Marie Becker, la première tueuse en série belge :
« Le poison est l’arme de prédilection des femmes »

« C'est ce mardi matin, à 9 heures, que s'ouvrent les débats d'une des plus grosses affaires d'assises qui aient défrayé la chronique belge depuis des années : les jurés de Liège vont juger la veuve Becker, accusée, comme on le sait, d'avoir empoisonné onze personnes et tenté d'en empoisonner cinq autres », pouvait-on lire dans La Libre Belgique le 7 juin 1938.

Courageuse, persévérante, travailleuse, frivole... C'est ainsi que son entourage la décrivait. Mais comment un individu né dans un entourage croyant et « aimant leurs semblables » constitué de« braves gens » peut un jour devenir un monstre ? C'est ce qu'a tenté de comprendre Elisabeth Lange, auteure du livre Veuve Becker, La première serial killer. Une question à laquelle même les psychiatres d'aujourd'hui, comme le Dr. Samuel Leistedt, peinent parfois à répondre.

Croqueuse d'hommes, couturière à succès... Marie Becker avait-elle le profil d’une tueuse ?

Née le 14 juillet 1879 à Warmont, Marie-Alexandrine Petitjean est issue d'un milieu paysan. Elle se refuse pourtant à devenir la femme d’un ouvrier agricole ou d’un fermier. A l’époque, la plupart des gens de la campagne sont encore illettrés. Mais pas elle. Car, à force d'obsession, elle a fini par convaincre le prêtre de lui apprendre à lire. « Marie, elle n’est pas comme nous », dit-on dans le village. A 16 ans, elle fait son balluchon et part vivre la grande vie à Liège.

Elle est dévergondée, adore les cafés-concerts, sortir, fumer. Elle se fiche de ce que pensent les autres mais reste très appréciée. Les témoins du procès diront d’elle : « Marie ? Un tempérament de feu ».

A 26 ans, elle épouse Charles Becker, propriétaire d’une scierie qu’elle a rencontré lors de l'une de ses nombreuses soirées de folie.

Trois ans après leur mariage, Marie, lassée de retrouver le même amant chaque soir dans son lit, fuit furtivement l’ennui avec d’autres hommes. Elle affirmera cependant lors de son procès avoir toujours aimé son mari.

En 1920, dans un contexte euphorique et d’optimisme d’après-guerre, les femmes vivent leur première période d’émancipation. Marie Becker en profite pour ouvrir un magasin de vêtements. Elle imite à la perfection les dernières tendances et se fait vite un nom.

En 1928, elle rencontre Maximilien Hody. Un gigolo qui se dit fou amoureux d’elle. Dans ses bras, elle oublie la crise et les conflits avec sabelle-famille.

La crise de 1929 fait des ravages. Le magasin est déserté de ses habituées. Marie se fait dès lors engager comme couturière à la journée par des dames de la bourgeoisie liégeoise. « Elle prend le repas de midi à la table familiale. C’est ce qu’on pourrait appeler une femme de confiance », décrit Elisabeth Lange dans son livre.

En 1933, son mari Charles s'éteint doucement d’un cancer. Le médecin lui prescrit quelques gouttes de digitaline encore utilisée aujourd’hui pour apaiser la tachycardie.

Les victimes : des femmes âgées, seules et riches

Chassée de sa maison par sa belle-famille, la veuve noire continue sa relation amoureuse avec Maximilien Hody. Pour garder auprès d'elle le jeune homme, elle se crible de dettes.

Avec son aval, Marie Becker devient la maîtresse de M. Castaldot. Le 23 mars 1933, son épouse, Marie Doupagne-Castaldot décède des suites d'une infection intestinale fulgurante. Une première lettre anonyme parvient au parquet de Liège. La famille affirme que Marie a emprunté l’équivalent de 6.500 euros à la victime. Mais la suspecte soutient l'avoir remboursée. L'affaire est classée sans suite faute de preuves et sa liaison avec le mari de la victime s'arrête là.

En juillet 1934, sur les conseils avisés de Marie Becker, l'une de ses amies verse dans le verre de son compagnon une fiole qui le tuera « de manière naturelle », dit-elle. Le malheureux tombe fortement malade mais survit à l'empoisonnement.

En novembre, Marie Becker tient compagnie à Lambert Beyer avec qui elle entretient une liaison. L'homme naïf lui avoue être propriétaire de plusieurs biens et être en possession d’un meuble rempli de titres. Quelques semaines plus tard, l'homme décède brutalement.

L'empoisonneuse à la chaîne n’hésite pas à « aromatiser » la tisane de sa logeuse, Julie Bossy, afin de ne pas lui rembourser ses arriérés de loyer. Marie Becker expliquera à la police que la victime était tombée malade et qu’elle avait tenté de la soigner, en vain.

