Chapitre 1

Un combat hors la loi
pour la sécurité

© Olivier Papegnies / collectif Huma

Polé Compaoré est assis sous un toit de manguiers, les bras autour des genoux, les chevilles enchaînées, le regard rivé vers le sol, accroché aux cendres refroidies du feu autour duquel il a passé la nuit. Les Koglweogo, groupe d’autodéfense citoyen, l’ont arrêté avec son butin : un téléphone portable volé à un petit commerçant. Torse nu, il est lié par les pieds et les poings à un pieu de bois. « Je ne savais pas ce qui allait se passer », dira-t-il après coup. Après les coups. « On vient ici pour frapper ! » crie avec excitation le responsable du lynchage. Quelques minutes plus tard, les cris de Polé couvrent les gifles de fouets pleuvant sur son dos. A chaque frappe -une dizaine - son corps se cabre, ses muscles se tendent, son visage se crispe. « On corrige bien pour qu’une personne mauvaise devienne bonne, justifie Zongo, l’un des « wibsé » (soldat) de garde ce jour-là. C’est comme une conversion », dit-il, visage d’ange, fusil de chasse en bandoulière et couteau noué autour de la cuisse. « Je ne recommencerai pas », murmure Polé.

Comme à chaque fois, la nouvelle d’une arrestation s’est répandue comme une traînée de poudre dans la ville de Léo. Apseto Ziba, mère de quatre enfants, est venue identifier le voleur et « voir la punition », qu’elle juge nécessaire pour éviter la récidive et pour éduquer les enfants. Fadilatou lui donne raison : « C’est la honte ! Après ça, c’est sûr qu’on ne volera pas », commente l’adolescente qui s’est arrêtée avec ses copines sur le chemin de l’école. Le propriétaire du téléphone, lui aussi, a assisté au triste spectacle. Un groupe de « sages » écoute sa version des faits. Polé est prié de lui présenter des excuses tout en lui restituant de manière cérémonielle le bien subtilisé. « Polé a eu ce qu'il mérite », ajoute son frère aîné à l'issue du jugement.

1- Polé a été arrêté la veille pour vol de téléphone portable. Après avoir passé la nuit au siège de Léo, il subit le "chicotage". Bien que les pratiques varient d'une localité à l'autre, les châtiments corporels sont courants dans la pratique des Koglweogo.
2- Les personnes arrêtées sont systématiquement mises en scène avec le bien volé et prises en photo. Cela fait partie de l'humiliation publique. "On en met sur Facebook pour que tout le monde le sache", commente Django, chef des Koglweogo de la Région de l'Est.
3 - Après avoir été frappé avec des branches de tamarinier, Polé pourra s'en aller. "Il a été lâché par sa famille, qui ne veut pas payer l'amende. Nous n'allons donc pas le livrer à la police", explique Zio, président du groupe de Léo.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

Polé est une petite frappe mais son histoire en résume beaucoup d’autres, similaires ou plus sérieuses. Vols de bétail et de marchandises, braquages, coupeurs de routes, viols, exactions commises par des réseaux de grand banditisme transfrontalier, voilà les maux qui gangrenaient la société burkinabè, terrorisant une population réduite au silence.
Les Koglweogo, ces « gardiens de la forêt » en langue mooré, sont nés de la volonté de combattre cette « insécurité institutionnalisée », comme le raconte Aimé Béogo, proche des Koglweogo de Fada N’Gourma. Mouvement d’autodéfense, il est le fruit d’une initiative populaire aujourd’hui répandue sur presque tout le territoire à l’exception du grand Ouest et des Cascades. « La violence avait atteint une telle ampleur qu’on ne pouvait plus vivre. En nous volant, c’est nos familles qu’ils tuent », se souvient avec douleur Maïga. Pour protéger la sienne, cet éleveur de la région de l’Est dormait dans un arbre à l’écart de son foyer et proche de son cheptel. Dans un pays où 80% des personnes vivent de l’élevage et de l’agriculture, sécuriser ses biens est une question de survie. Sans bétail, sans récoltes, pas de moyens pour subvenir aux besoins en nourriture, à l’éducation des enfants, aux soins de santé.

