Lalesh,
lieu saint
des Yézidis

Dans une vallée du nord de l’Irak, se niche leur lieu le plus sacré.

Dans une vallée du nord de l’Irak, se niche le lieu le plus sacré des Yézidis : Lalesh. Aujourd’hui, c’est jour de pèlerinage et par milliers, ils affluent. Délaissant leur voiture à deux kilomètres de là, ils gravissent à pieds nus la route de macadam qui monte jusqu'au temple du cheikh Adi. Plus on monte, plus l’effervescence grandit. Des échoppes vendent des bouteilles d’eau, des cierges et des breloques chinoises. La viande des kebabs grésille. Puis survient la première étape, ludique, de la Fête de l’Assemblée, la plus importante de l’année. Elle dure sept jours et, selon la tradition yézidie, célèbre le moment où les sept anges, sous la direction de Taous Malek, décident de l’année qui vient au nom de Dieu.

Au pont de Silat

Au pont de Silat

Au pont de Silat, les pèlerins font trois fois l’aller-retour vers une pierre sacrée en prononçant la phrase "Le pont de Silat,d’un côté il y a l’enfer, de l’autre le paradis". A chaque fois, ils déposent un caillou sur la pierre, puis un baiser. Tout cela se fait dans le sourire et les selfies.
Bienvenue à Lalesh, cette vallée où se nichent des temples, un dédale de grottes, le tombeau du cheikh Adi, une source sacrée - la zemzem, comme à La Mecque, où les croyants se lavent les mains et le visage dans un acte purificateur et de vœux.

Zerdest Agirman est venu de Liège.

Zerdest Agirman, un Yézidi de Liège, est novice. Pressé par les autres fidèles, il s’avance prudemment dans le circuit des grottes faiblement éclairé par les ampoules. Comme tous les autres, à la tombe d’Adi, il en fait trois fois le tour tandis qu’un religieux récite des prières en échange de quelques billets de mille dinars irakiens. Puis comme il dit, il donne "un bisou" à la tombe.

Le jeune Liégeois est ému. C’est son premier pèlerinage à Lalesh. Ses amis yézidis de Liège sont impatients d’entendre son récit.

"Je suis envahi par l'émotion. Ici, c’est le centre du pèlerinage".

Zerdest Agirman

"J’ai vu de mes yeux vu. Je peux témoigner à la communauté. Beaucoup disaient que c’était dangereux de venir ici. On a bravé les obstacles. J’aimerais revenir seul ici, comme dans une grande cathédrale, pour explorer la dimension spirituelle de ma foi".

Etonnante religion yézidie! Alors que les trois grandes religions du Livre (chrétienne, musulmane, juive) sont souvent solennelles, cette religion millénaire a inventé des rites quasi-ludiques.
En poursuivant son chemin, Zerdest tombe sur le lancer du tissu. Le but ? Faire tomber le tissu, les yeux fermés, sur le rebord d’une paroi de la grotte tout en formulant un voeu. "Si tu réussis ton premier essai, ton voeu est exaucé. Si tu échoues, tu as droit à plusieurs essais", sourit notre ami.

Devant la tombe du cheikh Bakir, rebelote. Le fidèle fait "un bisou", puis trois pas en arrière. Tout cela se passe dans une ambiance allègre, où les adolescents, très nombreux en ce jour de congé scolaire, rient et se prennent en selfies.

L'un des rites dans les grottes de Lalesh : le lancer du tissu.

Le maître des lieux est le Baba Çawis. Barbe fournie, tunique blanche et couvre-chef en laine, il a été désigné prêtre en chef après avoir servi pendant cinq ans l’ancien Baba. Il nous reçoit dans un petit salon, d’où on a une vue plongeante sur les pèlerins qui montent et descendent l’allée principale. Il connaît Liège car il vient deux fois par an à Ans où il y a un centre yézidi.

Le Baba Cawis dans son salon.

Le Baba Cawis dans son salon.

Comme les évêques irakiens, il redoute que le nettoyage ethnique opéré par l’Etat islamique finisse par convaincre l’ensemble de sa communauté qu’il vaut mieux vivre ailleurs qu’en Irak. "Je comprends ceux qui partent en Europe", dit-il, "mais c’est aussi une forme de génocide".

C’est surtout son neveu qui parle. Il explique que deux familles habitent dans les lieux. Celle du Baba Cawis, le guide spirituel, et celle de Fakir, chargée de protéger les lieux et d’allumer les chandeliers deux heures avant le coucher du soleil. Parmi eux vivent les étudiants en religion – les "talib" comme dans l’islam – qui sont formés par des professeurs qui transmettent, depuis des générations, les préceptes du yézidisme.

"Il ne nous reste plus que notre mémoire".

