Petites et grandes inventions de la Première Guerre mondiale

Comment la Grande Guerre marque l'Histoire jusqu'à nos jours

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Des millions de morts et de blessés. Des villes ravagées. Une véritable boucherie dans les tranchées. Une économie à bout de souffle. Et les germes de la Seconde Guerre mondiale. La "Grande Guerre" a laissé des cicatrices profondes dans les pays touchés.

Mais elle a également été un terreau fertile pour innover. La guerre confronte à de nombreuses problématiques. Tout d'abord, comment la remporter ? Comment faciliter la vie des soldats sur le front ou de la population qui subit des restrictions à l'arrière ? Peut-on soigner les personnes amassées dans les hôpitaux ? Et est-il seulement possible de mettre des mots sur l'horreur de Verdun ?

Toutes ces questions ont donné lieu à de multiples inventions qui marquent encore le monde d'aujourd'hui, un siècle plus tard. Du gaz moutarde à la serviette hygiénique, la Première Guerre mondiale n'a pas seulement marqué nos aïeux, mais elle influence encore nos vies.

LaLibre.be fait le tour des quelques nouveautés qui sont nées ou qui se sont développées en 14-18.

Créer pour détruire

L'émergence de nouvelles armes

Le soleil se couche, la pénombre s'empare de Liège et l'orage gronde. La guerre commence. Les soldats belges profitent de leurs forts autour de Liège pour se protéger. Les armées du Kaiser les attaquent mais ils tiennent bon. Les Allemands recourent alors à un véritable cauchemar : la "Grosse Bertha". Son nom ferait plutôt penser à une vieille dame misanthrope que l'on a plutôt envie d'éviter. Ici aussi, il vaut mieux ne pas être sur son passage puisqu'il s'agit d'un gros canon capable de faire des ravages. Les blindages de la place forte de Liège ne vont pas y résister.

Cet épisode de la Grande Guerre donne le ton. Pour remporter la victoire, il faudra avoir des armes plus puissantes et destructrices. Le carnage sur le terrain, où chacun ne gagne que quelques centaines de mètres au prix de nombreuses vies, provoque une prise de conscience. Les états-majors ressortent des cartons certains projets qu'ils avaient auparavant mis de côté.

Parmi ceux-ci, on trouve un incontournable des conflits armés contemporains: le char d'assaut. Pour avancer, il faut percer la défense ennemie. Résistant aux tirs, il permet de foncer droit devant et d'ouvrir une brèche. Les Français et les Britanniques voient dès 1914 l'intérêt de construire une telle arme. Ce sont les Britanniques qui vont donner le coup d'envoi pour qu'elle voie le jour, en septembre 1916. Pour garder le secret de leur nouvelle machine, ils lui donnent un nom cachant sa véritable utilisation. Ce sera le "tank" ("réservoir"), pour faire croire que cela servait au transport d'eau. Entre 1916 et 1918, l'Entente, dont les deux pays font partie, en utilise près de 6.500, contre une vingtaine de fabrication allemande. Le Reich préfère créer des armes antichars pour faire face.

En attendant la mise au point de ce blindé, il faut bien armer les soldats. Et les baïonnettes semblent dépassées pour gagner la guerre. L'une des solutions trouvées, c'est une amélioration du feu grégeois : le lance-flammes. Français et Allemands vont tous les deux le développer. Mais alors que les premiers sont sceptiques face aux risques d'utilisation, les seconds vont notamment l'employer à Verdun. Son effet sera à la hauteur des attentes. Le camp adverse est impressionné par un dispositif aussi spectaculaire et encore mal connu à l'époque. Des bataillons sont décimés.

Mais le lance-flammes n'est pas la seule nouvelle arme portative. Il y a aussi la mitraillette. Cette fois-ci, la France n'est pas à la tête de l'innovation. Il s'agit d'une invention à la fois italienne et de l'alliance germano-autrichienne. L'intérêt est évidemment de tirer facilement en rafale grâce à sa légèreté.

Enfin, il existe une autre classe d'armes qui n'en sont qu'à leurs débuts mais qui n'en font pas moins de dégâts. Il s'agit des différents gaz de combat. Celui à base de chlore a été utilisé pour la première fois sur le sol belge, à Ypres, le 22 avril 1915. Il permet aux Allemands de briser le front en une demi-heure. Mais les hommes du Kaiser craignant le nuage toxique, ils n'arrivent pas à exploiter correctement leur opportunité. Sur le front russe, où le froid règne, l'idée fait pschitt. À cette température, cela n'a presque aucun effet.

La réaction de l'Entente ne se fait pas attendre. Les Français mettent au point la même année le phosgène. Et puisque action appelle réaction, les Allemands en ont remis une couche en 1917. C'est le début du gaz moutarde, ou ypérite pour les intimes. Car, encore une fois, Ypres servira de cobaye. Les Britanniques sont frappés de vomissements. La peau se pare d'immenses cloques, même si l'on porte des vêtements. Les muqueuses sont gravement atteintes. Et les yeux sont également fortement brûlés.

