le FAST-FOOD

Par Jérôme Loumaye

1. Entrée en matière (grasse)


Chaque année, l’industrie de la restauration rapide brasse des milliards d’euros. Un moyen de consommation express qui incarne la mondialisation. Il est désormais presque impossible d’éviter les grandes chaînes de fast-food en Belgique, mais aussi dans presque tous les pays du monde. Pourtant, la route vers le succès de ce secteur fut semée d’embûches. Dans le cadre de notre rendez-vous dominical «Il était une fois», LaLibre.be vous propose de retourner aux origines de ce phénomène et de découvrir la grande histoire du fast-food.



2. L’aube d’une ère nouvelle


a. Automobiles

Cela peut paraître étonnant de commencer un grand format sur l’histoire de la restauration rapide par un chapitre sur l’automobile, mais c’est pourtant nécessaire pour bien comprendre l’émergence de ce tout nouveau moyen de consommation.

Au début des années 1900, la voiture est un objet pour les plus riches. Grâce à des visionnaires tels que Henry Ford et ses chaînes d’assemblage, la vie familiale commence à s’organiser petit à petit autour de ce nouveau moyen de transport qui se généralise.

Toutefois, la démocratisation de l’automobile amène un tout nouveau besoin au sein de la population, celui de l’essence. En 1913, en Pennsylvanie, apparaît la première station-service. Un système novateur qui vient en remplacer un autre plus fastidieux et dangereux. Jusqu’alors, les conducteurs devaient sortir des villes pour acheter de l’essence en bidons. Dès 1915, on compte plus de 200 pompes à essence à travers les États-Unis.

Avec ce système, les voitures sont nourries, mais qui nourrit les conducteurs? Le marché est là, avec près de huit millions de voitures en circulation en 1920. Apparaissent alors des restaurants au principe novateur : un service direct et rapide, au sein même du véhicule. Le fast-food est né.

b. Les pionniers

La première enseigne de restauration rapide apparaît au Texas en 1921 : le Kirby’s Pig Stand.  «Les conducteurs sont trop paresseux pour quitter leurs voitures pour manger», c’est ce que pense le créateur du restaurant Jessie G. Kirby et il ne se trompe pas, son restaurant est un succès. Une idée révolutionnaire qui sera reprise à travers le monde.

Dans ce nouveau type de restaurant, l’attraction principale ce sont les serveurs. De jeunes adolescents en rollers font la course jusqu’à la voiture du client garée dans le drive-in pour prendre sa commande et le servir. Pour augmenter l’efficacité, les managers des établissements instiguent une compétition entre patineurs : le premier arrivé à la portière prend la commande et ceux avec le plus de commandes en fin de journée sont récompensés. Par ailleurs, il ne faut pas longtemps aux restaurateurs pour réaliser l’attrait que peut avoir la gent féminine sur la clientèle. Le temps des jeunes garçons adolescents est révolu, désormais les drive-in seront peuplés de jeunes femmes aux tenues chatoyantes (et un brin sexy).

Attention ! Pour bien comprendre ce dossier, une petite leçon d’anglais s’impose.


Image c. Les limites d’un système vieillissant

Après une vingtaine d’années de croissance, l’industrie du fast-food commence à montrer ses limites. Des vols d’assiettes et de couverts à répétition, des cuisiniers souvent plus enclins à discuter avec les serveuses qu’à faire leur travail, mais aussi une fréquentation adolescente problématique. En effet, ces derniers ont tendance à rester oisifs et bruyants sur les parkings des fast-foods, une nuisance sonore qui faisait fuir les autres clients potentiels.

L’industrie a besoin d’une révolution, et c’est à San Bernardino en Californie qu’elle débute.

3. Au revoir les assiettes :
la révolution McDonald’s


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Richard et Maurice McDonald

Ce vent d’air frais plus que nécessaire dans une industrie devenue stagnante vient de Californie et de deux frères originaires de la Nouvelle-Angleterre : les frères Richard et Maurice McDonald.

La fratrie possède un drive-in on ne peut plus classique. En 1948, ils décident de tenter un pari fou et ferment leur business pour trois mois. Une longue période au cours de laquelle ils mettent à profit leur temps pour effectuer une restructuration révolutionnaire.

À sa réouverture, leur menu est métamorphosé . De 35 produits il n’en reste que neuf, les serveuses qui allaient jusqu’aux voitures sont licenciées, ils se débarrassent de toute leur vaisselle et un nouveau système est mis en place : le Speedee Service System. Il permet au client de passer la commande au guichet (il faut donc sortir de sa voiture) et d’être servi dans les 15 secondes. Il se base sur le principe des premières chaînes industrielles : chaque cuisinier effectue une seule tâche bien précise de la production. Un système qui fait ses preuves. Avant la fermeture, le restaurant faisait 100 000 dollars par an de revenus nets. En 1952, la nouvelle configuration leur permet de tripler leurs bénéfices.

