Chapitre 5

L'autopsie, organe par organe

Photo: Alexis Haulot

"Prends-moi un sandwich au fromage et à la moutarde, s’il te plaît", lance Grégory Schmit lorsque sa collègue suggère d’aller chercher les victuailles du midi. L’endroit a pourtant de quoi retourner l’estomac. Cette spacieuse pièce aux murs composés de carreaux blancs, dans laquelle se dressent deux tables de dissection, est la salle d’autopsie de l’institut médico-légal de la ville de Bruxelles.

Photo: Alexis Haulot

Du couloir, résonne de plus en plus distinctement le bruit de roulettes qui raclent le sol. Un brancardier amène la dépouille du toxicomane découverte la veille. Elle est sortie de sa gaine mortuaire puis allongée sur la table en aluminium.

Profitant des conditions bien plus confortables et lumineuses que sur le lieu du décès, le médecin entreprend un nouvel examen externe. Cheveux, dents, yeux, bouche, taille, cicatrices, tatouages subissent une vérification minutieuse. "Il n'est plus rigide du tout", remarque le praticien en tournant le corps sur le flanc.

Photo: Alexis Haulot

Il s’empare d’une paire de ciseaux et coupe une touffe de cheveux qui servira, lors de l’analyse toxicologique, à déterminer quelles drogues l’individu a consommées. "Les cheveux permettent de remonter dans le temps : chaque centimètre égale un mois dans le passé."

Poussant de son index sur le scalpel, il dessine dans le cuir chevelu une taillade afin de dégager la peau de la boîte crânienne. Dans un mélange de force et de précision, il scie la calotte crânienne et en extirpe le cerveau. "Il faut le retirer en premier afin d’évacuer le reste de sang liquide au niveau du cou", détaille-t-il en allant déposer la masse nerveuse sur la balance.

Les yeux rivés sur son "objet d’expertise", le légiste passe au buste, qu’il entaille d’un geste incisif du menton au nombril. Sous la pression de la lame, la peau cède sans difficulté. Il déplace les clavicules et, une pince entre les mains, brise les côtes pour accéder aux entrailles. Dévêtu, mince, barbu, les cheveux en bataille et les bras en croix : l'apparence est christique.

Photo: Alexis Haulot

L'éviscération s’opère organe par organe. Chacun est analysé, disséqué et pesé. "Le poids peut donner des indices sur une éventuelle pathologie", spécifie Grégory Schmit, qui autopsie dans une pose décontractée, un pied fixé au sol, l’autre ne reposant que sur la pointe.

Lorsqu’il s’empare d’un poumon, le légiste observe immédiatement la présence de dépôts noirs. "C’était soit un fumeur, soit un habitant de Bruxelles qui respire l'air rempli de gaz d'échappement..." L’organe est déposé sur la balance, l’écran digital affiche plus de 600 grammes. "Un poumon en pèse normalement 300 à 400. Un tel surplus est l'indice d'une intoxication." Le médecin constate une autre anomalie : la présence de mousse dans la trachée et les bronches. Cet élément vient confirmer la supputation de la veille : le toxicomane a subi un œdème pulmonaire.

Le remuement du gros intestin s'accompagne d'un dégagement olfactif fétide. "Ca, c'est typique du système digestif. On s’y fait, c’est la force de l'habitude", indique Grégory Schmit qui se passe de masque.

Tout au long de l’examen, une employée de la police scientifique prend des clichés des éléments prégnants. Dissimulée dans sa combinaison blanche, la jeune femme doit également prélever les empreintes digitales. La tâche est ardue car les doigts du cadavre ont commencé à se momifier. "La peau est sèche, grossie et brunâtre. C'est qu'il est resté dans un environnement chaud et sec", évalue-t-elle. Elle parvient malgré tout à enduire les doigts d’encre noire et à les apposer sur le carton dévolu.


Photos: Alexis Haulot

Le docteur confine divers prélèvements dans de petits pots en plastique transparent qui patienteront dans le congélateur. "Ils serviront au toxicologue pour effectuer les dosages. Puisque l'autre toxicomane certifie que son copain est mort en fumant des joints, il va falloir étudier cela. Il ne ment pas forcément. On ne sait jamais ce qu'il y a dans les drogues", déplore le médecin qui, après 45 minutes de dissection, s’apprête à recoudre l’abdomen. "Je dois d’abord remettre tous les organes dans le corps, pour une éventuelle contre-expertise."

Photo: Alexis Haulot

Lors de l’autopsie, rien n’a permis au légiste de déterminer la cause du décès. "Il s’agit certainement d’une intoxication. Je vais conseiller à la juge de demander une analyse toxicologique", explique-t-il en se dirigeant vers le rouleau de papier essuie-tout. Grégory Schmit en détache de nombreux morceaux, les roule en boule et les insère à la place du cerveau. "Il faut bien remplir la tête pour éviter que les éléments ne bougent", justifie-t-il en s’emparant d’une aiguille pour fixer le cuir chevelu.

Les outils et la table d’aluminium désinfectés et rangés, le légiste ôte son tablier vert. Comme le veut la règle, l’agent du labo prend une ultime photo pour figer la scène. Le corps peut maintenant être "libéré" par le juge pour être rendu à la famille.

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