Les nombres premiers



Les nombres premiers fascinent parce que si leur définition est élémentaire - un nombre entier divisible seulement par un et par lui-même -, les problèmes que l'on peut se poser sur eux sont redoutablement difficiles. Prenons la conjecture de Goldbach, selon laquelle tout nombre pair (à partir de 4) peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers. Malgré cet énoncé qu'un enfant de primaire peut comprendre, aucun mathématicien au monde n'est encore parvenu àdémontrer cette proposition que Christian Goldbach a faite, en 1742, dans une lettre à Leonhard Euler.



Que cette propriété ait été vérifiée pour tous les nombres pairs jusqu'à 4×1018 est un argument qui laisse accroire que cette conjecture est juste. De surcroît, notre connaissance de leur répartition montre que non seulement tout entier pair serait nécessairement somme de deux nombres premiers, mais qu'il le serait de beaucoup de façons différentes. Mais les mathématiciens ne se contentent pas de sentiments. Ils veulent des théorèmes qui, une fois démontrés, seront vrais de toute éternité. Une caractéristique qui confère aux mathématiques une place à part dans les sciences, puisqu'un théorème est, par essence, non réfutable.

A qui résoudra ce problème réputé difficile, une médiatisation et une reconnaissance aussi éternelle que le théorème auquel il donnera sans doute son nom. Est-ce cette recherche de reconnaissance qui pousse les mathématiciens amateurs à proposer des démonstrations à ces problèmes jugés difficiles ? Jean-Paul Delahaye, chercheur au Laboratoire d'informatique fondamentale de Lille qui tient une rubrique de mathématiques dans la revue Pour la science, en reçoit chaque semaine, souvent liées aux nombres premiers et à la conjecture de Goldbach. "Il y a les travaux qui émanent de personnes ayant bien travaillé un sujet et qui me proposent une démonstration cohérente, avec une structure logique, et qui admettent leur erreur lorsque je la leur signale, explique-t-il. D'autres m'informent qu'ils ont trouvé une démonstration fabuleuse et simple, mais déposée chez un notaire, et dont ils ne veulent rien dire ; d'autres enfin, m'écrivent des choses très naïves qui n'ont ni queue ni tête, ils ne savent pas ce que c'est qu'une démonstration et n'admettent pas la contradiction." Régulièrement, des démonstrations fausses de la conjecture de Goldbach et d'autres problèmes ouverts apparaissent sur le Net puis disparaissent, ou sombrent dans l'oubli.

La multiplication des possibilités de publication illustre la difficulté du processus de validation scientifique. Autrefois, les farfelus publiaient à compte d'auteur, mais aujourd'hui, en insistant, ils peuvent publier dans des médias ayant l'air sérieux, voire officiels. Ainsi, début 2012, un jeune Guinéen annonçant avoir démontré la conjecture de Goldbach a fait la "une" des journaux locaux, une information ensuite reprise par des milliers de sites Web. Cette même année, un Chinois et un Indien ont également prétendu avoir trouvé ce Graal de l'arithmétique, le dernier ayant même les honneurs d'un article dans le quotidien The Times of India, qui tire à plus de trois millions d'exemplaires...

Sans dénigrer les mathématiciens amateurs, qui font souvent un travail honnête et prennent plaisir à jouer avec les nombres - ce qui est louable -, on peut s'interroger sur leurs chances de trouver une démonstration à un problème sur les nombres premiers sur lesquels les professionnels sèchent depuis longtemps. Le fait que cela ne soit encore jamais arrivé ne plaide pas en leur faveur, même s'il ne s'agit pas d'une preuve... Jean-Paul Delahaye doute également de leur succès :"Les mathématiciens disposent d'une multitude d'outils, de résultats et de méthodes qui leur permettent d'explorer de nombreuses idées très rapidement, et de réaliser souvent sans calcul que nombre d'entre elles ne peuvent aboutir. Ils ne cherchent donc que dans des directions précises, les seules pouvant aboutir, alors que les amateurs perdent leur temps en calculs inutiles et en travail sur desidées condamnées par avance et d'ailleurs déjà envisagées par les professionnels. Je ne crois pas qu'une grande conjecture comme celle de Goldbach sera démontrée par un amateur, ignorant de l'état des mathématiques contemporaines." Cet état des mathématiques contemporaines est illustré par les avancées tout au long du XXe siècle des outils de la théorie analytique des nombres. Grâce à ces outils puissants, Harald Helfgott, un mathématicien du CNRS qui travaille à l'Ecole normale supérieure, devrait annoncer dans les prochains mois que tout nombre impair plus grand que 5 est la somme de trois nombres premiers, ce qu'on appelle la conjecture de Goldbach ternaire (ou conjecture de Goldbach faible). Il renforcerait ainsi un résultat de 1937 dû au mathématicien soviétique Ivan Vinogradov, qui avait montré que tout nombre impair "assez grand" s'écrit comme la somme de trois nombres premiers.

Ce travail sur le point d'aboutir signifie-t-il que la conjecture de Goldbach est enfin à notre portée ? "En fait, pour la conjecture de Goldbach sur la somme de deux nombres premiers, le problème binaire, nous n'avons pas le début du commencement d'une démonstration, prévient Gérald Tenenbaum, spécialiste des nombres premiers à l'université de Nancy. Toutes les méthodes utilisées jusqu'ici ne s'appliquent pas au problème binaire. La bonne méthode reste àtrouver." Avis aux amateurs, à tous les sens du terme...






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