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Entre ciel et mer

Combats aériens, drones et porte-avions

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La Première Guerre mondiale ne se fait pas que sur terre. Pour la première fois, on assiste à des combats aériens. L'aviation est alors à l'état d'ébauche. Il y a bien quelques petits avions mais pas de quoi transporter grand-chose. Même pas une arme intégrée. D'où le désintérêt des généraux pour ceux-ci lorsque le conflit débute.

Le tout premier combat aérien de l'histoire est remporté par la France, le 5 octobre 1914. À ce moment-là, ils ne peuvent combattre qu'avec des armes de poing et des carabines.

Un homme va vouloir aller plus loin pour doter son avion d'une arme. Il est aujourd'hui plus connu pour le tournoi de tennis qui porte son nom : Roland Garros. Pour cela, il place une mitrailleuse à travers l'hélice. Malheureusement pour lui, il se fait capturer par les Allemands qui en profitent pour améliorer la technique.

Le Reich acquiert rapidement une aviation de plus en plus efficace. Avec ses avions Fokker et les bombardements des zeppelins, il réussit à s'imposer dans les airs. Par exemple à Verdun. Du moins jusqu'à ce que les Alliés redressent la barre.

Mais évidemment, si l'avion était abattu, le pilote mourrait forcément avec lui. Ce qui représente au total pas mal de personnes. C'est alors que l'officier Max Boucher propose à Clemenceau un projet d'avion automatique. Jusque-là, seulement quelques essais avaient été réalisés. Mais celui qui va revenir à la tête du Conseil des ministres français va quand même lui apporter son soutien. Les expériences vont se multiplier au crépuscule de la guerre. Au même moment, les États-Unis mettent au point une sorte de torpille aérienne : le Kettering Bug. Même si toutes ces créations ne seront jamais utilisées au combat, elles marquent l'histoire de la technologie. C'est le début des drones.

D'autres ont préféré allier la puissance des avions et des navires. Et pour une fois, cela ne se passe pas en Occident mais en Extrême-Orient. Car si on parle de Guerre mondiale, ce n'est pas pour rien. Ainsi voit-on le Japon attaquer le port allemand de Qingdao, sur la côte chinoise. Cela fait plusieurs décennies que l'archipel rattrape son retard technique sur l'Europe et, pour une fois, c'est lui qui innove. La première attaque aéronavale de l'histoire est donc japonaise. À l'aide d'un transporteur d'hydravions, le Wakamiya, ces engins arrivent à bombarder un croiseur ennemi.

Si ce type d'attaque est révolutionnaire, il n'est pas totalement au point. Le transport d'hydravions est compliqué et il faut l'améliorer. Les Britanniques sont en première ligne pour trouver une solution. Ils laissent d'abord le plus d'espace possible sur le pont pour pouvoir accueillir des avions normaux. C'est le cas de l'H.M.S. Furious. Mais s'ils peuvent décoller, l’atterrissage sur le navire est impossible. Le problème n'est réglé qu'avec l'H.M.S. Argus, à la fin du conflit, qui dispose d'un pont entièrement plat. C'est le tout premier porte-avions jamais créé.

De Limoges au
"No Man's Land"

Un nouveau vocabulaire pour décrire une nouvelle réalité

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Les héritages de la Grande Guerre ne sont pas que matériels. Ils sont aussi lexicaux. Plusieurs termes que l'on utilise aujourd'hui prennent racine à cette époque. Le plus connu est probablement le mot "Boche". Ce qui est moins connu, c'est que les Allemands étaient aussi appelés les "Fritz", en référence aux multiples rois de Prusse dénommés "Friedrich".

Un autre exemple indissociable de la Première Guerre mondiale, c'est celui des poilus. Si on pense aujourd'hui directement à ceux de 14-18, ce surnom existait déjà au XIX e siècle. Les poils étant synonymes de virilité, cela désigne tout simplement un soldat valeureux. Un "digne représentant" de la gent masculine en quelque sorte. Les conditions de vie extrêmement difficiles du front pour les soldats de 14-18 leur offrent directement le précieux titre. Ce qui leur permet d'entrer collectivement dans l'histoire.

Certains termes sont issus de l’interaction avec la langue allemande. C'est le cas de "kaputt". La présence britannique amène elle aussi des expressions anglaises. On retient notamment le "no man's land" qui désigne à la base le terrain dévasté entre les deux lignes ennemies.

Et pour finir, il a fallu aussi créer des mots pour décrire les réalités au sein de son propre camp. À force de voir un décalage entre les réalités de la guerre et les actes héroïques et enjolivés décrits aux civils, les soldats ont commencé à parler de "bourrage de crânes". La presse a ensuite repris la métaphore pour dénoncer les journaux coupables de faire du patriotisme à l'excès.

