé, il repense à la fête du Roi : "J’ai déjà été désigné de garde pour cet événement, on en a beaucoup rigolé avec l’un de mes collègues qui est, lui, très royaliste".

Cyril

"Je pourrais être le fils de beaucoup de monde ici"

En cuisine, Cyril prépare les sandwichs pour la soirée. La séance plénière va terminer tard ce soir, les députés pourront en grignoter quelques-uns avant de voter. Vêtu d’un costume noir, d’une chemise blanche et d’une cravate mauve, Cyril est barman au Parlement depuis moins d’un an. "Avant, elle (la cravate) était rose mais j’y ai échappé."

Du haut de ses 20 ans, il est de loin le plus jeune travailleur du Parlement fédéral. "C’est sûr que je pourrais être le fils de beaucoup de monde ici", confesse-t-il. "Mais tout se passe bien avec mes collègues." Ils sont une dizaine dans l’équipe.

Parfait bilingue, il a rejoint le Parlement après avoir passé (et réussi) trois examens : "un écrit de langue et culture général, un oral de néerlandais et un test sur le métier". Après une période d’essai, ce jeune diplômé de bureautique a été engagé. "Le métier me plait énormément, encore plus que ce à quoi je m’attendais", explique-t-il.

Les débuts étaient cependant intimidants. "Croiser toutes ces personnalités sur son lieu de travail c’est assez bizarre, mais finalement ce sont des gens comme vous et moi". Derrière le bar, il sert les 150 députés de l’assemblée ainsi que les ministres. "Je me souviens de mon premier jour, le Premier ministre est entré dans la buvette et c’est moi qui l’ai servi. C’est un peu stupide, mais ça m’a marqué", dit-il un peu gêné.

Même s’il travaille dans l’enceinte fédérale, Cyril parle très peu de politique au boulot. "Lorsque les députés viennent ici, ils sont aussi là pour souffler entre les commissions ou la plénière donc on peut lancer des discussions sur n’importe quel sujet." Il n’a d’ailleurs jamais assisté à une altercation et il décrit une bonne ambiance entre les députés. "C’est comme partout, il y a le travail et il y a le reste." Jamais l’idée ne lui est venue de titiller un député sur l’une ou l’autre question. "C’est important de savoir rester à sa place", dit-il modestement. "Ensuite, je pars du principe que je ne connais pas tous les députés et leurs idées donc j’évite d’engager un débat."

L’aspect relationnel du métier, c’est ce qui lui plaît le plus. "Je me sens vraiment chanceux de pouvoir travailler ici", ajoute le jeune travailleur. "Et s’il y a bien quelque chose dont je me suis rendu compte, c’est que le Parlement est un endroit où l’on travaille réellement, il y a toujours quelque chose en préparation pour le pays."

Alain

"Le trône royal n'est pas très confortable"

Alain, c’est le couteau suisse du Parlement : personne n’oserait s’en passer. Et lorsque l’on pense que l’un de ses outils ne sert à rien, il vous démontre le contraire. Il fouille dans les moindres coins de la cave "à la recherche de trésors" : du bois, des chaises à restaurer, du tissu qui deviendra rideaux.

"Rien ne se perd, tout se transforme", ça pourrait être sa devise. Ses collègues rigolent souvent de ses manies. "Lorsque je vois de tels meubles à la cave, je les remonte à la surface et je les restaure, c’est plus fort que moi", déclare-t-il.

Alain, c’est le garnisseur et tapissier du Parlement, depuis 17 ans. "Bientôt 18 !", reprend-il.

Il est très prisé par les médias, la RTBF l’a d'ailleurs déjà rencontré, d'autres aimeraient l’interroger mais son agenda est bien rempli. Il faut dire que s’il y a bien un métier auquel on ne penserait pas au Parlement, c’est bien celui-là. Et pourtant, son ouvrage est partout, "du sol au plafond".

Le bureau des ambassadeurs, par exemple, c’est son œuvre. "Tout le monde en était très content, sauf la couleur des sièges, j’ai mis de l’orange car il y avait déjà trois tons verts différents." Ce bureau a notamment été le lieu des négociations pendant la crise politique de 541 jours. "Elio Di Rupo recevait les gens ici car l'endroit est bien isolé", explique Alain, pour qui les lieux n’ont aucun secret.

Du détail et de la précision, ce sont les caractéristiques du métier. "Et de la patience aussi", s’exclame-t-il.  En ce moment, il travaille sur les chaises de la présidence. "Il faut soigner le bois, l’entretenir et également recoudre les coussins un par un." Le travail est minutieux, il demande du temps. "Il ne s’agit pas de faire les choses vite mais de les faire bien. Le travail que l’on réalise est là pour durer dix à vingt ans", raconte Alain, concentré sur ses tissus.

Dans le service, ils ne sont plus que deux : Patrick et Alain et ça donne un sacré duo. "On rigole bien ensemble", confesse Patrick. L’ambiance est au beau fixe entre les deux hommes et c’est nécessaire au vu des tâches qu’ils doivent accomplir. Le lendemain de l’attaque de Liège, ils se sont occupés des drapeaux en berne. "Ça n’a l’air de rien, mais c’est du boulot, imaginez 36 mètres carrés à mettre pendre seul, c’est impossible."

"Hier on a dû décrocher les œuvres d’art dans un des bureau". Impossible d’imaginer ce que cela représente. Il s’agit d’enlever chaque vis, autour des cadres, un par un et ensuite restaurer le tableau. "Heureusement d’autres services viennent nous donner un coup de main, les ébénistes et les peintres entre autres."

Au milieu de son atelier, trône (c’est le mot) le fauteuil du Roi. Sa présence est insoupçonnée entre les coussins, les machines à coudre, les tapis et les chaises. Il est d'ailleurs emballé pour ne pas qu'il soit abîmé. Du bois massif et du velours de soie le composent. "Il date de 1890, c’est mon prédécesseur qui l’a restauré en 1991, un peu avant le sacre d’Albert II".

"Le sacre de Philippe, c’était vraiment quelque chose", se souvient-il. "Il a fallu démonter la tribune du président et installer le trône à la place, d’ailleurs il n’est pas très confortable", rigole-t-il.