Le profil de ses victimes
Catherine Beeken-Parot, Aline Louis-Damoutte, Marie Flohr…Presque toutes les victimes ont des points communs : ce sont des femmes âgées, seules et surtout, elles ont prêté de l'argent à la veuve noire. La technique d'approche est toujours la même : l'empoisonneuse se rend chez ses victimes en tant que garde-malade. A cette époque, le bouche-à-oreille va bon train dans le cercle des bourgeoises liégeoises. Elles se recommandent les services de bons employés. Marie Becker ne fait pas exception : elle semble gentille, serviable, amicale, elle sert bien le thé... Aucune de ses clientes ne suspecte la quinquagénaire de vouloir sa mort pour ne pas devoir rembourser ses dettes. Les victimes tombent comme des mouches entre ses mains en à peine quelques mois. Toutes boivent du thé et souffrent des mêmes symptômes : coliques, vertiges et vomissements jusqu’au décès.

En hiver 1935, il en va de même pour Marie Remacle et Marie Evrad-Crulle qui vont, soit-disant, jusqu'à léguer l’entièreté de leur fortune à leur garde-malade, Marie Becker, avant de mourir. Dans une seconde lettre, les familles accusent la veuve d’avoir falsifié les testaments. L’enquête n’aboutit à rien.

Prise la main dans le sac

En mai 1936, Marie Becker emprunte de l’argent à Marie Stevart, une nouvelle amie. Mais dans l'impossibilité de la rembourser, elle décide une nouvelle fois de supprimer son prêteur. Marie Dalhem et Alexandrine Lejeune-Blumlein subissent le châtiment de la veuve noire. Les victimes survivent toutefois à sa tentative de meurtre.

Marie Willems-Bulté, Florence Van Caulaert-Lange et Marie Luxem-Weiss n’auront pas autant de chance. Et c’est peut-être ces trois morts en dix jours qui vont précipiter Marie Becker dans sa chute.

Une troisième lettre est envoyée au parquet. En effet, la dernière visite qu'a reçu Madame Weiss était celle de sa dame de compagnie, Mme Becker. Et suite à sa venue, sa fortune estimée à 40.000 francs de l'époque avait disparu. Madame Lange avait été trouvée pour sa part allongée sur le sol de sa chambre, fermée à double tour. Quant à Madame Bulté, une « amie » de la veuve noire, elle attendait le remboursement d'un emprunt fait à la meurtrière. Toutes avaient entre 62 et 85 ans.

Cette fois, les enquêteurs, persuadés que quelque chose cloche, ouvrent une enquête. Plusieurs corps sont exhumés mais la digitaline disparaît trop vite dans le corps humain.

Ils décident donc de lui tendre une embuscade. Tandis qu’elle rend visite à madame Lamy (une complice de la police), les forces de l’ordre l’arrêtent la main dans le sac : elle s’apprêtait à utiliser la digitaline sur sa nouvelle victime.

Et cela ne s'arrête pas là. Une perquisition à son domicile révèle des preuves troublantes : des objets appartenant aux défunts, tels que des bijoux et des sacs, y sont retrouvés ainsi qu’une bouteille de poison. Elle affirmera que ce sont des cadeaux. Quant au flacon, « la police découvrit dans la sacoche de la« garde-malade » un flacon de digitaline dont elle expliqua la présence à des troubles cardiaques. (...) Mais l'enquête établit la fausseté de pareille déclaration » (La Libre Belgique, 7 juin 1938).

Devant tant de remue-ménage, les habitants de la rue Donceel à Liège sortent de chez eux. Les passants s’arrêtent pour observer la scène. Le 16 octobre 1936, Marie Becker est enfin arrêtée.

Une affaire qui révolutionnera la justice belge

Le procès se déroule du 7 juin au 8 juillet 1938. Ce véritable feuilleton judiciaire amène chaque jour une foule de plus en plus compacte à la cour d’assises de Liège.

La Libre Belgique, 7 juin 1938

La Libre Belgique, 7 juin 1938

Contre toute attente, elle nie les faits. Elle se présente droite, cynique et de mauvaise volonté. Elle ment sur les événements avérés et va jusqu’à prétendre que les 300 témoins ayant défilé à la barre sont eux-mêmes des menteurs. « Vous croyez ce témoin ? Il ment et il a des raisons de mentir ! » (La Libre Belgique, 12 juin 1938).

Le premier collège d’experts
Pour la première fois de l’histoire de la justice belge, l’instruction rassemble un collège d’experts pluridisciplinaires afin d’établir si la digitaline (dont la tueuse s’était procurée 17 flacons) était bien la cause de la mort. Problème : seule madame Lange possède des traces du poison dans ses viscères.

Les scientifiques réalisent dès lors des essais sur des animaux, des personnes mortes dans des accidents et exhument un homme s’étant suicidé à l’aide du médicament.

Enfin, le juge demande au jury de sentir une boisson mélangée au poison. L’objectif : voir s’il est possible de déceler le poison à l’odorat.

L’avis des experts est unanime : la digitaline est l’arme du crime. L’empoisonneuse du siècle a beau nier, les preuves s’accumulent contre elle.