Le marché au bétail de Fada N’Gourma, chef lieu de la vaste Région de l’Est, est l’un des plus importants de la sous région.
Il accueille des centaines d’éleveurs et d’acheteurs venus des pays limitrophes. « Nous sommes rassurés par la présence des Koglweogo », rapporte un grand nombre d'entre eux.
Grâce aux Koglweogo, le commerce a pu « reprendre dans un climat sécurisé »

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Palier les failles d’un système “injuste et corrompu”
Le constat est sans appel : l’Etat se montre incapable d’assurer la sécurité de l’ensemble de la population sur l’entièreté du territoire. « Le faible maillage des forces de l’ordre, 70% du territoire environ, a permis aux Koglweogo de prospérer », explique Ismaël Compaoré, journaliste et spécialiste de la problématique. S’il existe depuis une trentaine d’années, le phénomène a pris depuis 2015 une ampleur sans précédent, profitant du vide laissé par les troubles socio-politiques ayant vu Blaise Compaoré chassé du pouvoir par l’insurrection populaire mais aussi suite au coup d’Etat manqué de 2015, ayant « mené à une recomposition des forces en présence dans le domaine de la sécurité », analyse Tanguy Quidelleur, doctorant à l’Université Paris Nanterre.

Une continuité historique plus qu’une rupture
Les « gardiens de la forêt », en langue mooré, sont nés dans les années 1990 et avaient pour principale préoccupation la protection de l’environnement et des biens agricoles produits. D’émanation coutumière, ces groupes appelés à intervenir en cas de vol ou de pillage ont cependant connu une période de léthargie pendant la colonisation. A l’indépendance, la chefferie traditionnelle a recommencé à occuper un rôle central et a repris son rôle de référent moral, culturel et religieux. Ce sont ces chefs coutumiers qui endossent les actions des Koglweogo dans leur forme actuelle.
Différentes formes de groupes d’autodéfense verront le jour dans les décennies succédant à l’indépendance, initiée par le pouvoir ou soutenues par celui-ci (lire par ailleurs).
Les Koglweogo, tels qu’on les connaît aujourd’hui, sont d’abord apparus sur le plateau central, zone majoritairement peuplée par l’ethnie Mossi, dans la ville de Kombissiri, au sud de la capitale Ouagadougou, de l’initiative de celui qu’on appelle le « Rassam Kande Nabaa » (chef suprême). Propriétaire terrien connu et respecté, il n’est pas un inconnu des activités de sécurité puisqu’il a participé à la police de proximité. En 2014, il institue les premiers Koglweogo et diffuse le modèle dans les localités alentours. Il se répandra par contagion et effet d’entraînement, épousant principalement les zones Mossi et s’appuyant sur les réseaux coutumiers. Mais il ne se circonscrit pas à cette ethnie majoritaire.

On estime qu’il y a aujourd’hui à peu près 4400 groupes à travers le pays (chacun compte au moins 21 membres), issus de toutes les couches sociales. « Ils sont présents dans tous les villages et sont plus nombreux que les membres des forces de l’ordre », assure Nama Baoui, membre de l’Assemblée nationale et maire de la localité de Sapouy (Centre Ouest).