Le mot "limoger" vient lui aussi de ce qui se passe dans la France de 1914. Cette année-là, le général Joffre décide de remplacer d'autres généraux considérés comme inefficaces ou inadaptés à la guerre qui commence. Ceux-ci sont donc en partie envoyés dans le Sud, loin du front. Et une ville les accueille à bras ouvert : Limoges. Bien qu'ils n'aillent pas tous dans le Limousin, c'est cette cité qui reste attachée à l'expression que l'on connaît aujourd'hui.

Réparer les gueules cassées

La chirurgie et la radiologie au service des blessés

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Une guerre de positions comme la Grande Guerre laisse derrière elle de nombreux morts mais aussi de nombreux blessés. Et ces derniers, il faut bien les soigner. Mais que faire lorsque ceux-ci sont parfois complètement défigurés ? C'est la délicate tâche confiée aux médecins de l'époque.

Le soin apporté aux "gueules cassées", comme on les appelle, a provoqué l'essor de la chirurgie maxillo-faciale. Il fallait à la fois combler les pertes de parties molles et de squelette mais aussi prévenir les problèmes d'articulations. Pour cela, des prélèvements de peau sont faits ailleurs et des greffes cartilagineuses puis osseuses sont réalisées. Si les séquelles sont trop importantes, un moulage sert de prothèse, manque de mieux. Pour les articulations, la rééducation est brutale. L'alimentation passe par divers instruments, comme des tubes appelés "canules".

Un autre domaine de la médecine a pu se développer avec la Première Guerre mondiale : la radiologie. Presque inexistants en 1914, les postes radiologiques se sont rapidement associés à la chirurgie. Marie Curie en France et Florence Stoney côté britannique ont activement participé à ces efforts.

Des inventions bien pratiques

L'influence de la Grande Guerre dans la vie quotidienne

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Est-ce que vous pensez à la Première Guerre mondiale en vous rasant chaque matin ? Probablement pas. Et pourtant, vous pourriez ! Le rasoir existe depuis bien longtemps mais c'est une décision somme toute banale qui va le démocratiser. Lorsque les États-Unis entrent en guerre, l'armée américaine veut éviter tout risque d'infection ou de maladie pour ses soldats. Ce qui veut dire que pour rejoindre la dure réalité des tranchées, il faut se raser. Les autorités opèrent donc une commande de taille : 3,5 millions de rasoirs et 36 millions de lames. Le pourvoyeur est aujourd'hui connu de tous : Gillette. La petite entreprise a grandi d'un coup et a pu fidéliser son énorme clientèle.

Un autre produit inventé avant la guerre a pu se développer avec celle-ci. Il s'agit des serviettes hygiéniques. Les infirmières ont fait une observation intéressante : la matière utilisée pour panser les blessures était étonnement efficace et absorbante. L'idée est née d'en détourner l'usage. Le fournisseur de cet incroyable pansement en a fait son fonds d'affaires. Il s'agit de l'entreprise américaine Kimberly-Clark, aujourd'hui propriétaire des marques Kotex et Kleenex.

Une troisième innovation est un programme sportif : la méthode Pilates. Joseph Pilates est Allemand et emprisonné au Royaume-Uni. Il se met alors à se préoccuper des personnes qu'il côtoie. À l'aide de lits et de sommiers, il crée de nouveaux équipements pour ceux souffrant de handicaps. Cela lui servira de base pour avoir de nouveaux appareils sportifs. Sa méthode est née.

Le "Memory Boom"

Le souvenir persistant des victimes de la guerre

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Les héritages de la guerre s'inscrivent aussi dans les mémoires. Les monuments aux morts en sont les principaux témoins. Présents dans le moindre village, même le petit patelin oublié au fin fond de la campagne, ils incarnent la volonté de la population de ne jamais oublier les horreurs de 14-18. En France et en Belgique, les références à la mère patrie et aux personnes sacrifiées pour le bien de la nation sont omniprésentes. La date de l'Armistice fait aussi l'objet d'une fête qui existe encore de nos jours. Le 11 novembre est célébré dans les deux pays et sous d'autres formes dans de nombreux États.

Mais les autorités n'ont pas attendu l'Armistice pour débuter le travail de mémoire. La guerre venait à peine de commencer que la France a voulu sanctifier ses militaires avec une médaille désormais célèbre : la croix de guerre. Créée en 1915, elle s'est ensuite répandue dans de nombreux pays, dont la Belgique la même année. On peut citer la Grèce, le Portugal, la Tchécoslovaquie ou encore l'Italie.

Conjointement avec le Royaume-Uni, la France a laissé un autre héritage ensuite reproduit à travers le monde. Il s'agit du Soldat inconnu, les premiers exemples étant ceux de ces deux pays, le 11 novembre 1920. Deux ans après l'Armistice. De nombreux États ont voulu commémorer la Première Guerre mondiale d'une façon similaire. En Belgique, il se trouve à la colonne du Congrès, à Bruxelles. La Pologne compte même trois Soldats inconnus répartis dans trois villes. Parmi les autres pays, outre ceux déjà cités ci-dessus pour la croix de guerre, on trouve aussi l'Inde, le Canada, l'Allemagne, la Serbie, la Roumanie et les États-Unis.

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