Comment produit-on les frites "belges" dans la plus grande usine de frites
au monde ?

Un reportage de Laura Lieu (texte) et Jean-Luc Flémal (photos)

Belgique, pays de la frite ? Selon une étude de GFK, 77% des Belges mangent des frites surgelées. Chaque année, les ménages consomment 15,7 kg de pommes de terre. Ce qui place notre petit pays en tête du classement des plus grands mangeurs de patates surgelées au monde. Alors, les Belges dignes représentant de la frite ? A voir ces chiffres, on dirait bien.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que la plus importante usine de frites et produits à base de pomme de terre du monde se trouve en Belgique, et plus précisément à Leuze-en-Hainaut.

L’usine McCain (anciennement Lutosa) est officiellement le plus grand producteur de frites surgelées au monde. Un tiers des frites consommées sur la planète provient de l’une des 51 unités de production. Vendues dans 160 pays, ce sont pas moins de 540.000 tonnes de frites qui sont exportées dans toute l'Europe.

Et à votre avis, qui est leur premier client ? Encore gagné, la Belgique ! Au-delà de son nom à « l’américaine », 100% des frites vendues en Belgique par McCain ont grandi dans les champs belges.

Pour la série "Dans le secret des lieux", LaLibre.be a voulu savoir comment la pomme de terre du champ voisin se transforme en frites et arrive dans votre assiette… Tour du propriétaire avec William Jarijch, Sales manager dans le Benelux.

Une affaire de famille

Avant d’entrer dans l’usine, William Jarijch nous présente brièvement les différentes étapes de production ainsi que l’histoire de la société. McCain a été fondé par quatre frères canadiens en 1957. La société prend de l’ampleur et rachète au fil des décennies de nombreux sites de production et marques à travers le monde.

En 2013, la société acquiert Lutosa, l’emblématique marque belge proposant des frites surgelées.

A qui sont à présent vendues les frites produites à Leuze-en-Hainaut ? Aux supermarchés (Carrefour, Delhaize et Colruyt), aux restaurants, à la restauration collective et à la restauration rapide. Comme la plupart des sociétés, 80% de la production sort sous le nom officiel de la marque. Les 20 derniers pour cent sont, quant à eux, emballés sous un autre nom, généralement sous la marque du distributeur.

Depuis cette année, le site de Leuze représente la plus grande ligne de spécialités au monde. Et quand on mentionne le terme « spécialités », on parle dans ce cas-ci de croquettes et pommes de terre coupées en tout genre.

Outre les 634 personnes travaillant à Leuze, McCain collabore avec 200 agriculteurs-partenaires belges. L’entreprise agroalimentaire fait venir les pommes de terre à 110 km à la ronde. Cette limitation de distance d’acheminement n’est pas un hasard. Cela permet en effet de diminuer les émissions de CO2 des camions et les coûts de transport.

Comment fait-on une frite ?

Pour commencer, il faut une bonne pomme de terre, une Fontaine ou une Bintje. Elle est récoltée entre juillet et octobre et est ensuite entreposée dans des silos.

Et à part la patate ? Juste de l’huile de tournesol. C’est tout. Ici, on revendique haut et fort ne pas ajouter de colorants ou d’arômes artificiels. « Laver, éplucher, couper, cuire... C'est simple, nous faisons les frites comme votre mère ou la mienne les fait. Mais à plus grande échelle », illustre William Jarijch.

Il est temps de s’habiller pour entrer dans l’usine. Le Sales manager revient quelques minutes plus tard avec le matériel nécessaire pour les visiteurs : bottes, tenue en papier, gilet fluo, filet à cheveux, casque et oreillettes. Une tenue pas nécessairement glamour mais qui permet d’éviter tout accident.

Nous sortons de la salle de réunion et faisons le tour du bâtiment. L’odeur des champs et de la terre retournée devient de plus en plus forte. Pas de doute, nous arrivons bien au lieu de déchargement des pommes de terre. Des tonnes et des tonnes de pommes de terre attendent la validation de la première cellule de contrôle pour pouvoir être transformées en frites.

