Le roller derby, "un sport féministe, qui déconstruit les rôles"

Le roller derby, mélange de féminité, de contacts et d'esprit d'équipe.

Dans la pénombre d'une soirée de février, le stade Charles Vander Putten à Bruxelles semble vide, froid, impersonnel. Pourtant, une lumière est allumée. Derrière l'antique porte de bois, la salle de sport aux lumières crues n'attend que ses joueuses. Un joyeux brouhaha s'élève des vestiaires, les voix féminines se font entendre.

Rollers aux pieds, casque, genouillères, protections pour les poignets et protège-dents, les joueuses des Pixies sont équipées comme des guerrières. Car le roller derby est un sport de contacts intense, encore méconnu en Belgique. Essentiellement féminin, c'est ce côté de la pratique qui a attiré Steph Florquin. A 32 ans, la jeune femme énergique pratique le derby depuis trois ans. Après avoir vu un match avec une amie, elle est tombée amoureuse de ce sport.

Elle qui pratiquait déjà le roller s'est laissée séduire par la mentalité et l'esprit du derby. "C'est est un sport féministe, qui déconstruit les rôles. Les femmes peuvent se montrer fortes et se donner des coups. Cela nous force à pousser notre corps dans ses retranchements, on se découvre même de nouveaux muscles", dit-elle en rigolant. La diversité est aussi mise en avant. "Le derby se veut inclusif et ouvert à tous, quelle que soit la corpulence ou l'orientation sexuelle. C'est très important pour nous." C'est un vrai sport "pour les femmes et par les femmes".

Des règles complexes

Relativement nouveau, le jeu se développe au fil des années pour se professionnaliser et évoluer avec ses joueuses. Les règles sont complexes mais la base reste la même: sur un terrain de forme ovale (track), deux équipes de cinq personnes s’affrontent durant des temps de jeu (jam) de deux minutes. Dans chaque équipe, une fille qui porte une étoile sur le casque (appelée jammeuse) doit dépasser les autres, au niveau des hanches, pour marquer des points. Les quatre autres équipières (bloqueuses) doivent bloquer la jammeuse adverse en formant une masse compacte, le pack. Si une joueuse est éjectée hors du terrain, elle doit rentrer derrière toutes les autres. Si une faute est commise, une exclusion de 30 secondes est appliquée. Les mots en anglais permettent une meilleure compréhension lors des matchs nationaux et internationaux.

Brussels Derby Pixies

Derrière le sourire et la bonne humeur de Nisrine Hussein se cache la fondatrice des Pixies. Membre de l'équipe A, la jeune femme de 27 ans a créé la ligue en 2011. "Je voulais faire un sport d'équipe et une amie, qui avait vu un match de derby à Los Angeles, m'a parlé de ce sport. Elle pensait que j'aimerais. En effet, j'ai fait des recherches et j'ai rejoint l'équipe d'Anvers." Très vite, les allers-retours avec Bruxelles commencent à lui peser. "J'en ai parlé et on m'a dit que je n'avais qu'à créer ma propre ligue. J'avais 18 ans et ça me paraissait fou". Pourtant, l'idée fait son chemin et elle se lance dans l'aventure avec cinq amies.

Le côté violent du sport lui faisait un peu peur au début mais finalement, elle aime le fait que toutes les joueuses soient mises sur le même pied d'égalité. "Les coups sont permis mais les règles sont strictes. On ne peut pas frapper n'importe comment et n'importe où". Connue sous le nom de derby de Kenny (comme dans South Park), l’étudiante en médecine explique en rigolant qu'elle a choisi ce nom car même si elle tombe souvent, "on ne peut pas se débarrasser de moi!"

Chacun son rôle

Même si elles sont capables de tout faire, chaque compétitrice a un rôle de prédilection. Steph, membre de l'équipe B, préfère être jammeuse pour mettre en avant sa rapidité et son agilité. Nirsrine a opté pour le rôle de bloqueuse car elle aime donner les coups et parce que c'est un vrai travail d'équipe.

A 22 ans, Joyce Goethals préfère également être bloqueuse. Pourtant, en débutant, la violence l'effrayait. "Il faut apprendre à ne pas avoir peur de tomber et de se faire des coups. Maintenant je n'ai plus peur... enfin ça dépend", admet-elle. Si elle a connu ce sport, c'est grâce au film Bliss, mettant en scène une jeune fille qui découvre le derby par hasard et qui va le pratiquer contre l'avis de ses parents. "J'aime le côté atypique de ce sport et son esprit d'équipe. Ce qui me manque, ce sont les bas-résilles et shorts à paillettes comme dans le film", dit-elle avec un grand sourire.

Les entraînements

Dans la salle de sport mal chauffée, les entraînements débutent par des échauffements, puis par l'exercice de différentes techniques: freinages, coups, blocages... A la fin, les filles s'affrontent lors de matchs entre elles, pour affiner leurs stratégies. Plusieurs fois par mois, des rencontres nationales et internationales sont organisées pour permettre aux Pixies de se confronter à des adversaires externes.

Kateline Vleeracker, elle, peut s’entraîner mais doucement. Blessée à la cheville depuis quelques mois, l'opticienne de 29 ans fait du roller derby depuis cinq ans. Membre des Tinkerbell, elle n'a pas encore pu passer les tests pour intégrer l'équipe C ou B, faute de temps et d'entraînements réguliers. "Mon objectif est de continuer à m’exercer pour intégrer une de ces équipes, même si ça prend du temps". Elle aime le respect et la bonne énergie du derby: "Avant de venir, je suis toujours nerveuse mais ça me donne une telle énergie que je suis contente de l'avoir fait. D'ailleurs, dès que je fais quelque chose de bien, je veux le dire à mes collègues au boulot", ajoute-elle, avec un accent néerlandophone. Le français n'étant pas sa langue maternelle, Kateline a pu améliorer son niveau grâce au derby. "Je pratique aussi bien le sport que le français."

Après deux heures d'entrainement intensif, les filles en sueur troquent leurs patins contre des chaussures et repartent en groupe, fatiguées mais de bonne humeur.

Texte: Eloïse Dewallef
Photos: Christophe Bortels