Outre le manque de moyens humains et financiers des forces de l’ordre, c’est tout l’appareil répressif et judiciaire qu’une grande partie de la population juge lent, coûteux et défectueux, et qui les a « forcés à prendre leurs responsabilités ». Les Koglweogo sont ainsi le résultat de la corruption et de l’injustice, clament leurs partisans. Alors que les victimes n’obtiennent pas réparation, les « malfrats sont relâchés et recommencent comme si de rien était, dénonce, parmi tant d’autres, Nicolas, membre d’un groupe de la capitale. Le système avantage les voleurs. Pourquoi auraient-ils des droits dont la victime est dépourvue ? Personne n’a le droit de détruire le bonheur de l’autre», dit-il, rendant compte d’une vision manichéenne de la société souvent entendue : d’un côté les malfrats, qui ne devraient jouir d’aucun droit, de l’autre les gens honnêtes. « On assiste au tribunal populaire avant le jugement judiciaire », commente Aimé Béogo. Les procédures de jugement expéditif mises en place par ces groupes d’autodéfense citoyens assurent une indemnisation rapide des victimes et participent à leur popularité. Baha insiste : « Tu dois rendre ce que tu as volé. Sinon, qui y perd ? La victime, qui a travaillé honnêtement. »

1 - Dans la cour de la maison du chef des Koglweogo de Sapouy, des membres fondateurs du groupe expliquent que « personne ne joue son rôle : ni les dirigeants ni le monde de la justice, pourris par la corruption».
Du coup,« ce sont les citoyens qui en paient le prix » . Alors,« on frappe bien, pour que les malfrats ne recommencent pas ».
2 - « Le vieux » était traqué depuis longtemps. Il a été pris en flagrant délit alors qu'ils renseignait un groupe ghanéen de bandits. Enchainé à une racine du tamarinier, des dizaines de personnes défilent, l’entourent, l’observent et,
finalement, assistent à son audition auprès des « sages ». Le jugeant affaibli, ceux-ci ne décideront exceptionnellement pas immédiatement de son sort.
3 - Basirou est suspecté de vol de légumes. Il est entendu par les « sages ». Le jeune homme devra s'acquitter d'une amende et sera relâché sans le moindre coups.
« Il a promis de travailler honnêtement pour rembourser la victime. Tout le monde en sort gagnant », explique le chef de l’association de Sapouy.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

Séquestration, torture, extorsion de fonds
Ismaël Gnaon, magistrat de la juridiction de Fada N’gourma, l’admet sans détour : depuis l’arrivée des Koglweogo, la criminalité a « drastiquement diminué ». Si les statistiques sont incomplètes, un document de la police nationale, transmis au ministre de l’Intérieur, faisant le point sur ses activités de lutte contre l’insécurité et le grand banditisme entre 2015 et 2016, confirme cette observation. Les attaques à main armée enregistrées sont ainsi passées de 1034 à 461.

« Les Koglweogo sont diaboliquement efficaces. Personne ne peut le nier. Mais la fin justifie-t-elle tous les moyens ? », interroge Ismaël Gnaon avant de donner lui-même la réponse : « Si on appliquait les mêmes méthodes qu’eux, on serait tout aussi efficace ». La sécurité des biens et des personnes doit rester une matière régalienne. Tandis que le dispositif pénal, l’affaire de la justice, dit-il en substance. Or les Koglweogo se font policiers, juges et bourreaux ; ils arrêtent, jugent, condamnent et se substituent de ce fait aux autorités compétentes. Surtout, certaines de leurs pratiques contreviennent au respect des droits humains. « Quand ils parlent d’arrestation et de détention, ils se rendent en réalité coupables de séquestration ; ‘chicotage’, ‘correction’, ces sévices corporels pour obtenir des aveux ou en guise de punition sont des actes de torture ; les amendes infligées par certains groupes sont des faits d’extorsion de fonds », résume-t-il. En 2015, le syndicat dont il fait partie avait déjà tiré la sonnette d’alarme, appelant à la suppression d’un mouvement n’ayant « aucun fondement légal ».

Lompo est accusé d’avoir volé une moto. Il est intercepté par les Koglweogo du secteur 11 de Fada N’Gourma.
Après leur arrestation, les présumés voleurs sont ligotés et dévêtus. Si les Koglweogo ne prennent pas le voleur en flagrant délit,
une enquête est menée pour rassembler les preuves de sa culpabilité.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

Dans la population, des voix se lèvent aussi contre ces méthodes. « Le minimum, ce sont les droits humains. Pourquoi frapper presque jusqu’à tuer ? », lance Dicko, jeune éleveur rencontré dans la ferveur du marché au bétail de Fada N’Gourma.



