Il était une fois Sergio Leone

La Cinémathèque française consacre une exposition à Sergio Leone.
Elle démontre que ce réalisateur populaire était un metteur en scène d'avant-garde.

Sergio Leone et Claudia Cardinale sur le tournage d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Sergio Leone et Claudia Cardinale sur le tournage d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Il était une fois un petit garçon dont le papa, Vincenzo Leone, était réalisateur et la maman actrice, tous deux pionniers du cinéma muet italien. Le parlant et le fascisme vont éloigner Roberto Roberti – son nom de scène – des plateaux.

A 18 ans, Sergio arrête ses études pour faire du cinéma, il devient l'assistant de vieux amis de papa, puis de réalisateurs de la nouvelle génération comme Comencini ou Vittorio de Sica. Dans l'exposition que lui consacre la Cinémathèque française jusque fin janvier, on peut le voir en séminariste trempé dans une scène du Voleur de bicyclette.

Sergio Leone (à droite, à côté de Lamberto Maggiorani) interprétant un jeune prêtre dans Le Voleur de bicyclette (Vittorio de Sica, 1948) © Fondazione Cineteca di Bologna

On est obligé de faire confiance car impossible de reconnaître dans ce jeune homme mince aux très fines lunettes métalliques, notre Sergio corpulent, barbu, les yeux cerclés par une épaisse monture. Il dit avoir beaucoup appris de Vittorio De Sica, bien plus que de ses prestigieux collègues hollywoodiens, Fred Zinneman, Robert Wise, William Wyler et autres Robert Aldrich qui défilent dans les années 50-60 à Rome, Hollywood-sur-Tibre, pour y tourner des péplums.

En 14 ans, Sergio Leone va enchaîner 58 films. A 32 ans, il estime son apprentissage terminé et prend, en 1961, les commandes du Colosse de Rhodes, premier de ses 7 films. Dont un péplum, cinq westerns et un film de gangsters. Pourquoi tant de westerns ?
Sergio fait partie de cette première génération d'Italiens biberonnés au ciné américain, et donc au western. Mais quand il devient réalisateur, dans les années 60, les USA produisent de moins en moins de westerns, en tout cas, pas assez pour satisfaire la demande italienne. Des réalisateurs locaux vont donc les réaliser, eux-mêmes, en...Espagne. Le décor donne le change, les noms sont américanisés.
Voilà pourquoi Pour une poignée de dollars, tourné pour une poignée de lires et une autre de pesetas, est signé "Bob Robertson" (autrement dit, le fils de Roberto Roberti). Le budget est modeste mais Leone en tire le maximum. La sortie est modeste aussi mais le bouche à oreille se transforme en traînée de poudre. Per un pugno di dollari va devenir un succès historique du cinéma italien, d'ailleurs Sergio Leone ne
fera jamais mieux dans son pays.

L'affiche de Pour une poignée de dollar de Sergio Leone, 1966

L'affiche de Pour une poignée de dollar de Sergio Leone, 1966

Dès le générique, très graphique, il est évident qu'il ne s'agit pas d'une série Z. L’exposition de la Cinémathèque française consacrée à Sergio Leone, met au jour les caractéristiques de celui qui fut, simultanément, un réalisateur populaire, même très populaire, et un cinéaste majeur qui a révolutionné le langage cinématographique et dont l'influence sur des cinéastes aussi éloignés que Wong Kar-wai et Quentin Tarantino est évidente.

Sergio Leone et Claudio Mancini sur le tournage de "l était une fois dans l’Ouest", 1968 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Sergio Leone sur le tournage de "Il était une fois la révolution", 1971 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Jennifer Connelly et Sergio Leone sur le tournage de "Il était une fois en Amérique", 1984 © Fondazione Cineteca di Bologna

Sergio Leone et Claudio Mancini sur le tournage de "l était une fois dans l’Ouest", 1968 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Sergio Leone sur le tournage de "Il était une fois la révolution", 1971 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Jennifer Connelly et Sergio Leone sur le tournage de "Il était une fois en Amérique", 1984 © Fondazione Cineteca di Bologna

Les cinéastes, les peintres, les auteurs qui l'ont influencé

Sergio Leone répond toujours Chaplin quand il s’agit de citer un modèle. Son premier western est La Chevauchée fantastique de John Ford. Pour une poignée de Dollars est directement inspiré – un stupéfiant montage parallèle le prouve – de Yojimbo d'Akira Kurosawa. Mais pour Sergio Leone, le plus grand écrivain de western a été et sera toujours Homère. Sa culture antique est immense et pour lui, Achille, Agamemnon ou Ajax sont des archétypes des cow-boys.

