Pons asinorum ou l’éblouissement pythagoricien !

Le théorème de Pythagore est sans conteste le théorème le plus connu des français : tous les enfants l’apprennent un jour ou l’autre. Bien sûr, les années passant, il n’est pas rare qu’on finisse par en oublier complètement la signification et il n’en reste plus alors qu’une sorte de rengaine qu’on chantonne sans la comprendre, comme dans le quatrain de Fr. Nohain :

« Le carré de l’hypoténuse est égal, si je ne m’abuse à la somme des carrés construits sur les autres côtés. »

Beaucoup de mathématiciens ont pourtant un rapport affectif avec Pythagore. Il représente peut-être le premier énoncé mathématique qui ne saute pas aux yeux et qu’on a du mal à croire tant il est surprenant. Lorsque le professeur démontre le théorème devant le jeune élève incrédule, c’est (parfois) un éblouissement. Ce qui était incroyable devient lumineux, évident, indiscutable ! L’énoncé et sa démonstration ne font plus qu’un. Combien de vocations de scientifiques sont-elles nées lors de ce genre de moments magiques ?

Tout cela est si clair qu’on en devient persuadé que tout le monde doit le comprendre sans difficulté. Dans son roman « de la Terre à la Lune », Jules Verne imagine que des hommes représentent le théorème de Pythagore dans de vastes plaines, avec un triangle rectangle si grand qu’on peut l’observer depuis la Lune. « Tout être intelligent, disait le géomètre, doit comprendre la destination scientifique de cette figure. Les Sélénites, s’ils existent, répondront par une figure semblable, et la communication une fois établie, il sera facile de créer un alphabet qui permettra de s’entretenir avec les habitants de la Lune. »

Le théorème serait donc une espèce de test d’intelligence ? Une intelligence universelle ?

Il va de soi que Jules Verne a tort et que l’intelligence ne peut pas se réduire pas à la compréhension du théorème de Pythagore ! Dans un article récent, le footballeur Anelka déclarait que « Les anti-footeux pensent que lire des kilomètres de bouquins et posséder une culture générale est synonyme d'intelligence. […] Les Fourberies de Scapin, le théorème de Pythagore ou Cinquante nuances de Grey, ça me sert à rien dans la vie ! »

Les collégiens de la fin du dix-neuvième siècle appelaient ce théorème le « Pons asinorum », le « pont aux ânes ». Peut-être à cause de la figure du triangle rectangle qui fait penser à un de ces ponts au dessus d’un torrent de montagne où il faut commencer par monter avant de redescendre de l’autre côté. Un âne, ne voyant pas l’autre rive, refuse d’avancer. Sans l’aide du muletier, il ne traversera pas. Sans l’aide du professeur qui montre la démonstration, l’élève ne traversera pas le torrent… Rien à voir avec l’intelligence ! Après tout, l’âne a bien raison de ne pas se lancer à l’aveugle sur un pont dont il ne voit pas l’issue. Je me souviens de mon professeur de mathématiques, en troisième, qui avait remarqué cet éblouissement et m’amenait chaque jour une nouvelle démonstration — il en existe tant — juste pour mon plaisir. Merci à M. Picavet ! Merci à tous les enseignants.

L’enseignement de la géométrie élémentaire est aujourd’hui en péril. Il ne faut pas nécessairement se lamenter sur l’allégement des programmes de mathématiques. Il y a tant d’autres choses que les enfants d’aujourd’hui doivent apprendre et il est bien normal que les mathématiques laissent un peu la place à des enseignements qui n’existaient pas jadis. Il est par contre regrettable qu’on présente les mathématiques comme un ensemble de recettes toutes faites, bien mystérieuses, en abandonnant la plupart du temps leurs démonstrations. Comme les mathématiques sont sèches et ennuyeuses si on en retire tout le sel ! Comment s’étonner ensuite qu’une bonne partie de nos concitoyens ne traversent pas le pont ?

Les légendes ne manquent pas autour de la découverte du théorème de Pythagore. Plutarque (au premier siècle après J.C.) rapporte le vers suivant d’Apollodore :

« Pythagore inventant la célèbre figure, Offrit une victime et rendit grâce aux dieux. »

Porphyre au troisième siècle, précise cependant la nature du sacrifice en question : « les auteurs les plus dignes de foi disent que Pythagore offrit un bœuf de pâte de froment après avoir découvert que le carré de l’hypoténuse est égal à ceux des deux autres côtés ». En résumé, comme l’écrit Fourrey, cette fameuse hécatombe se réduit à un bœuf… de pain d’épices !

Le théorème de Pythagore n’est pas seulement un déclencheur de vocations… Il a traversé l’histoire des mathématiques en subissant un grand nombre de mutations successives. Pythagore, même s’il n’en est probablement pas l’inventeur, ne reconnaîtrait plus son théorème dans les textes contemporains. Il y a bien longtemps que le théorème a quitté son lieu de naissance, qui est le plan de la feuille de papier, et les mathématiciens l’utilisent quotidiennement dans des « espaces de Hilbert » dont la dimension est… infinie ! Il est devenu l’ami de tous les jours, dont on oublie souvent que c’est un ami d’enfance.




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