Malgré les dérives constatées, selon les statistiques fournies par le Centre pour la gouvernance démocratique du Burkina, deux tiers des Burkinabè se disent plutôt satisfaits de l’action des Koglweogo contre 28% d’insatisfaits. Le soutien est plus fort encore dans les zones rurales et semi-urbaines et cette tendance s’accentue en fonction des régions. Il est cependant fortement contesté à l’Ouest, théâtre d’affrontements violents entre pro et anti Koglweogo. Ces derniers défendent leur particularisme culturel en supportant les chasseurs Dozos qui y assument des fonctions similaires.

Cela étant dit, le mouvement jouit d’une popularité telle que, dans certaines localités, « tout le monde est agent des Koglweogo », concède le maire de Sapouy. « Le réseau formé au sein de la population est notre force », soulève d’ailleurs Django, chef des Koglweogo de la Région de l’Est. Sedogo Hamadou, propriétaire d’une quincaillerie dans la ville de Boulsa (Centre Nord), le répète à l’envi : « Tous les commerçants vous le diront : nous les soutiendrons jusqu’à la mort ». Si la population est utile pour faire remonter les informations, son soutien financier est indispensable au fonctionnement des groupes d’autodéfense qui, par ailleurs, s’autofinancent.

Les habitants de Sapouy se joignent aux quelques centaines de Koglweogo de la région du Centre Ouest, rassemblé lors d'une cérémonie festive.
Pendant des heures, ils écoutent discourir les chefs traditionnels et les leaders des groupes d'autodéfense.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

Des droits humains universels ?
« Les lois et les droits humains, on ne connaît pas trop. Frapper, il paraît que ça ne va pas », assume Moussa Ouédraogo, représentant des commerçants de Pouytenga (Plateau central). Le manque d’éducation est évoqué pour expliquer tant les enfreintes aux droits humains qu’un soutien souvent indéfectible au mouvement. Mais ce n’est pas l’unique raison. Revient systématiquement la critique de lois et de droits importés par le colon, niant les spécificités propres à la société africaine, s’y appliquant sans égard à son histoire, sa culture, sa mentalité. « On ne peut pas transposer un système dans un autre environnement sans considérer les caractéristiques endogènes à cette société », commente un jeune diplômé en sciences politiques.



Le mouvement, enraciné dans la tradition, en a repris certaines pratiques. « Si on suit à la lettre ce que dit la loi, cela ne fonctionne pas », observe Moussa Ouédraogo, rejoint par Philippe, venu assister au jugement de deux frères qu’il accuse de voler ses légumes. « Je n’en suis pas fier. J’aurais préféré m’en remettre à la justice moderne et respecter les droits universels. Mais ils ne s’appliquent pas à la réalité du Burkina. Les lois ne sont pas dissuasives », explique le jeune homme. Le chef coutumier de Po abonde : « Quand un éleveur se fait voler une vache qui représente tout son patrimoine, en quoi les droits de l’homme lui sont-ils utiles? Nos institutions, un résidu du système colonial, ne sont pas fonctionnelles. Justice moderne, liberté, droits de l’homme ? Nous voulons faire en sorte qu’un voleur ne vole plus. Et si cela demande de lui retirer une partie de sa dignité, nous n’avons aucun problème. Nous défendons les intérêts de la population coûte que coûte. » A n’importe quel prix. Tel était le cas encore il y a quelques mois. Mais« sous la pression populaire et politique, les Koglweogo ont atténué les sévices corporels », observe Aimé Béogo. « On les utilisait beaucoup au début, pour montrer notre force. Mais on a dû diminuer. On ne porte d’ailleurs plus ostensiblement nos armes ni nos costumes », commente Sayouba, membre fondateur de l’association de Boulsa, le sourire franc et le foulard qu’il porte en turban.

