L'avion de ligne
sans pilote

Dès 2025, la fin de la science-fiction.

35 milliards d'euros d'économies par an

Y a-t-il un pilote dans l’avion ? La réponse pourrait bientôt être négative dans les appareils de nombreuses compagnies aériennes. C’est du moins ce qu’affirme la banque suisse UBS qui a rédigé une importante étude sur le sujet. D’après la banque helvétique, la technologie actuelle pourrait permettre de lancer des avions en ligne entièrement automatisés dès 2025. Se passer de pilotes ferait aussi économiser près de 35 milliards de dollars par an aux compagnies aériennes, de quoi faire baisser sensiblement le prix des billets. Problème : la plupart des passagers ne sont pas prêts à monter dans un avion sans pilote.

Une idée loin d’être neuve

Dans l’aérien, les avions commerciaux "à intelligence artificielle" sont un vieux fantasme. En 1980 déjà, Michel Ziegler, à l’époque directeur technique d’Airbus, annonçait qu’un jour il n’y aurait plus de pilote dans le cockpit. Certains patrons de compagnies y songent aussi depuis un petit temps, avec une visée purement économique : à leurs yeux, les pilotes et leurs formations coûtent cher et ils s’en passeraient volontiers… Avec son style provocateur, Michael O’Leary, le patron de Ryanair plaidait, en 2010, pour la présence d’un seul pilote par avion, estimant que le second pilote ne servait qu’à vérifier que le premier ne s’endorme sur les commandes de l’ordinateur de bord. Le rapport d’UBS y voit aussi un bénéfice en termes de consommation de kérosène. Les machines seraient ainsi à même de calculer au mieux les trajectoires des avions. La banque remarque que l’histoire ne fait que suivre son cours. Après l’ingénieur de vol, devenu "obsolète" en raison des progrès technologiques au début des années 80, ce serait au tour des pilotes de quitter, petit à petit, le cockpit des avions. Mais selon le rapport, la disparition des deux pilotes pourrait être perçue comme "trop abrupte" dans "les dix à vingt ans à venir". Il y aurait donc une période transitoire durant laquelle un pilote resterait dans le cockpit, assisté par un second à distance et au sol. Ce pilotage 100 %automatisé devrait en outre tout d’abord concerner les vols cargo et donc sans passager. Car ce sont ces derniers qui pourraient bien clouer le projet au sol.

Des passagers pas du tout chauds

L’idée de voler sans pilote fait peur à une large majorité de personnes sondées (8 000 au total) par UBS, qui qualifie même son enquête de "peu encourageante" pour les vols automatisés. Près de 55 % des répondants n’embarqueraient en aucun cas dans un tel avion, même si le prix du billet est revu à la baisse. A l’heure actuelle, à peine 17 % des sondés se montrent globalement favorables à cette idée. A noter que les avions sans pilote sont plus populaires chez les jeunes et les personnes "les plus instruites". Les Américains sont aussi les moins frileux (27 %) à vouloir tenter l’expérience d’un vol sans pilote alors que les plus grandes réticences se retrouvent en Allemagne et en France. UBS constate que la peur de se trouver en l’air sans pilote est beaucoup plus importante que celle d’être guidé par une voiture sans chauffeur.

Attention aux nouveaux pirates de l'air

Outre la réglementation à adapter (notamment en termes de certification des appareils ou de responsabilités en cas d’accident), les avions sans pilote devront faire face à un obstacle majeur : celui des cyber-attaques. Cette menace et celle de bug informatique sont devenues des "risques majeurs pour le secteur aérien toujours plus connecté", constate le rapport qui rappelle l’impact de la défaillance du système IT de British Airways en mai dernier. UBS estime qu’il faudra développer des garde-fous informatiques pour empêcher qu’un pirate puisse, par exemple, provoquer un crash aérien à distance. Le rapport prône aussi une communication des avions de ligne ayant des niveaux de sécurité comparable à celle employée par les militaires. "Cette fiabilité sera nécessaire pour réduire la crainte des passagers."

Les pilotes ne sont pas morts, loin de là…

Les pilotes doivent-ils craindre pour leur profession ? A court et moyen terme, certainement pas. Les compagnies sont même actuellement en pénurie et la demande de nouveaux pilotes de ligne au niveau mondial (estimée à 637 000 pour les 20 prochaines années) explose. Boeing et Airbus tablent ainsi sur un doublement de la flotte d’avions dans le monde d’ici les deux prochaines décennies. La demande la plus forte provenant d’Asie. Avec tous les freins évoqués ci-dessus, UBS estime d’ailleurs qu’il sera difficile d’envisager de réaliser des vols commerciaux sans aucun pilote à bord avant 2050. D’ici-là, ces derniers peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles.

