Chapitre 4

L’étoffe des leaders

© Olivier Papegnies / collectif Huma Papegnies

N’est pas chef Koglweogo qui veut. Démêlons ces quelques fils indispensables qui font l’étoffe des leaders.

Parce que les Koglweogo ne sont pas unanimement acceptés et qu’il a fallu qu’ils fassent leur chemin dans la société burkinabè, il est primordial d’avoir « un caractère fort pour aller contre les résistances ». Et puisqu’ils s’appuient sur la population pour faire remonter l’information jusqu’à lui, le chef se doit d’être accepté par elle. Encore mieux, d’avoir un lien particulier avec le chef coutumier, puisque celui-ci, qui reste le véritable référent, lui donnera son blanc-seing ou non. Puisque que les Koglweogo ne bénéficient d’aucun soutien financier des autorités, nombreux sont ceux qui y mettent leur propres ressources. « Il faut avoir les moyens et être quelqu’un », explique Aimé Béogo.

Django, parole de prince




« C’est vous qui défendez le peuple ou le peuple qui vous défend ? », voila ce que dira Django au ministre de la Sécurité lorsqu’il le verra, quelques jours après notre première rencontre. Sous sa gentillesse, Django ne mâche pas ses mots. Au four et au moulin, l’homme a le bras long et les yeux partout. On le croirait presque doté du don d’ubiquité. Rien de ce qui se passe dans la ville de Fada N’Gourma et dans le millier de villages alentours ne semble échapper à sa vigilance. Django s’est proclamé chef des Koglweogo de Fada et de la vaste région de l’Est ; chef coutumier, prince de l’ethnie Gourmantché, homme politique, artiste actif un temps sur la scène internationale, il est un homme aux multiples casquettes. « Avec lui, tout s’emmêle », commente Aimé Béogo, un de ses proches. Issu d’une famille princière, il a même pu se permettre d’outrepasser le sacro-saint accord du chef coutumier de Fada pour installer ses « Gardiens de la cité » dont il a fait une association aujourd’hui officiellement reconnue. « Les Koglweogo sont pour lui un moyen d’occuper une place dont il s’est vu écarté en n’accédant pas à la position de chef coutumier, analyse Tanguy Quiddeleur, mémorant à l’Université de Paris Nanterre. Il se fait calife à la place du calife ! ».

Moussa Thiombiano, dit Django, est un homme du cru érigé en figure emblématique.L’épisode le plus marquant se déroule il y a un peu plus d’un an : arrêté à la suite de ses activités au sein des Kogleweogo, il est placé en détention dans la prison de Ouagadougou. Pendant 33 jours, tous les jours, des dizaines de personnes manifestent leur désaccord de voir leur chef, garant de leur sécurité, ainsi privé de liberté, alors qu’il tente lui même d’enrayer un cycle de violences souvent meurtrières. Ils viendront à bout des vélléites des autorités. Django sera libéré. Là où il passe, le Prince, drapé dans d’élégants tissus colorés, serre des mains, balance des sourires, rameute des foules dans des ambiances festives et use de son aura et de sa gouaille, alternant humour et gravité, pour récolter le soutien des populations. « Si tu n’es pas un voleur, pourquoi serais-tu contre nous ? C’est idiot ! », déclare-t-il tout sourire. Il l’assure : lui, bannit toute forme de violence et assure se distinguer d’autres groupes Kogleweogo par des pratiques respectueuses du droit. Mais dans les faits, il admet qu’il « peut y avoir des débordements ». Il ne peut pas avoir les yeux partout, tout le temps, finalement. Grâce à lui, nous assure-t-on, la région de Fada est devenue un « havre de paix », une « zone libérée ». Les résultats plaident en sa faveur. Et qu’importe son isolement dans la « famille Koglweogo » burkinabè! Lui ne revendique pas d’unité. « On n’a pas la même vision de nos actions », dit-il. Cette différence, il l’a cultive.

Django aime les choses bien faites, tatillon sur les détails, il s’agace devant les négligences, le manque de respect, la perte de contrôle. Comme lorsque nous le rencontrons assis au bar d’un boui-boui en bord de route, derrière sa salle de répétition. Il est énervé et cela se remarque tout de suite par les traits qu’il a, tirés, et qui tendent davantage les cicatrices tribales de son visage. « Elles racontent une histoire », nous avait expliqué Aimé Beogo.

A ce moment-ci, cela semble évident. Les mots et le ton du discours confirment cette première impression. Tout en avançant dans le récit, Django hausse le ton de la voix, sautille sur le banc déjà branlant, manquant de faire tomber son voisin de table. Le sujet le chamboule et le met en colère. L’homme, habituellement posé, s’emporte, gagné par l’émotion. Les mouvements de ses longs bras sont amples mais saccadés. « Je ne crains personne, je suis fort, je l’ai toujours été. Parfois, j’ai envie d’aller à la confrontation. Et si je meurs demain, mon nom à moi restera écrit », dit-il avec une certaine vanité en nous agrippant, pour mieux démontrer la force qu’il a encore à 70 ans passés. « Mais les grands sont raisonnables, ne répondent pas à la provocation et réfléchissent aux conséquences de leurs actes », poursuit-il en plantant son regard brûlant dans le nôtre.

Un boucher aurait volé une moto. Les Koglweogo n’ayant pas saisi l’homme sur le fait, il leur est difficile de l’arrêter. Et pourtant, ils connaissent l’identité du présumé coupable. Celui-ci est protégé par la centaine d’autres représentants de sa profession. « Si je laisse mes hommes interpeller le voleur, on va droit à la confrontation. Je peux rassembler 1000 membres en peu de temps, se vante-t-il presque. Mais si je les laisse faire, je n’aurai plus le contrôle. Et en une heure, ça peut faire des dégâts », avertit-il inquiet. Mais s’il saute le pas, « (je) ne serai plus le Django que vous connaissez… » Et la quiétude gagnée au cours de cette dernière année serait sacrément compromise.

