Portrait de Adelma Tapia Ruiz

Adelma Tapia Ruiz

36 ans

Belge

Adelma Tapia Ruiz, la dernière danse d’une native de l’Amazonie

Ce sont peut-être les dernières images d’Adelma. Elles ont été tournées le mardi 8 mars, sur l’esplanade qui borde la gare de Bruxelles-Central. Pour la Journée internationale des femmes, plusieurs associations féministes s’étaient rassemblées au cœur de la capitale belge. Les prises de parole s’étaient succédé sur une tribune de fortune. Un groupe de femmes latino-américaines, toutes vêtues de blanc, avait préféré la danse comme mode d’expression.

La vidéo, diffusée sur YouTube, témoigne de la vitalité qui animait Adelma Tapia Ruiz. On la voit cheveux au vent, sourire radieux, les oreilles ornées de boucles d’argent. Parmi les corps qui se déhanchent, dans une chorégraphie joyeuse, la jeune femme dégage une lumière particulière. Les bras à l’horizontale, elle avance en ondulant, roule les épaules, puis fait marche arrière, la tête inclinée vers le sol. Elle virevolte, au son d’une complainte andine, où le chant ressemble à des cris d’oiseaux. Quand s’achève la dernière danse, elle frappe dans les mains, adresse de grands gestes à la caméra, le pouce levé vers le haut.

Pédicure médicale

C’est en 2007 qu’Adelma avait laissé derrière elle le Pérou, elle qui avait grandi à Pucallpa, en Amazonie. "C’était depuis l’enfance une fille très gaie, très expressive, raconte son frère aîné, Fernando Tapia Coral, directeur du journal "La Verdad", publié à Iquitos . En même temps, elle savait ce qu’elle voulait, elle était volontaire et décidée. A Lima, elle avait fait des études d’administration et avait ouvert un restaurant avec sa sœur. Leur établissement s’appelait "El Trigal", dans le quartier de Surco."

C’est au cours d’un voyage à Puno, sur les rives du lac Titicaca, qu’elle a rencontré son futur époux, Christophe Delcambe, un Belge venu en vacances. Le mariage avait suivi, peu après. Le couple vivait à Clabecq, à vingt kilomètres au sud de Bruxelles.

Adelma adorait cuisinier. En 2014 et 2015, elle avait participé à un festival de gastronomie péruvienne à Bruxelles, où elle avait proposé ses spécialités : empanadas, "aji" (mijoté de poulet pimenté) et "ocopa" (pommes de terre nappées d’une sauce épaisse).

Volontaire, elle suivait des cours de français et de néerlandais. En septembre dernier, elle s’était inscrite à une formation en pédicure médicale, à l’institut de promotion sociale de Braine-l’Alleud.

Sa professeure, Letitia Kerner, se souvient d’une "très bonne élève, qui posait plein de questions" et d’une "boute-en-train" . "La veille des attentats, elle nous avait fait rire aux éclats. Depuis cinq ans que j’enseigne, c’est la première fois que j’assistais à un tel fou rire en classe."

"On la charriait souvent avec son accent latino, vraiment difficile à comprendre , rapporte une élève. Elle en plaisantait avec nous, elle ne le prenait pas mal."

Avec ses condisciples, Adelma parlait sans cesse de ses filles jumelles, Alondra et Maureen, qui la rendaient si fière. Le 25 novembre 2013, pour leur deuxième anniversaire, elle avait posté ce message sur Facebook : "Les voir grandir est le cadeau le plus merveilleux que la vie m’a offert. Elles sont mon soleil, le vent qui souffle chaque jour, mes étoiles et ma lune qui illuminent mes nuits."

Le 22 mars, la famille devait s’envoler pour New York, où l’une des sœurs d’Adelma s’apprêtait à se marier.

François Brabant et Paulo Paranagua ("Le Monde")


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