Boeing et Airbus testent les vols autonomes ou télécommandés

L’on pensait que la conduite autonome était l’apanage de l’automobile, mais l’aéronautique est en train de rattraper son retard : en juin dernier, peu avant le Salon du Bourget, Boeing a annoncé son intention de faire voler des avions sans autre pilote qu’un robot dès 2018. L’idée est de commercialiser la technologie à partir de 2025, sans préjuger bien sûr des réglementations.

Les aéronefs sans pilote embarqué dominent déjà le ciel, et l’on ne parle pas là des drones de loisir qui se multiplient : l’armée américaine possède plus de dix mille aéronefs sans pilote, que ce soit pour des missions d’observation - leur fonction initiale - ou de combat. Mais ces aéronefs - de type aussi bien avion qu’hélicoptère ou hybride - ne volent pas de manière autonome : dans tous les cas, il y a bien un pilote, au sol, devant ses écrans de commande.

Numérisation et électrification

Qu’en est-il de l’aviation commerciale ? Les avions de ligne ont évolué à vitesse grand V ces trente dernières années, à la fois dans le sens de l’électrification des commandes, rendues beaucoup plus précises, et de la numérisation qui analyse les paramètres en fonction desquels vitesse,direction, altitude sont sélectionnées.

Depuis longtemps déjà, les avions sont la plupart du temps en vol automatique : 95 % du vol en moyenne sont gérés par le pilote automatique,commande de bord et commandant en second ne prenant réellement les commandes que sur les 5 % restants, soit les phases critiques de décollage et d’atterrissage.

Ces données tiennent dans des conditions de vol normales, pas dans des circonstances exceptionnelles. Comme celles qui ont amené Chesley "Sully" Sullenberger à poser son Airbus A320, vol US Airways 1549,sur l’Hudson River. C’était le 15 janvier 2009, les deux moteurs CFM avaient été bloqués par des oiseaux lors du décollage de La Guardia mais il n’avait pas assez d’altitude pour revenir. En deux minutes, Sully a pris, en coordination avec le sol, toutes les décisions qui lui ont permis de sauver les 155 personnes à bord. Jeune, il avait entamé sa formation sur planeur, et non simulateur de vol.

"Nous ne sommes pas assez intelligents pour préprogrammer toutes ces choses", a avoué Mike Sinnett, responsable innovation de Boeing, au dernier Salon du Bourget. Pourtant une chose est sûre: l’erreur humaine est à l’origine de la plupart des accidents d’avion. Un ordinateur robot n’a, a priori, pas de problèmes physiologiques, pas d’états d’âme, ne subit pas de tensions psychologiques comme celles qui ont mené Andreas Lubitz, de la Germanwings, à jeter son A320 sur les Alpes du sud, le 24 mars 2015.

Il lui a fallu 10 minutes pour passer de 38 000 pieds au flanc de la montagne, largement le temps à un robot ou à un copilote au sol pour reprendre les commandes et redresser la situation. C’est dans ce sens que portent les recherches des avionneurs : le remplacement du commandant en second par une machine embarquée, mue par l’intelligence artificielle, et capable de manipuler l’essentiel des commandes comme un humain. L’autre possibilité envisagée est un copilote qui, depuis le sol, gère plusieurs vols à la fois et capable d’intervenir en cas d’urgence. Mais l’intelligence artificielle ira-t-elle un jour jusqu’à réagir à une situation qui n’a pas été programmée ?

Les vols automatiques se multiplient

Entre-temps, les vols automatiques ou commandés à distance se multiplient. En 2013, Boeing a fait faire des acrobaties à un avion de combat F-16 sans pilote à bord, le QF-16. L’année suivante, il lui faisait tirer des missiles air-air avec succès. Par ailleurs, le Diamond Centaur, avion de tourisme à 2 hélices et 4 places, a été testé sans pilote par la FAA,Administration fédérale américaine de l’aviation. Le but du metteur au point,Aurora Flight Sciences, est non pas de priver qui que ce soit du plaisir de voler aux commandes du petit bimoteur, mais d’utiliser l’appareil pour la surveillance des champs agricoles ou pétrolifères.

Si Boeing projette des tests de vol sans pilote l’an prochain, Airbus a déjà fait breveter un cockpit où la verrière est remplacée par un grand écran. Côté défense, l’avionneur européen a fait voler son drone démonstrateur Sagitta le 17 juillet dernier. Et via sa start-up A3 (A-cubed),Airbus va bientôt tester en vol Vahana, avion-taxi autonome, hybride pétrole-électricité, prévu pour commercialisation en 2020.

En attendant, dans les dix prochaines années, l’aviation commerciale va devoir trouver 255 000 pilotes de ligne.

Le public s'est déjà habitué aux rames de métro sans conducteur.

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