Sans éluder les questions liées à l’ascension sociale que permet l’adhésion à un tel mouvement, les membres Koglweogo continuent de poursuivre un idéal de justice et de sécurité. « Les Koglweogo disparaîtront le jour où il n’y aura plus de voleur », déclare Nadbanka, chef charismatique de l’association de la province du Namentenga. Fort du soutien populaire, le président de celle de Sapouy prévient : « Celui qui veut éliminer les Koglweogo devra tuer la population ».

Les Koglweogo de Boulsa, réputés pour leur usage de la violence, disent ne plus disposer que d'un seul fusil.
Ils ne portent désormais plus d'uniforme et ne patrouillent plus le jour.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

De paria à partenaire de l’appareil sécuritaire


Malgré la défiance qui régit les rapports entre les groupes d’autodéfense et les forces de l’ordre, Django, chef des Koglweogo de la région de l’Est, et ses « défenseurs de la cité » l’assurent : la collaboration existe. Certes, les Koglweogo ne remettent pas systématiquement les personnes arrêtées à la police, mais ils tentent de travailler main dans la main… en cas d’absolue nécessité. L’association de l’Est « Protégeons la cité », à présent officiellement reconnue, en atteste noir sur blanc dans ses statuts. Cette collaboration est beaucoup moins vraie ailleurs. S’ils qualifient les relations de « bonnes », les Koglweogo de Boulsa, Pouytenga, Léo, Sapouy, Po, Ouagadougou et leur périphérie ne collaborent qu’avec réticence avec les forces de l’ordre. « La perception de la justice et de la gestion de la sécurité est fondamentalement différente », justifie le chef coutumier de Po.

Un membre des Koglweogo de Fada assiste à une séance de sensibilisation donnée aux villageois et hauts dignitaires de trois hameaux de culture.
Cette rencontre est un préalable indispensable à l’installation d’un nouveau groupe à l'association« Tin Kubi u dogu » , « Protégeons la cité » en langue goulmantchema, fondée par Django.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

Partage historique de la sécurité
« Si seul l’Etat de droit était légitime en terme de sécurité, je danserais sur ma tombe! », s’exclame un habitant de Ouagadougou. L’histoire montre d’ailleurs que les autorités n’ont pas toujours été les seules garantes de la sécurité au « Pays des hommes intègres ». Le champ de la sécurité n’a « jamais été le monopole de l’Etat et des parties de la population se sont toujours senties légitimes à y prendre part », explique Tanguy Quidelleur, doctorant à l’Université de Paris Nanterre. Les autorités se sont en effet régulièrement employées à en déléguer certains pans, en créant elle-mêmes des structures à cet effet ou en tolérant celles existantes. Via l’article 71 de son code pénal, la « police de proximité » ou les récentes « initiatives citoyennes de défense », les autorités incitent à la participation citoyenne. Mais les Koglweogo, s’ils s’inscrivent dans une certaine continuité historique, sont réticents à rentrer dans le rang, craignant « sous les ordres des autorités, de perdre leur pouvoir d’initiative et de décision », analyse Aimé Béogo, observateur avisé.

Quand l'Etat délègue des pans de la sécurité
En 1983, Thomas Sankara avait mis en place des « comité de défense et de la révolution », formés militairement et politiquement, mais que Blaise Compaoré a démantelés.
En 2005, le gouvernement a tenté de mettre en place la « police de proximité ». L’objectif était d’y intégrer les Koglweogo. Plan soldé par un cuisant échec par manque d’adhésion des populations. « On était les yeux et les oreilles des forces de l’ordre, des agents de renseignement, mais nous n’avions rien dire », se souvient Moussa Ouédraogo, commerçant de Pouytenga.
Les Koglweogo, apparus dans le mouture initiale en 1990, se sont répandus et développés d’autant plus vite que l’État ne s’y oppose pas frontalement. Devant l’ampleur du mouvement, le gouvernement de Christian Kaboré a bien tenté de faire évoluer la formule, en instituant et en encadrant par décret les « initiatives locales de sécurité ». Tirer des conclusions sur son échec ou sa réussite serait prématuré. Mais il y a des raisons d’être dubitatif. Le décret impose d’abandonner le port d’arme et le prélèvement d’impôt. « En acceptant cela, les Koglweogo signeraient leur arrêt de mort », commente Tanguy Quidelleur. « Les Koglweogo ne veulent pas être sous les ordres des autorités et risquer de ne plus avoir les coudées franches et de perdre leur pouvoir d’initiative et de décision », analyse un observateur.