1. Le tri

Première étape : vérifier la cargaison. C’est le premier d’une longue série de contrôles. Nous entrons dans une petite pièce où deux personnes travaillent. L’une trie les patates en fonction de leur calibre. L’autre est en train de faire cuire des frites. Lavées, coupées, cuites 2 minutes à 180°C... Ces « frites-tests » sont analysées sur base de leur couleur et de leur teneur en matière sèche.

Le « cuistot » sort la poignée de frites de l’huile, l’étale sur une grande plaque en métal et nous les tend : « Vous en voulez ? », dit-il en rigolant. Il les pointe du doigt et nous explique : « Les frites doivent avoir une belle couleur dorée. Si elles sont trop blanches ou trop brunes, on refuse le lot. Cela nous arrive tous les jours d’en refuser ». Pour l’aider à trancher, le jeune homme consulte un spectre de frites de différentes teintes présentées sur une feuille. Du blanc cassé au brun foncé, tous les tubercules ne pourront pas continuer leur chemin à l’intérieur de l’usine.

Une fois la livraison validée, les pommes de terre passent sur un tapis et sont triées par calibre. Les grandes serviront à faire des frites, tandis que les moyennes seront utilisées pour les wedges (pommes de terre coupées en quarts) et les petites seront broyées pour être transformée sen purée.

Les pommes de terre sont « photographiées » à plusieurs reprises pour parvenir à une répartition la plus exacte possible. Mais à ce sujet, William ne nous en dira pas plus. « Désolé, cet endroit est confidentiel. Nous avons déposé des brevets sur de nouvelles machines. Nous préférons garder une part de mystère », nous dit notre guide tout en souriant.

Nous sortons de cette petite pièce et retraversons le site. « Attention, il faut marcher dans les couloirs tracés au sol », nous rappelle le Sales manager. « Question de sécurité. Il y a beaucoup de camions qui filent ici. Mais à l’intérieur de l’usine aussi, il faudra les suivre. »

2. Le lavage

Au bout d’un long couloir, nous arrivons à un sas. William Jarijch nous arrête. Pour pouvoir entrer, il faut d’abord bien se laver les mains. « Nous faisons très attention à l’hygiène dans l’agroalimentaire. C’est parfois embêtant mais c’est nécessaire, tout comme votre charlotte sur la tête. Et c’est maintenant que vos oreillettes et mon micro vont servir. Vous allez vite comprendre… »

Il ne croyait pas si bien dire. A peine la porte ouverte, le bruit produit par les machines est assourdissant et la température est de dix degrés supérieure.

Première étape de la production : éliminer les cailloux et autres objets étrangers. Comment une machine peut-elle reconnaître une pierre d'une pomme de terre ? Petit exercice physique. Les pommes de terre encore terreuses sont plongées dans de l’eau. Grâce à des jets et la pression hydraulique exercée, les pommes de terre flottent tandis que les cailloux, eux, restent au fond. Notre guide continue de parler dans son micro : « c’est le moyen le plus simple que nous avons trouvé pour trier machinalement les lots. Et je dois dire que ça marche vraiment bien. Dommage que ça soit si bruyant », plaisante-t-il.

3. Le séchage et la sélection

Les pommes de terre sont ensuite séchées. Une première sélection est effectuée pour faire sortir les produits présentant des défauts comme des germes.

4. Le pelage

La plupart du temps, notre guide nous fait des gestes pour nous faire comprendre la direction à prendre. Cette fois, il indique un escalier et des machines faisant plusieurs mètres de haut.

Encore une fois, la pression de l’eau est le meilleur outil qui soit. Celle-ci va être projetée sur les pommes de terre afin de faire « exploser » la peau. Ensuite, elles tombent dans d'énormes rouleaux qui vont les brosser et enlever ces lambeaux.

A la sortie, les pommes de terre sont nues et humides. « Voyez-vous ces patates sur les tapis roulants ? Plus un gramme de peau ! », s’étonne William Jarijch. « Maintenant, elles vont être redispatchées encore en fonction de leur taille et envoyées à la découpe».

Sur le chemin, un ouvrier avec un casque anti-bruit nous lance un regard furtif et un bref sourire. Il ne peut parler, il doit rester à l’affût de la moindre pomme de terre présentant un défaut. A tour de rôle, les ouvriers enchaînent le poste pendant quelques heures, jour et nuit.

