Le tourisme spatial

Et si, demain, les photos de vacances depuis l’espace remplaçaient les selfies à la plage sur les réseaux sociaux?

A l’heure où le monde entier est devenu accessible en quelques heures d’avion, c’est maintenant le vol spatial touristique qui constitue la nouvelle grande aventure de notre siècle.

Ces dernières années, les progrès et découvertes se sont enchaînés, jusqu’à permettre à des humains de poser le pied sur la Lune. Toutes missions confondues, ce sont pas moins de 559 personnes qui ont été envoyées dans l’espace !

A tel point qu’aujourd’hui, plusieurs compagnies entretiennent le rêve fou d’inviter des hordes de touristes à voir la Terre de (très) haut. Lady Gaga, Leonardo DiCaprio ou Justin Bieber auraient d’ores et déjà acheté leur ticket pour un vol spatial en déboursant la “modique” somme de 200.000 dollars.

Les touristes de l'espace ne datent pas d'hier

On vous l’accorde, il est encore prématuré de parler de vols spatiaux à ce point accessibles aux touristes. Mais il ne s’agit pas non plus d’un fantasme sorti de l’esprit d’un fou. En réalité, la frontière se situe quelque part entre les deux. Et pour cause : des touristes se sont déjà envolés pour l’espace (en y mettant le prix).

C’est la Russie qui, la première, s’engage de plain pied dans le tourisme spatial. Nous sommes dans les années 90 et le pays est plongé dans une terrible crise économique. “Un des effets les plus spectaculaires et les plus effrayants de l’application des réformes entreprises en Russie au début des années 90 a été la dégradation des conditions de vie d’une grande partie de la population : plus de la moitié de celle-ci s’est retrouvée en dessous du seuil de pauvreté (...)” (1).

(1) Chmatko Natalia. Les croyances économiques en URSS et en Russie au tournant des années 1980 et 1990. In: Politix, vol. 16, n°61, Premier trimestre 2003. pp. 197-216.

Dans ces conditions dramatiques, le budget du secteur spatial russe se retrouve réduit à peau de chagrin. Pour renflouer les caisses, l’agence spatiale russe (RKA) s’allie avec Space Adventures. Un “package” est proposé à des particuliers : huit jours dans l’espace dont six sur la Station spatiale internationale (ISS) pour 22 millions d’euros. Dennis Tito, un riche homme d’affaires californien de 60 ans, amoureux de l’espace, décide de s’offrir ce petit plaisir. Le 28 avril 2001, après avoir suivi un entraînement adéquat, il prend place dans le vaisseau Soyouz. A ses côtés : Talgat Moussabaïev et Youri Batourine, deux cosmonautes expérimentés. Pour faire un maximum de bénéfices, l’Américain s’est en effet greffé à une mission officielle qui devait de toute façon envoyer ces deux astronautes sur l’ISS. “Surtout, évitez d’ouvrir les portes du module américain et d’y mettre les pieds”, plaisante Iouri Semionov, le directeur de RKK Energia, société privée russe la plus importante du secteur. La Nasa, très réticente à l’idée de ce voyage, n’a en effet accepté qu’à condition que l’homme reste dans les sections russes ou ne visite les américaines que sous bonne garde. “C’était parfait. C’était le paradis. J’ai réalisé mon rêve”, confie l’homme dès son retour sur Terre.

A sa suite, six autres touristes ont tenté l’expérience pour des prix de plus en plus élevés. Jusqu’en 2009. Ce juteux commerce prend fin lorsque l’équipage permanent sur l’ISS s’agrandit définitivement. Les navettes Soyouz n’avaient dès lors plus le luxe d’avoir une place “en trop” pour faire embarquer des touristes.

Dès 2018, en revanche, la donne risque de changer. La Nasa mettra fin à son partenariat avec la Russie de qui elle était dépendante pour acheminer des astronautes vers l’ISS. Cette dernière récupérera donc de la place dans ses Soyouz pour reproposer des vols aux aventuriers privés. Une aubaine pour compenser les pertes d’argent liées à l’arrêt de ce lucratif contrat avec l’agence spatiale américaine.

2018, l’année du tourisme spatial?

Avant même de parler de “vol pour l’espace”, définissons ce qu’est l’espace. A partir de quand quitte-t-on l’atmosphère terrestre pour pénétrer dans ce monde empli de mystères? La ligne de Karman fixe ce seuil à 100km d’altitude. Autrement dit, il faut qu’une navette atteigne au minimum cette hauteur pour pouvoir parler de “vols spatiaux”.