La carotte et le bâton
En trois ans d’une fulgurante ascension, les Koglweogo sont passés du statut de paria à celui de partenaire, indispensables dans la lutte contre le banditisme mais aussi contre le terrorisme. Le pays est en effet situé dans une région instable et est confronté à la montée de l’extrémisme religieux, illustré par les attentats perpétrés à Ouagadougou en 2016 et en 2017. « Les Koglweogo sont légitimes dès lors que l’Etat a failli à assurer la sécurité de la population. Se pose par contre encore la question de leur légalité », analyse Ismaël Compaoré. Le dirigeants politiques se voient obligés de manier la carotte et le bâton. « Il ne faut pas jeter la pierre aux populations qui ont trouvé des solutions aux problèmes de sécurité », déclarait Simon Compaoré. Alors ministre de la sécurité, il répétait la nécessité de « comprendre le phénomène afin de répondre aux besoin du tréfonds des populations et des exigences de l’État de droit ».

Des centaines de Koglweogo de la région du Centre Ouest se retrouvent au siège de Sapouy.
24 nouvelles motos seront offertes à ceux dont les véhicules avaient été incendiés par un groupe de bandits transfrontalier.

© Olivier Papegnies / collectif Huma

La mesure est de rigueur d’autant plus que ces groupes sont devenus un véritable enjeu électoral : se mettre à dos les Koglweogo est un suicide politique alors que les avoir de son côté constitue un atout indéniable. Lookmann Sawadogo, président de l’Observatoire de la démocratie et des droits de l’homme, dénonce la «caution politique de l’État à l’action de ces groupes » qui leur laisse «le champ libre». Le député de la majorité Nama Baoui admet qu’ils sont devenus un « incontournable maillon de la chaîne de sécurité ». A tel point que plusieurs leaders Koglweogo ont récemment participé au sommet national sur la sécurité. Si les parties se sont réjouies de ce pas vers l’apaisement, en coulisses, une source admet que ce fut un fiasco, ne débouchant sur aucun engagement précis et laissant un vide législatif dont profitent les Koglweogo.



« Je suis préoccupé. Même si l’emprise des Koglweogo a diminué ces derniers mois, je crains qu’ils évoluent vers un mouvement difficilement maîtrisable », s’inquiète Ismaël Gnaon, magistrat de la juridiction de Fada N’Gourma. D’autant plus qu’il continue de grandir et se structure à l’échelle nationale. Les Koglweogo tissent leur toile, s’appuyant sur le réseau étendu de la chefferie coutumière et sur la légitimité que ces chefs moraux leur confèrent en endossant leur action. S’il semble rassurant pour les autorités de voir les Koglweogo se constituer en association, leurs ambitions pourraient au contraire s’y développer, drapées dans le voile de la légalité. Et si ce mouvement décidait de se profiler comme alternative politique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, il pourrait « faire vaciller les structures de l’État de droit», préviennent certains observateurs.

L’adhésion de 13 nouveaux Koglweogo à l’association de Potiamanga a été célébrée par les villageois de la localité.
« Pour devenir Koglweogo, il faut adhérer au règlement et prendre part à l’initiation », explique Combary Nindia
avec tout ce que cela comporte de magie noire (le "waké"), omniprésente chez les Koglweogo.
Il est dit qu’en frappant un malfrat, c’est le mal, en lui, que l’on chasse.

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