5. La découpe

Avant de redescendre, William Jarijch nous montre de longs tuyaux. « Les pommes de terre sont lancées à une vitesse de plus de 100 km/h. Et arrivées au bout, elles traversent ceci… » Notre guide brandit une lourde pièce avec, en son centre, une sorte de grillage. « Vous voyez ce que c’est ? C’est comme le coupe-frites que vous avez à la maison. Mais en plus grand et en plus solide. »

Des milliers de frites sont désormais éparpillées sur deux longs tapis. Elles passent une nouvelle fois sous un scanner. Celles présentant des tâches noires sont sorties car « personne ne mange une frite avec une tâche », affirme notre guide.

6. Le blanchiment

Avant de les frire, McCain a inséré dans sa procédure le blanchiment de ses frites. Il les cuit une première fois à l'eau avant de les tremper dans l’huile.

Lorsque l’on cuit deux fois les frites, un composé organique, l’acrylamide, fait son apparition dans l’aliment. Elle est principalement présente dans les produits très riches en protéines ou sucrés, mais aussi lors de la cuisson, le rôtissage et la friture de certains aliments. Grâce au blanchiment, le taux d’acrylamide, substance considérée comme cancérogène depuis 2015 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, tombe en flèche. William Jarijch se veut rassurant :
« Il n’y a aucun risque à manger des frites qui ont été précuites d’abord à l’eau et puis cuites deux fois dans l’huile. Nous ne nous inquiétons pas de cette directive ».

7. Le séchage

Après la cuisson à l’eau, les frites sont séchées.

8. La cuisson à l’huile

Enfin, vient la cuisson à l’huile de tournesol. L’odeur est reconnaissable entre toutes : celle de la friterie ! Une odeur qui aura bien imprégné nos vêtements d’ailleurs.

La température avoisine les 45°C dans ce gigantesque hangar. On croise peu d’ouvriers aux abords de ces grandes machines. Mais les quelques personnes traversant l’usine souffre autant que nous de la chaleur. Régulièrement, notre guide se retourne vers nous et dans un soupir : « Qu’est-ce qu’il fait chaud ici, c’est incroyable ».

9. Le refroidissement et la congélation

« Et maintenant, c’est le moment le plus agréable de la visite », plaisante-t-il. « La congélation ! »Enfermées dans des énormes caissons, les frites sont congelées en à peine quelques minutes. Un procédé nécessairement rapide pour éviter les intoxications alimentaires.

On resterait bien quelques minutes de plus pour se refroidir après cette « chaude » visite.

Avant de passer à l’emballage des produits, nous faisons un crochet par un petit bureau aux larges fenêtres. Une technicienne en tablier blanc réalise des analyses et le dernier contrôle de la chaîne.

« Je cuits quelques frites puis les compare au spectre. Si jamais il y a des ajustements à faire, j’appelle directement qui de droit afin de corriger la cuisson, la découpe, etc. Je suis en contact constant avec les autres cellules. Cela ne veut pas dire que nous devons jeter des palettes de frites. Mais nous souhaitons qu’elles soient le plus uniforme possible. Donc il y a toujours des petites adaptations à apporter. »

10. L’emballage

Nous rebroussons chemin et montons à l’étage. Nous arrivons dans une longue pièce où des bruits métalliques surgissent à intervalle régulier. Les frites congelées arrivent en vrac dans un entonnoir géant d’environ 1 m³, qui déverse lui-même des petites quantités de frites dans de nombreux bacs.Chaque caisson ayant un poids évidemment différent mais avoisinant les 500 g, la machine va calculer quelles boîtes ouvrir pour former un paquet de 2,5 kg.

Nous descendons et nous retrouvons face à une dizaine de machines.

Les frites tombent de l’étage entre deux feuilles de plastique imprimées et par pression à chaud, le sac est scellé et découpé.

12. Palettisation et stockage

Les cartons continuent leur chemin de l’autre côté du mur et sont superposés les uns sur les autres afin de former une palette.

La pomme de terre d’il y a à quelques heures ne ressemble plus du tout à ce qu’elle était à son arrivée. Désormais, elle est multiple et partage un emballage avec ses congénères.

Un reportage de Laura Lieu. Photos et vidéos : Jean-Luc Flémal, Belga et Laura Lieu