Django a une « soif incontrôlable de justice », décrivait Aimé Béogo. Impulsif, ce jour-là, il a pourtant maîtrisé sa frustration de perdre du terrain face aux voleurs… et aux forces de l’ordre. Piégé entre le choix d’une dangereuse et compromettante confrontation et la capitulation qui lui ferait perdre la face, il s’est finalement avoué impuissant et a fait appel à la police pour qu’elle reprenne la main sur le dossier. « C’est au minimum un exemple de collaboration », concède-t-il du bout des lèvres.

Nadbanka, l’insaisissable




Son charisme est à l’image de sa taille : Nadbanka est grand. Ses longues robes soulignent une silhouette longiligne. Lui donnent ce caractère insaisissable. Distant mais proche à la fois. La main constamment posée sur son couteau, il a quelque chose d’effrayant. Mais son regard profond et ses traits fins ont cette autre chose de rassurante : lorsque le chef des Koglweogo de la province du Namentenga décide de prendre la parole, il est affable et parle au-dessus des autres. Le reste du temps, il fait preuve d’une timide réserve et d’une curieuse discrétion. Il se mêle à la population, reçoit de l’argent autant qu’il en distribue aux Griots et aux « masques » qui dansent pour lui. Il salue avec respect et déférence les parents d’un Koglweogo défunt autant qu’il reçoit les honneurs avec une apparente fierté.

Il est distant et proche. Comme lorsqu’il nous invite boire une bière dans un maquis. Qu’il nous observe sans nous adresser a parole dans la lueur des dernières lumières d’un jour de deuil. Il l’est encore lorsqu’il nous emmène rencontrer sa famille dans son village, au beau milieu de nulle part, de brousse. Parents, femmes, enfants, petits-enfants sont rassemblés dans son petit hameau de cases éclairées au feu de bois. Lui, s’assied juste en dehors du cercle qui s’est formé par nos poignées de mains.

Nadbkanka est intrigant. Il ne parle pas de lui, sauf pour expliquer son action en faveur de la sécurité et sa lutte contre le terrorisme djihadistes à la frontière nord. C’est dans le village de Kerboulé dans la province fragile du Soum, qu’il a envoyé pendant plusieurs mois (à ses frais, pour 14 millions de CFA) des vingtaines de « soldats » freiner les incursions djihadistes, contre qui il s’estime être le dernier rempart. « Nous n’avons peur ni des kalachnikovs ni des chars. Les malfrats et terroristes fuient devant nous !», dit-il calmement, enfoncé dans sa chaise de bois.

Derrière son apparente modestie, se cache un homme dont l’aura dépasse la ville de Boulsa et la province du Namentenga. A Ouagadougou, on vante sa force et son intrépidité. « En Côte d’Ivoire, il a combattu à la force de son couteau. Il s’est battu pour les Burkinabè », dit un fabriquant d’armes. Nadebenka est fortuné, dispose d’immeubles ci et là. Mais c’est aussi un propriétaire terrien. Lors de ses années ivoiriennes, il est devenu propriétaire de 40 hectares de plantations de cacao. Une réussite qu’il met aujourd’hui au profit des Koglweogo. Le mouvement n’est pas une fin en soi, mais un moyen de combattre la criminalité.« Les Koglweogo disparaîtront le jour où il n’y aura plus de voleur », assure-t-il.

Ben Laden, homme discret qui capte la lumière




Lui, il se fait appeler Ben Laden. Ce surnom ne le dérange pas. En fait, ça le fait même sourire. «C’est à cause de ma barbe, dit-il. Il était aussi très actif» , ajoute le chef des Kogleweogo de Nioko 1. Comme l’homme dont il porte le nom, il dit avoir obtenu cette position par sa « force de travail et son influence ». Ben Laden sur la scène, Soumaila Ouedrago en coulisses, le natif de Ouagadougou a vu le jour en 1961. « Il est né indépendant », commente Samir, son bras droit, en référence à l’année lors de laquelle la France s’est retirée de la Haute-Volta d’alors.

Nous rencontrons Ben Laden après la prière du vendredi, dans un local surplombant la petite mosquée Fatima, dans un quartier de la capitale burkinabè. Son regard perce malgré la pénombre dans laquelle il est plongé. L’homme semble d’ailleurs ne pas vouloir trop attirer la lumière et parle peu, d’une voix basse. Il est engoncé dans ses robes, vêtu de blanc de pied en cap.

Illettré (c’est noté sur sa carte d’identité qu’il tient à nous montrer) sa langue se délie lorsqu’il évoque les raisons de son implication pour la sécurité des citoyens. Comme beaucoup, il s’est engagé après avoir été victime d’un vol de bétail et de sa moto, sans que justice ne soit jamais rendue par les autorités compétentes. « Sur la Bible et le Coran, nous avons juré que nous mettrions la main sur les voleurs et qu’on mettrait tout le monde dans un sac, les bras coupés ! », commente-t-il, nous laissant quelques secondes perplexes… avant de rompre le silence de son rire étonnamment puissant. Manière de parler ou réalité, nous ne le savons pas. Mais c’est à la suite de cet événement que ce « tradi-practicien » constituait alors le groupe de Koglweogo de Nioko 1, quartier de la périphérie Est de Ouagadougou.













©Lalibre.be 2018 - Koglweogo Miroir d’une faillite d’Etat

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