L'exposition révèle spectaculairement d'autres influences. Ainsi les décors du premier et dernier plan de Pour une poignée de dollars reproduisent deux tableaux de Giorgio De Chirico. Il en va de même avec Goya dans Il était une fois la Révolution ou Degas dans cette sublime scène de la jeune Jennifer Connelly dansant parmi les sacs de farine dans Il était une fois en Amérique. Et que répond son héros, Noodles (Robert DeNiro) quand on lui demande ce qu'il a fait durant ces 35 années où il a disparu. "Je me suis couché tôt", allusion à l'incipit de A la recherche du temps perdu. Comme l'oeuvre de Proust, ce film à la structure narrative complexe explore la mémoire.

Clint Eastwood dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, 1966
© Fondazione Cineteca di Bologna

Lee Van Cleef dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, 1966
© Fondazione Cineteca di Bologna

Eli Wallach le tournage du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, 1966
© Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Clint Eastwood dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, 1966
© Fondazione Cineteca di Bologna

Lee Van Cleef dans Le Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, 1966
© Fondazione Cineteca di Bologna

Eli Wallach le tournage du Bon, la Brute et le Truand de Sergio Leone, 1966
© Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Des films sans version originale

Sergio Leone ne dirige pas les acteurs, il les invente. Il a créé Clint Eastwood. Qui est-il avant Pour une poignée de dollars, un acteur très beau, très lisse, très télé, héros du feuilleton Rawhide comme le montre son portrait. On le fait pivoter et on découvre l'Eastwood de Leone, l’homme sans nom mais avec un cigare et un poncho. Leone l'a stylisé, sur la forme et plus encore le fond, un bloc de marbre.

Ces acteurs, Leone attend d'eux qu'ils reproduisent avec précision ce qu'il vient de leur montrer de leur jouer, comme en témoigne une série de photos révélatrices. Pour Leone, l'acteur est un corps, un magnétisme, une attitude, une posture. La voix viendra plus tard. Car il n'y a pas de son direct dans les tournages italiens. De plus, les nationalités se mélangent dans les films de Leone. On peut même dire qu'il n’existe pas de version originale des films de Sergio, puisqu'il dirige lui-même, en post-production, le "tournage" des voix italiennes, anglaises, françaises et espagnoles.

Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Claudia Cardinale dans Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968 © Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Pas de Leone sans Morricone

A l'entrée d'une salle, on découvre une petite photo de classe et des prénoms sur le tablier de deux gamins : Ennio et Sergio. Ces deux-là fréquentaient la même école primaire romaine. Sergio ne s'en souvient même pas quand Jolly Films qui produit Pour une poignée de dollars lui propose, 20 ans plus tard , de travailler avec Morricone, un compositeur pas terrible mais pas très cher. Pourtant, ces deux-la vont créer un art total. L'un est indissociable de l'autre. On voit une image de Leone et on entend la musique de Morricone. Et vice versa. Le succès de l'un fera celui de l'autre. Et vice versa. On pourrait dire la même chose de Hitchcock et Hermann, Fellini et Rota et puis Spielberg et Williams. Non, car comme le dit Leone "Si j'ai crée un nouveau type de western, en imaginant les personnages picaresques dans des situations épiques, c'est la musique d'Ennio Morricone qui les fait parler.". Et l’exposition le prouve avec une scène de Le Bon , la Brute
et le Truand
où, de fait, la musique remplace littéralement le dialogue. D'ailleurs, après leur premier film, Leone va demander à Morricone de composer la musique avant le tournage. Leone lui explique le personnage, la scène, Ennio compose un thème. Sergio dit non. Quand il dit oui pour tout, on enregistre et la musique sera diffusée sur le plateau pendant le tournage. Pour plonger les acteurs dans l'ambiance mais aussi pour être parfaitement synchrone dans les mouvements de caméra. Comme dans celui magique de Il était une fois dans l'ouest lorsque Claudia Cardinale sort du train, traverse la gare et que la partition monte comme la caméra s'élève pour découvrir Flagstone. La bande originale de Il était une fois en Amérique sera prête sept ans avant de tourner. Personne ne chante mais ce film est un opéra. Comme chez Verdi ou Mascagni, la musique sublime le livret, transfigure le scénario, démultiplie la puissance des sentiments.

Expo: tous les jours sauf le mardi, jusqu'au 27 janvier 2019 à la Cinémathèque française, rue de Bercy à Paris.

"La révolution Sergio Leone", ouvrage collectif sous la direction de Gian Luca Farinelli et de Christopher Frayling, deux spécialistes du cinéaste, est plus que le catalogue de l'exposition mais l'ouvrage incontournable sur le cinéaste italien.
(Editions de la table ronde, 512 pages, 26,50 €)

Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968
© Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi

Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone, 1968
© Fondazione Cineteca di Bologna / Fondo Angelo Novi