A La Vie-là,
on soigne les corps
et les âmes des patients cancéreux



Reportage par
Annick Hovine

Vidéo par
Valentine Van Vyve Christel Lerebourg

Photos par
Johanna De Tessières

|N°7
La Libre.be
Samedi 24.06.2017

Pas besoin de sonner. A La Vie-là, " la Maison des Patients concernés par le cancer ", la porte reste ouverte en permanence. On entre sans frapper. En face, comme un rappel, des lettres rouges se découpent à l’horizon : " Urgences ", celles du service du même nom de la Clinique Saint-Pierre à Ottignies. Là-bas, on traite les tumeurs; ici, on soigne les personnes pendant leur prise en charge de leur cancer et tout au long de l’année qui suit. Quand le curseur est placé quelque part entre " je vais vivre " et " je vais mourir ".

" Moi, je suis passée par là. J’en ai bavé ", glisse Marie-Paule Meert, cheville ouvrière de La Vie-là, qui a ouvert ses portes en septembre 2013. " Tant qu’on est à l’hôpital, on s’occupe de tout pour vous. Mais quand on en sort et qu’on se retrouve seul, c’est la période la plus difficile qui commence ". Quand chimiothérapies, radiothérapies et/ou autres hormonothérapies ne donnent plus la cadence, ne régulent plus les semaines et les mois. " C’est après que se produisent les accidents psychologiques et émotionnels ", témoigne Marie-Paule.

Les médecins l’avaient prévenue : elle serait fatiguée. " J’avais l’habitude de beaucoup travailler. Mais là, je m’effondrais. Je ne me reconnaissais plus. Je ne savais plus qui j’étais ".

Une maison de ressourcement

On lui conseillait gentiment d’aller voir un psy. " Je pensais : pourquoi pas un psychiatre tant qu’on y était ! ". La graine était semée. L’idée de créer un lieu pour aider les patients à faire face au tsunami que provoque le cancer dans leur vie a fait son chemin, pendant plus de deux ans, portée par le docteur Anne-Pascale Schillings, radiologue-sénologue à la Clinique du sein à Ottignies et spécialisée dans le dépistage et le diagnostic du cancer du sein. " On avait une très chouette relation ".

Le docteur Schillings rêvait aussi d’un endroit où on s’occupe des patients. La Vie-là, conçue comme une maison de ressourcement, s’appuie sur les principes de la médecine intégrative. Le malade est considéré dans ses dimensions sociales, psychologiques et spirituelles. " Dans cette maison, on prend en charge la personne dans sa globalité. Ca fait partie de leur guérison. Il y a quatre ans, c’était quelque chose qu’on testait. On n’a plus aucun doute. Ce n’est pas que du chouchoutage : cela fait partie du traitement et cela influence le taux de guérison à long terme ", affirme Anne-Pascale Schillings.




Tous bénévoles, tous expérimentés

La Vie-là, fondation privée, fait partie intégrante de la Clinique Saint-Pierre (qui loue la maison en en paie les charges) mais fonctionne entièrement grâce à 70 bénévoles : des médecins, des psychologues, des kinésithérapeutes, des infirmières, des esthéticiennes, des conseillers en nutrition, en pertes de cheveux, des coiffeuses, des spécialistes en yoga, tai-chi, coach émotionnel, ou ateliers d’écriture… qui offrent leur expertise et leur temps dans ce projet pilote. " Tous bénévoles mais tous pros. Ca tient du miracle ! ", sourit Marie-Paule Meert. " Ce projet, c’est 50% de rigueur absolue et 50% d’empathie moderne ". Cette maison de soutien est ouverte à tous les patients traités pour un cancer à la clinique Saint-Pierre, mais on y accueille aussi, souvent, des malades venus d’ailleurs.

" La vie devient plus intéressante qu’avant "

Dans le jardin, installées à l’ombre, huit femmes participent à une séance de pleine conscience. Les patientes suivent un cycle de 8 matinées – le lundi – animées par Bernadette Dupuis.

" On apprend à accueillir ce qui est là, sans se résigner. La douleur existe mais il y a aussi le ciel bleu. La pleine conscience invite à cultiver une présence de chaque instant à l’expérience qui se déploie, de façon non jugeante ", explique Mme Dupuis, médecin du travail qui a suivi plusieurs formations pour devenir instructrice de pleine conscience.

