Chapitre 3

Le copain du pendu

Photo: Jean-Christophe Guillaume

Durant sa garde, le légiste passe des quartiers les plus populaires aux plus cossus. Ce samedi après-midi, c’est dans l’une des rues prisées des expatriés, où les façades se dressent avec fierté, que Grégory Schmit doit se rendre. Mais les apparences sont trompeuses. La maison autrefois unifamiliale a été transformée en huit locations toutes plus étroites les unes que les autres. Dans des WC du -1, un individu s’est pendu au porte-serviettes mural. "La particularité, c’est qu’il n’a pas fait cela chez lui", indique le médecin. Le cas devient donc suspect.

Photo: Jean-Christophe Guillaume

L’inspectrice qui patiente devant l’immeuble lève cependant assez rapidement le doute : le sexagénaire connaissait les lieux. Il y fut l’homme à tout faire vingt années durant et il continuait à rendre visite à deux des occupants. L’un d’eux était son "copain de café", qui se faisait du mouron car les deux camarades avaient décidé qu’ils regarderaient ensemble le match de football, le mercredi. Ses sept appels sont restés sans réponse…

Au sous-sol, les espaces sont exigus. D’imposants tuyaux jaunes, rouges ou blancs s’entrecroisent au-dessus des compteurs de gaz. Le contenu d’un sac à dos est répandu au pied des escaliers. Déodorant, parfum contrefait, câbles de télévision, mouchoirs, deux t-shirts et quelques sachets en plastique pliés en boules : des bribes d’une vie faite de bric et de broc.

Photo: Jean-Christophe Guillaume

Le corps gît sur le carrelage. Il a été détaché par les secours, qui ont tenté de le réanimer pendant une trentaine de minutes. Le médecin scrute le tracé de l’électrocardiogramme, réalisé durant la réanimation, qui ne présente aucune information utile. "Vu la présence de taches vertes, cela fait au moins trois jours qu’il est décédé." Vaine tentative du Smur…

Le porte-serviettes n'a pas cédé sous le poids, il est toujours solidement fixé à un mètre de hauteur. Pour Grégory Schmit, le scénario semble clair : l’homme a noué sa ceinture au support mural, a formé une boucle, y a glissé la tête puis s’est laissé tomber par terre. "On voit la marque de la fermeture de la ceinture au niveau du cou et la largeur du cuir a creusé un sillon dans la nuque. Ces empreintes correspondent parfaitement."

Photo: Jean-Christophe Guillaume

Guidé par son expérience, le légiste assure que la pendaison en position "demi-assise", où les membres inférieurs reposent sur le sol, est la plus répandue. "Des pendus que l’on retrouve en hauteur, les pieds dans le vide, c’est assez rare. En position demi-assise, le poids et l’attraction terrestre suffisent à entraîner la compression au niveau cervical. L’individu pourrait évidemment se redresser mais il devrait le faire en quelques secondes. L’oxygène et le sang n’arrivant plus au cerveau, la personne devient très rapidement inconsciente."

L’examen ne permet de déceler aucune trace de coup ou de lutte. Le suicide est incontestable. "Déguiser un meurtre en pendaison est très difficile car, en plus de parvenir à mettre la personne morte ou inconsciente en position, il faut également être minutieux dans la mise en scène", déclare Grégory Schmit. Malgré tout, le praticien vérifie constamment le système utilisé. "Je dois juger si le nœud peut avoir été fait seul ou si un tiers est intervenu. Je dois également contrôler si les lésions correspondent au système mis en place."

Photo: Jean-Christophe Guillaume

A ce sujet, le médecin se remémore un cas rocambolesque vécu en plein bois. "Un homme avait mis fin à ses jours en s’accrochant à un arbre à dix mètres de haut. J’avais exigé de voir le corps avant qu’il ne soit détaché. Les pompiers ont donc dû m’harnacher et j’ai pratiqué l’examen en étant suspendu", se remémore-t-il pendant que la dame du labo coupe le morceau de ceinture encore fixé au porte-serviettes. "A remettre au greffe", indique-t-elle au policier local, tout en plaçant la pièce dans un sac en papier brun.

Alors que Grégory Schmit replie son matériel, le chant d’un canari attire les regards vers une porte qui s’entrouvre. C’est le "copain de café" qui tente une sortie de son minuscule appartement situé à côté des toilettes. "Restez là, monsieur, nous vous préviendrons lorsque vous pourrez partir", l’enjoint l’agent. Ce dernier se tourne vers le légiste : "Ils avaient déjà abordé ensemble la question du suicide. Son ami avait tenté de l’en dissuader en prétextant que sa mère allait mourir de tristesse s’il faisait ça. Il ne l’a pas écouté…".

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