Bon nombre d’entreprises envisagent d’emmener des touristes dans l’espace pour une durée allant de quelques minutes à plusieurs jours. Et ce, pour un prix plus “abordable” que par le passé. Elles comptent en effet attirer une clientèle qui autrefois n’aurait pas pu se payer le voyage en faisant baisser les coûts, notamment en réutilisant au maximum les lanceurs et navettes qu’elles enverront dans l’espace.

Ce n’est pas pour autant que tout le monde pourra enfiler sa combinaison ! Les personnes aisées devront suivre un entraînement adéquat. Une formation certes moins poussée que celle des professionnels mais qui vérifiera les conditions physique et psychologique des aventuriers afin d’évaluer s’ils supporteront le voyage sans paniquer ou être malade.

Parmi les firmes engagées sur le terrain du tourisme spatial, nous nous sommes focalisés sur Virgin Galactic, Blue Origin et SpaceX étant donné qu’elles ont toutes les trois annoncé un vol touristique habité en 2018.

Le VSS Unity de Virgin Galactic

La société de Richard Branson sait déjà exactement de quelle manière elle compte faire voler des touristes dans l’espace.

Un avion-porteur (le WhiteKnightTwo) emmènera le véhicule destiné à aller dans l’espace à une altitude de 15 km. Ce dernier (SpaceShipTwo) prendra alors le relais en étant propulsé par son moteur-fusée hybride pour atteindre l’espace. Il continuera à monter grâce à l’inertie pour atteindre 100 km de haut. C’est là que la vitesse de l’appareil deviendra nulle et qu’il se mettra à retomber. Les ailes pivoteront pour permettre à l’engin de descendre comme le ferait une feuille morte. Lorsqu’il arrivera à une altitude de 12 km, ses ailes se déploieront à la manière d’un avion classique pour un atterrissage tout en douceur. L’avion spatial pourra transporter six touristes et deux pilotes.

Malheureusement, après plusieurs essais prometteurs, le SpaceShip2 a été le théâtre d’un terrible accident. Le 31 octobre 2014, l’engin finalement nommé VSS Enterprise (en hommage à Star Trek) s’est désintégré en vol 12 secondes après la séparation entre l’avion-porteur et le vaisseau. En cause : le système de freinage actionné trop tôt, alors que le moteur-fusée était toujours en pleine poussée. L’enquête du Conseil national de sécurité des transports (CNST) a conclu à une erreur humaine du co-pilote qui n’avait pas été suffisamment prévue par l’entreprise. Le co-pilote en est mort tandis que le pilote est parvenu à revenir sur Terre grâce à son parachute.

Ce drame a mis sur pause les rêves de Richard Branson l’espace d’un moment. Mais, en 2016, le projet connaît un nouveau souffle. Un second engin, nommé cette fois VSS Unity (une idée du célèbre astrophysicien Stephen Hawking), a été officiellement présenté par Richard Branson. Depuis, les vols d’essais s’enchaînent avec succès. Lors du dernier en date, le système “feather” - qui doit servir à faire pivoter les ailes lors du retour sur Terre - a été mis à l’épreuve sans encombres.

Le VSS Unity

Le VSS Unity

Le coût des vols est fixé à 200.000 dollars. Un prix “accessible” pour une petite frange de la population, raison pour laquelle des centaines de personnalités fortunées ont déjà acheté leur ticket. Un système de vol low cost aussi bien dans le prix que dans la préparation des touristes étant donné que l’entraînement ne dure que deux jours.

Le New Shepard de Blue Origin

Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, souhaite lui aussi occuper une position dominante dans cette course à l’espace grâce à son New Shepard. Un vaisseau nommé en l’honneur d’Alan Shepard, le premier Américain à avoir effectué un vol suborbital en 1961.

L’engin composé d’un “booster” et d’une capsule pressurisée décolle cette fois verticalement (comme les décollages classiques). Au bout de 40km, le moteur-fusée se coupe et la capsule (qui peut contenir 6 personnes) se sépare du “booster” pour atteindre l’espace. “Après quelques minutes de chute libre, le booster effectue un atterrissage vertical de manière autonome pendant que la capsule descend doucement et atterrit à l’aide de parachutes et d’un système de rétro-poussée. Les deux parties sont destinées à être réutilisées, ce qui rendra l’accès à l’espace plus accessible à tout un chacun”, peut-on lire sur le site de Blue Origin.