" C’est un groupe où on partage
des choses avec des personnes
qui comprennent ce que l’on vit.
Il y a beaucoup de bienveillance.
On s’entraide. On apprend de la sagesse du groupe "

C’est, avec l’activité physique, l’exercice le plus efficace en matière de gestion du stress, des insomnies, des angoisses, appuie Marie-Paule Meert. Des enquêtes scientifiques ont prouvé que l’exercice de la pleine conscience avait aussi des effets positifs sur les défenses immunitaires. " Cette activité permet de retrouver des outils en soi, de révéler des ressources inutilisées. On ne dit pas que le cancer est une chance, mais la vie devient plus intéressante qu’avant ".



Catherine a dû affronter trois cancers en onze ans

" Je travaillais. J’avais un tablier blanc. J’étais toujours dans l’action quand la maladie m’a attrapée. Tout s’est effondré ", confie Marie, 65 ans. Les membres de sa famille ne sont pas tous au courant de son cancer. Raison pour laquelle elle n’a pas envie qu’on la prenne en photo. " Ici, on peut recevoir de l’aide sans aucun jugement. C’est un moment privilégié où on pense à soi. Sinon, on ne tient pas ".

Un sein atteint; une métastase à la tête; puis l’autre sein... Catherine, 38 ans, a dû affronter trois cancers en onze ans. Elle aussi souhaite rester discrète, pour des raisons qui lui appartiennent. " J’ai géré les deux premiers cancers toute seule ". Après le troisième, qui s’est déclaré à l’été 2015, la jeune femme qui élève en solo son ado de 14 ans, a repris le boulot beaucoup trop tôt. " Je n’en étais pas encore capable ". Elle entend parler de La Vie-là, hésite avant de pousser la porte parce qu’elle n’est pas soignée à la Clinique Saint-Pierre. " C’est quelque chose qui devrait exister partout ! ", s’exclame-t-elle. En plus du cycle de pleine conscience, elle fait des séances de réflexologie plantaire et de fasciathérapie. Elle suit aussi un atelier de peinture. " La Vie-là m’aide beaucoup. Ce qui est très riche, c’est que tous les intervenants sont des bénévoles : ces personnes sont là pour vous parce qu’elles l’ont choisi. Il y a un côté plus humain qu’à l’hôpital ".

La maladie permet de prendre soin de soi

En trois ans et demi, 800 patients ont déjà poussé la porte de " leur " maison, ouverte tous les jours de la semaine entre 8h30 et 17h. Au premier étage, ça sent bon le café. On papote gentiment dans la cuisine. Deux énormes tartes, à la rhubarbe et aux pommes, déjà découpées, trônent sur la table de la pièce ouverte qui sert aussi de salle de réunion. Les patientes s’approprient le lieu.

Une minuscule véranda, lumineuse, plonge sur le jardin. Une porte en verre, coulissante, permet de s’y isoler. Luc, ex-patient devenu accueillant, est installé avec une jeune femme, tendue, le visage crispé, encore sous le choc. Elle vient d’apprendre, " en face " (à la Clinique Saint-Pierre) qu’elle a un cancer, qu’il faut l’opérer, qu’il y aura des traitements... Les premières questions sont toujours les mêmes: comment vais-je le dire à mon mari, à mes enfants? Et: est-ce que je vais perdre mes cheveux ? L’équipe de La Vie-là travaille en coordination avec quatre psychologues de la Clinique Saint-Pierre, qui peuvent être contactées à tout moment.

Bernadette, 61 ans, cheveux coupés court, redescend avec un large sourire du cabinet d’esthétique installé au deuxième étage, à côté du mini-salon de coiffure. Nathalie, esthéticienne, vient de lui faire un maquillage permanent : elle a redessiné ses sourcils, tracé une fine ligne le long des cils. “On insère, sous la peau, des pigments qui tiennent un an ou deux. Cela permet au visage de garder une expression. C’est tellement important pour l’estime de soi ! On doit faire ça avant la chimio : quand les poils sont tombés, je ne sais plus où ils étaient. En plus, la peau devient très fragile”, explique-t-elle. L’esthéticienne observe que des dames pas très coquettes au départ reviennent chez elle pour apprendre à bien se maquiller. “La maladie permet de prendre soin de soi”.