Le 17 juin 1938, La Libre Belgique revient sur les déclarations de la veille : « La responsabilité de l'accusée est entière, déclarent les médecins psychiatres ».

Mais pourquoi tue-t-elle ? Elisabeth Lange évoque une raison rationnelle. « La seule réponse qu’on puisse fournir est répugnante, totalement insoutenable. Elle supprime ses semblables par opportunisme, pour se sortir d’un imbroglio de difficultés de tous ordres où elle s’est engouffrée. »

Le verdict
« A la fin de la 25ème journée d'audience, l'empoisonneuse accablée proteste une dernière fois son innocence » (La Libre Belgique). Le 8 juillet 1938, la salle est comble. Toute la presse est là pour voir le visage de la veuve noire. Marie Becker apparaît au tribunal petite et maigre. Ses traits sont tirés, son visage presque osseux. Discrète mais élégante, elle attend son verdict. La légende veut qu’elle ait promis à son avocat : « Si vous me sortez de là, on ira boire une petite goutte ensemble ».

Fin d'après-midi, la cour la déclare coupable de meurtres avec préméditation et de tentatives de meurtre, vol et faux en écriture. Elle est condamnée à mort par guillotine. Sa peine est néanmoins commuée en prison à vie, la Belgique ayant appliqué pour la dernière fois la peine de mort en 1917.

En 1942, Marie Petitjean Becker décède à l’âge de 62 ans dans sa cellule.

Reportage

« La plupart des tueurs en série ne sont pas des malades mentaux »

Les spécialistes tentent depuis longtemps de comprendre le processus psychologique et les déclencheurs de ces comportements hors du commun. Des actes odieux, répétés, calculés, froids. Qui sont ces criminels ? Samuel Leistedt, professeur de médecine (ULB et UMons) et psychiatre au CRP Les Marronniers de Tournai, nous éclaire sur le profil des serial killers.

Quel est le profil des tueurs en série ?
85% des tueurs en série ne sont pas des malades mentaux. C’est une fausse croyance. Ils sont animés par des motivations plus rationnelles. Ce peut être l'argent pour les femmes et le sexe pour les hommes par exemple.

Selon vous, de quel groupe faisait partie Marie Becker ? Etait-elle malade ?
Je ne sais pas si elle souffrait d’une pathologie. Mais ce qu’il faut préciser, c’est qu’elle a été reconnue lors de son procès responsable de ses actes et non malade. En effet, elle a été emprisonnée et pas internée.

Quel est, en particulier, le profil des femmes tueuses en série ?
En général, ces individus présentent des troubles de la personnalité de type narcissique et borderline. Elles peuvent également parfois avoir des crises d'hystérie. Tout cela à des degrés différents.

De plus, les statistiques montrent que souvent, mais pas toujours, elles proviennent de milieux difficiles. Quand je dis « difficiles », je parle de manière large. Cela peut être au niveau socio-économique ou familial. Une personne de la classe moyenne qui subit de la négligence ou de la maltraitance peut devenir un(e)serial killer.

Le poison est-il une arme de prédilection des femmes ?
Oui, c’est globalement une technique statistiquement assez caractéristique des tueuses en série. Elles l'utilisent principalement pour des motivations rationnelles comme l’argent ou pour des raisons politiques, en particulier dans le secteur du renseignement. Elles ont une dimension moins violente que les hommes.
Ces derniers, au contraire, utilisent le poison pour neutraliser leurs victimes, pas pour les tuer.

Dans quel état d’esprit se trouve le tueur lorsqu’il tue ?
Généralement, le profil typique se situe dans le contrôle, la préparation de l’acte. Les tueurs en série choisissent leur victime, la connaissent. Ils sont assez obsessionnels et minutieux. Il n’y a pas de place pour le hasard. Pour eux, la victime est un objet. Elle est complètement déshumanisée et devient un objet de satisfaction.

Un tueur en série peut-il réintégrer la société ?
Dans le cas des malades mentaux strictes (soit deux cas sur dix), la médecine peut faire beaucoup de choses. On peut parler rémission de la maladie, de diminution de la dangerosité, mais pas de guérison.

Pour la majorité des tueurs en série qui ont des motivations rationnelles, c’est plus discutable. Statistiquement, ils ont un taux de récidive très élevé. Il existe, et c’est un avis personnel, des gens qu’on ne pourra jamais resocialiser et réintégrer à la société. Mais la Belgique ne prévoit pas ce cas de figure étant donné que la perpétuité n’existe pas en soi dans la justice belge. Les gens peuvent sortir au bout d’un certain nombre d’années. Mais pour moi, il y a des gens qu’on ne peut pas réhabiliter.

Bibliographie

Veuve Becker, La première serial-killer, Elisabeth Lange, Edition de l’Arbre, 2011, France

Marie-Alexandrine Petitjean. Veuve Becker (Belgique, 1879-1942), Elisabeth Lange, Éditions Jourdan, 2006

Les grandes affaires criminelles de Belgique, Liliane Schraûwen, Edition De Borée, 2014