Les espaces de grande dimension :

Une question d’intuition ?

Philippe Pajot

Peut-on voir la quatrième dimension ? Au 19e siècle, les mathématiciens ont imaginé les espaces courbes et ont commencé à explorer les espaces de grande dimension. Alors que nous vivons dans un monde qui a manifestement 3 dimensions, comment imaginer et explorer ces mondes de dimension supérieure que nous ne pouvons pas « visualiser » ?

A l’orée du 20e siècle, cette question a influencé des mouvements littéraires et artistiques avant-gardistes. Un engouement pour la quatrième dimension que l’on retrouvait dans la littérature, chez H.G. Wells, Lewis Caroll, Apollinaire ou Alfred Jarry, et dans l’art, notamment chez Marcel Duchamp. Dans les cercles ésotériques, la découverte des rayons X – permettant de voir l’invisible – et la quatrième dimension étaient autant de justifications scientifiques à l’existence des puissances occultes. Les esprits et les fantômes ne seraient-ils pas simplement des êtres de la quatrième dimension qui traverseraient notre monde et dont nous ne percevrions que la projection dans nos trois dimensions ? Une quatrième dimension que le physique a également associée au temps avec l’avènement de la relativité d’Einstein. Aujourd’hui, cet engouement est un peu oublié et les mathématiciens manipulent les espaces de grande dimension. En 2012, le mathématicien espagnol Francisco Santos a découvert un contrexemple à une conjecture de la théorie des graphes en dimension 43. John Milnor, topologue qui a reçu en 2011 le prix Abel, l’un des plus prestigieux prix mathématiques, est connu pour avoir trouvé une sphère exotique de dimension 7. Et n’oublions pas la dimension 24 où les empilements de sphères sont particulièrement denses. Comment font les mathématiciens pour travailler dans ces espaces qu’on ne peut pas représenter directement dans notre monde à trois dimensions ? S’en font-ils une image mentale ou bien s’agit-il avant tout d’intuition ? Et d’abord qu’est ce que la dimension ?

La dimension d’un espace c’est tout simplement le nombre de coordonnées qu’il faut pour y repérer un point. La ligne ou un lacet est un espace de dimension 1, le plan euclidien – analogue à une feuille de papier – un espace de dimension 2, et l’espace usuel est un espace euclidien de dimension 3, puisqu’il faut 3 nombres – 3 coordonnées – pour y repérer un point. En poursuivant ainsi, on fabrique des espaces avec de plus en plus de dimensions, mais qu’on ne peut pas représenter. En revanche, on peut les étudier, les manipuler, y faire des calculs. Exemple amusant : lorsqu’on calcule le volume d’une sphère de grande dimension (c’est-à-dire d’un ensemble dont tous les points sont à la même distance du centre), on montre que ce volume tend vers zéro par rapport au volume du cube qui la contient (le cube circonscrit) quand le nombre de dimension tend vers l’infini ! Pas très intuitif il est vrai. Pourtant, cette propriété va permettre aux mathématiciens qui travaillent en grande dimension de développer des intuitions particulières. Comme la masse de la sphère de grande dimension a tendance à se concentrer près de l’équateur, il existe une analogie entre une loi gaussienne (la courbe en cloche de la statistique) et les sphères en grande dimension.

Lorsqu’ils travaillent dans des espaces de dimensions plus grandes que 3, les spécialistes de topologie ou de géométrie n’ont pas besoin de se faire une image précise des choses. « Je n’ai nullement le sentiment de «voir» les objets mathématiques. Il s’agit de compréhension, de familiarité. Quand on travaille un certain temps sur des objets mathématiques, on s’accoutume à leur propriétés, on les manipule intellectuellement » confie Jean-Pierre Serre, l’une des grandes figures des mathématiques françaises. Aurélien Alvarez, de l’Université d’Orléans renchérit « il faut arriver à se forger des intuitions de ces objets, en réfléchissant sur des cas particuliers, en raisonnant par analogie, en utilisant des projections… Plus on a d'outils à sa disposition, meilleures sont l'intuition et la compréhension qu'on a des objets mathématiques que l'on étudie.».



Le fait qu’il existe des géomètres de grand talent aveugles renforce cette idée de l’absence d’une image visuelle. Les travaux sur ces espaces semblent le fruit d’un travail conscient. « Je travaille les yeux fermés, la nuit. Je n’ai pas besoin de papier ou de quoi que ce soit » confie Etienne Ghys, directeur de recherche au CNRS et familier de la quatrième dimension. Un travail intense et personnel qui fait partie du quotidien de ces mathématiciens qui manipulent les objets dans les espaces de grande dimension.

Mais si l’on ne visualise pas la dimension 4, on ne voit pas non plus directement en trois dimensions. Lorsqu’on regarde un objet, on voit sa projection bidimensionnelle au fond de notre œil et c’est notre expérience que l’on utilise pour dégager une intuition sur la dimension 3. « Si nous faisons tous cet exercice pour la dimension 3, je dirais un peu la même chose pour la dimension 4 : j’ai fait des expériences et je me suis trompé souvent, mais j’ai acquis de ces erreurs des intuitions une représentation personnelle de la dimension 4» explique Etienne Ghys.

Petit exercice mental pour terminer : prenons une courbe fermée coupant le plan en deux morceaux de sorte qu’on ne peut pas joindre un point extérieur et un point intérieur sans couper le cercle, à moins d’autoriser le courbe qui joint ces deux point à quitter le plan. De manière analogue, prenons deux cercles de l’espace enlacés. On ne peut pas défaire l’enlacement sans couper les cercles, à moins de les déformer en les faisant passer dans la quatrième dimension…



Ce serait bien de mettre ce lien vers ces excellents petits films qui font comprendre ce qu’est la quatrième dimension :

http://www.dimensions-math.org/






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