Un projet sans aucun subside

De son propre aveu, Bernadette est venue " les pieds lourds " la première fois à La Vie-là. Le cancer (du sein) lui est tombé dessus comme la foudre : première opération le 12 avril, trois semaines après le diagnostic (" J’avais une boule "); deuxième opération le 12 mai. " Il me reste huit jours pour vivre normalement avant la chimiothérapie ", dit-elle. " Alors, je les vis pleinement. Même si je sais que la première chimio sera dure : ce sera pile un an que mon papa est parti… "

" Je suis très émue : je n’ai pas l’habitude qu’on
prenne soin de moi. "

Le mardi, elle suit le cours de yoga et les exercices de respiration. " Je suis perturbée quand je suis ici. Normalement, c’est moi qui m’occupe de tout : de mes enfants, de mes parents… " La maladie a bousculé le train-train, renversé la logique.

Partout, des coquelicots, symboles de La Vie-là, égaient les murs. De belles photos agrandies et encadrées. " C’est le docteur Schillings qui les a prises ", s’amuse Marie-Paule Meert. " On a tout fait dans cette maison. " C’est la débrouille totale depuis le début. Chaque objet a une histoire ".

Le docteur Anne-Pascale Shillings confirme: " Au début de l’aventure, on a espéré des subsides que nous n’avons pas obtenus. Mais on a décidé de continuer quand même. Et on a montré qu’il y avait moyen de faire cela sans budget. Grâce à la mobilisation des bénévoles, à l’aide financière ponctuelle de particuliers et en organisant des événements et des activités destinés à collecter des fonds ".

Les ateliers organisés pour les patients de La Vie-là sont presque gratuits. Il y a une participation minime de 5 euros par activité. Pour que chacun puisse en bénéficier, quel que soit son statut financier.

La Vie-là est en train de semer des graines de coquelicot: un projet est né récemment au Grand Hôpital de Charleroi et un autre à Bruxelles. D’autres encore se préparent à Tournai, à Namur. Une nouvelle manière de soigner les patients touchés par le cancer.

www.lavielaottignies.org

Véronique

Véronique, 71 ans, patiente mais d'abord femme, mère et grand-mère. "Le cancer n'est pas une maladie honteuse. On a besoin d'être entouré. La Vie-Là, c'est un soutien. Ca permet d'avoir des projets".


La troisième vie de Marie-Paule


Ce portrait de Marie-Paule Meert a été
réalisé par le docteur
Anne-Pascale Schillings.

Marie-Paule Meert (68 ans), c’est une battante. Une vraie. Passionnée de politique et de médias, de musique et de sport, elle a commencé sa carrière, à 23 ans, dans les coulisses du Parlement et des cabinets ministériels avant de devenir porte-parole du Premier ministre Wilfried Martens (CVP), qu’elle a suivi jusqu’au bout. En 1997, elle se reconvertit, lance avec une jeune équipe l’agence en communication " Akkanto " et devient spécialiste en Affaires Publiques.

Cette première vie prend fin en 2008. Marie-Paule Meert doit faire face à un cancer du sein. Une épreuve pénible, qu’elle affronte seule, avec une force impressionnante. Après la dernière chimio, elle oscille entre les larmes et la bouteille de champagne. Le mot " guérir ", elle ne veut plus l’entendre. " Le cancer, on doit vivre avec. Ca m’est arrivé. " C’est sa deuxième vie.

" Ca m’a rendue plus forte ". Elle a raconté cette expérience dans un livre-témoignage, bouleversant de justesse, sincère et drôle : " Quand tu seras guérie, nous irons au sommet de l’Empire State Building "*. La phrase que lui a lancée Thomas, son neveu de 12 ans, en apprenant que sa " Dindi " avait un cancer. Elle est restée clouée sur place par tant de force. " C’est le déclic qu’il me fallait ". Elle lui a promis; elle tient toujours ses promesses. C’est sa deuxième vie.

Le 2 septembre 2013, elle prend sa retraite. Au drink organisé pour elle, le docteur Anne-Pascale Shillings intervient : " Marie-Paule croit qu’elle va avoir sa pension. Pas du tout ! " L’intéressée s’en souvient comme si c’était hier : " Elle venait m’apporter les clés de La Vie-là. Je dois avoir eu la retraite la plus courte du monde : une demi-heure ! ".

La troisième vie de Marie-Paule commence alors. Elle engage un nouveau combat : ouvrir une maison pour les patients touchés par le cancer, où on soigne les personnes, corps et âme. Le pari est gagné.

*Quand tu seras guérie, nous irons au sommet de l’Empire State Building, Editions Racine, 2010.


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L’équipe




Gilles Toussaint

Responsable de rubrique

Valentine Van Vyve

Journaliste La Libre Belgique

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