Atterrissage de la capsule

Atterrissage de la capsule

Plusieurs vols ont été effectués avec succès courant 2015 et 2016. Les techniques de lancement, d’éjection d’urgence de la capsule et de récupération des modules ont été testées et approuvées. Les premiers vols habités sont donc prévus dès 2018.

Le Dragon de SpaceX : objectif lune

La société privée américaine a le vent en poupe. Après avoir ravitaillé l’ISS à l’aide de cargos durant des années, elle a été, tout comme Boeing, choisie par la Nasa pour remplacer les Soyouz russes. Autrement dit, son nouveau vaisseau Dragon V2 aura la lourde tâche de transporter des astronautes vers l’ISS pour rendre les Etats-Unis indépendants en la matière.

Mais Elon Musk ne compte pas n’utiliser les Dragons qu’à cette seule fin. Il a annoncé que d’ici 2018, ces vaisseaux transporteraient également deux touristes… vers la lune. En résumé, le Dragon ferait le tour de la lune (sans y descendre) et reviendrait sur Terre. Le tout en une semaine et pour un prix évalué à plusieurs dizaines de millions de dollars. Une facture très salée qui a pourtant déjà convaincu deux particuliers dont les noms n’ont pas encore été dévoilés.

Un projet beaucoup plus ambitieux que ceux de ViriginGalactic et BlueOrigin, qui n’en est encore qu’aux prémisses puisque le Dragon V2 n’a pas encore transporté d’hommes vers l’ISS et que le lanceur Falcon Heavy censé être au coeur de la manoeuvre n’a toujours pas effectué de vol.

Selon toute vraisemblance, le délai annoncé pour envoyer des touristes sur la lune ne sera donc pas respecté. D’autant qu’Elon Musk souhaite parallèlement conquérir Mars. Rien que ça !

Frank De Winne : “Le tourisme spatial est une bonne chose”

Frank De Winne est le deuxième Belge à être allé dans l’espace. Il voit le tourisme spatial de manière très positive. “Je compare toujours cela à l’aviation”, explique le Gantois qui a entamé sa carrière dans l’armée de l’air belge. “Si l’aviation était restée aux mains des gouvernements, à des fins publiques, on n’aurait peut-être jamais eu la possibilité de faire des city-trips ou d’aller visiter les autres continents.”

S’il espère que le coût des voyages va baisser, il est convaincu qu’une nouvelle économie se développera autour du tourisme spatial. “L’orbite basse (NDLR : à une altitude inférieure à 2000km où se trouvent l’ISS et les satellites) est prête à être commercialisée avec, à la clé, la création d’emplois et l’acquisition de nouvelles connaissances. Le secteur privé prendra une part de ce marché mais les agences publiques seront également de la partie. Si cette économie en orbite basse se développe, les agences auront plus de moyens pour découvrir ce qui se passe au-delà, c’est-à-dire sur la lune et Mars.

Le spationaute insiste sur le fait qu’il ne faut pas pour autant se précipiter car “les voyages doivent se faire en toute sécurité.” De même, il faut s’assurer que les touristes aient les compétences nécessaires pour effectuer un vol spatial. “Les premiers touristes qui ont embarqué à bord de Soyouz avaient quelques activités à faire dans le véhicule spatial. A ce moment-là, il faut bien entendu que les voyageurs suivent un entraînement spécifique. Mais, à l’avenir, l’on peut imaginer que les touristes deviennent de véritables passagers avec beaucoup moins de choses à faire. Alors, la plupart des gens pourront voler dans l’espace.

Lorsqu’on lui demande si les premiers vols touristiques auront bel et bien lieu en 2018, Frank De Winne rappelle simplement que “le tourisme spatial a déjà existé”. Il souligne également que certaines entreprises (comme SpaceX ou Boeing) ont des contrats avec la Nasa dans le cadre d’un “commercial crew program” pour acheminer des astronautes vers l’ISS. “Si ces compagnies développent ces services pour la Nasa, rien ne les empêche d’offrir ces mêmes services à des personnes privées dans le cadre du tourisme spatial.

Sources

Futura Sciences
Le Figaro
Space.com
SpaceX.com
VirginGalactic.com
BlueOrigin.com
Nasa
REPORTERS