Le neveu du Baba Cawis

"Nous n’avons pas d’écoles religieuses", explique le neveu."Les professeurs sont des volontaires. Notre livre le plus sacré – le Livre noir - a disparu mais notre religion est transmise de pères à enfants, de professeurs à élèves. Après 73 génocides, c’est notre façon de nous protéger. Il ne nous reste plus que notre mémoire" .

Transmise oralement, la religion yézidie est remplie de mystères et de légendes, malgré le fait que certains professeurs soient capables de retenir "jusqu’à 400 textes sacrés", explique-t-il.

Certains de ces jeunes filles et garçons ont été enlevés par l'Etat islamique. Pour les réinsérer dans la communauté yézidie, une visite de Lalesh est prévue.

Le cheikh Adi vénéré à Lalesh était un soufi musulman qui s’installa dans la région au XIIe siècle et prit sous sa protection les Yézidis. Adi insuffla une dimension mystique à une religion influencée par le zoroastrisme, qui aurait été importée au Kurdistan – par les Mèdes – entre le IXe et le VIIe siècle avant Jésus-Christ.

Depuis, les Yézidis sont divisés en quatre castes, héritées des deux parents et dont il est difficile de s’extraire encore aujourd’hui. Celle des Mîrs est la caste dirigeante, les Pîrs et les Cheikhs font partie de la caste religieuse tandis que les Murids sont les gens du peuple.

"Lalesh, pour les Yézidis", nous dit un religieux, "est aussi important que La Mecque l’est pour les musulmans. Chaque Yézidi qui vient au monde doit venir ici pour se faire baptiser". On se bouscule dans le baptistère, où un Pîr asperge par trois fois la tête des fidèles en prononçant des incantations en kurde.
La vallée, logée dans les premiers contreforts des montagnes du Kurdistan irakien, a échappé à l’offensive de Daech en 2014. Fatalistes, mais pas résignés, les Yézidis mettent cela sur la protection de Dieu. Mais "nous avons toujours été massacrés dans notre histoire, et ce serait encore mieux si les Européens et les Américains venaient nous défendre. Ils sont les seuls à pouvoir le faire", dit le neveu du Baba Cawis.

Le pèlerin liégeois s'incline devant les religieux.

Au pélérinage de Lalesh, gens de simple rang et religieux se mélangent. Chaque famille a ses droits sur les toits plats des maisons et dans les recoins de la vallée. Les nappes et matelas sont posés au sol. Les casseroles et becs à gaz sont sortis des caisses.

Parfois une tente est dressée, mais la plupart des fidèles dorment à la belle étoile. Quand la nuit vient, des centaines de feux et bougies illuminent les abords du sanctuaire d’Adi tandis que le murmure des voix s’élève dans la vallée, entrecoupé de chants et des cris des enfants.

C’est l’heure des papotes entre jeunes hipsters, ados en noeud pap et aux cheveux gominés, filles aux cheveux longs et aux faux cils. Ceux-ci s’approchent immédiatement des rarissimes étrangers et les pressent de questions. "Tu n’as pas de compte Facebook ?", s’étonne une fille. "C’est pas croyable. Comment tu fais ? Un email ? C’est quoi un email ?" A 60 km de là, Mossoul a été libérée de Daech. Ces Yézidis-là sont toujours vivants.

Le grand pèlerinage des Yézidis dure sept jours, au début du mois d'octobre à Lalesh. C’est le grand rassemblement annuel de cette minorité religieuse qui vit au nord de l’Irak, en grande partie dans la région autonome du Kurdistan. Les Yézidis d’Irak, qui parlent kurde, disent parfois qu’ils vivent dans le Rojhilat (du côté de l’Irak et du soleil levant) par opposition aux Kurdes de Syrie qui ont créé le Rojava (du côté de la Syrie et du soleil couchant).

Le chiffre "7" symbolise les sept jours de passage nécessaires pour aboutir au paradis. Pendant sept jours, les fidèles viennent suivre différents rituels, étapes, mais aussi passer un bout de temps entre voisins et connaissances. Les Yézidis doivent venir au moins une fois dans leur vie à Lalesh, pour s’y faire baptiser.

Le pèlerinage est festif. On y entend des chants kurdes, accompagnés de flûtes et de tambourins. Des danses, processions et veillées à la lumière des bougies sont aussi organisées. Au cinquième jour, un taureau est sacrifié et sa viande cuite est distribuée aux pèlerins, c’est le Simat.

Lalesh est une vallée encaissée dans la rocaille, qu’on ne peut joindre que par une seule route. Mais dans le temps, les pèlerins venaient à pied et passaient par les trois monts qui entourent la vallée. L’un d’eux – le mont Arafat - a la même signification dans l’islam. C’est le lieu où Adam et Eve se seraient réconciliés. Un mont similaire existe à une vingtaine de kilomètres de La Mecque.

(Avec le soutien du Fonds pour le Journalisme de la Fédération Wallonie-Bruxelles)