La recette du succès est alors simple : de la nourriture bon marché servie à grande vitesse.


La Mecque du fast-food


La rumeur se répand rapidement à travers les États-Unis : un petit fast-food de San Bernardino attire les foules. De nombreux concurrents se mettent à faire le voyage pour tenter de comprendre le succès des frères McDonald. Ainsi, Glenn Bell adaptera la formule magique du Speedee Service System à la nourriture mexicaine. Taco Bell voit alors le jour.

Autre succès notable : en 1953, James Mclamore ouvre «Instant Burger King», ancêtre de Burger King. Un an après, Ray Kroc, un vendeur de milk-shake abasourdi par le nombre de machines que lui commandent les frères McDonald, traverse le pays pour aller voir de ses yeux ce succès.


Milk-shake et Trahison


Ray Kroc en 1978

Ray Kroc, dès son arrivée, se rend compte qu’il vient de découvrir une mine d’or et s’entête à vouloir franchiser la méthode. Après avoir travaillé au corps les deux frères, ils finissent par céder, le contrat stipule alors que sur chaque vente faite dans un restaurant McDonald franchisé, les deux frères gagneront un pourcentage.



Le 15 avril 1955, le premier restaurant de la franchise McDonald ouvre en Illinois, cinq ans après plus de 200 établissements ont fleuri à travers les États-Unis.

Une réussite pour Ray Kroc et les frères McDonald qui promet un avenir radieux à la compagnie, mais les choses dérapent rapidement. Pour chaque changement qu’il souhaite apporter dans les établissements franchisés, Ray Kroc doit obtenir l’aval de la famille McDonald.
Mais aucune demande n’est acceptée, les frères étant désireux de conserver leur philosophie entrepreneuriale.

En 1961, Kroc, excédé, parvient finalement à pousser les frères à lui vendre la société. Les McDonald obtiennent un chèque de 2,7 millions de dollars ainsi qu’un accord verbal de toucher 1,9 % de toutes les recettes annuelles. Toutefois Kroc ne reconnaîtra jamais l’accord verbal et ira jusqu’à ouvrir une enseigne juste en face du nouveau restaurant des frères McDonald pour forcer sa faillite.


4. Course contre le monde


À la fin des années 60, le modèle de l’industrie du fast-food présente certaines limites. Une nécessité d’aller encore plus rapidement qui trouve sa réponse en 1969 avec l’enseigne Wendy’s.

C’est Dave Thomas, ancien manager d’un KFC, qui décide de tout plaquer et d’ouvrir Wendy’s, une chaîne de fast-food aux allures classiques, mais avec une différence révolutionnaire : une fenêtre pour y retirer les commandes depuis votre voiture. En cinq ans l’enseigne inaugure plus de 100 établissements, et devient donc la première chaîne de restauration rapide avec un «drive-thru».

Pour l’anecdote, le groupe McDonald’s résistera à cette innovation jusqu’en 1975 quand un de leurs managers prend les choses en main en Arizona. Il observe tous les militaires qui ne peuvent rentrer dans son établissement en uniforme et se rend compte qu’il y a une énorme opportunité non exploitée. Il trouve alors une solution et casse un des murs de son restaurant, et ce faisant, crée le premier « drive-thru » de l’entreprise aux arches dorées.

Quelques mois après, Burger King propose lui aussi ce service et en dix ans, tous les grands noms de l’industrie se dotent de cette innovation. Un marché naît alors dans les composants technologiques visant à rendre l’expérience du drive-thru la plus rapide et plaisante possible. Des entreprises de fenêtres automatiques à celles de fabrication de microphones, le secteur crée une multitude d’emplois. La machine capitaliste et de mondialisation est alors lancée et dans les années qui suivent, les fast-foods se modernisent et se mettent au goût du jour jusqu’à devenir ceux que l’on connaît aujourd’hui.


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La Belgique, un cas unique


En Belgique, le marché du fast-food est le champ de bataille d’une confrontation entre le géant McDonald’s et une chaîne de restauration rapide bien de chez nous : Quick. Fondée en 1971, celle-ci a réussi pendant près de quatre décennies à dominer le marché belge. Une lutte de longue haleine qui oppose aujourd’hui les 92 restaurants belges face aux 74 McDonald’s disséminés dans tout le pays. Pourtant, en juillet 2016, toute la dynamique de cette concurrence a changé avec le rachat du groupe Quick par le géant Burger King qui possède déjà pas moins de 13 000 points de vente dans 88 pays. La sentence est alors irrévocable, l’enseigne Quick disparaîtra du paysage d’ici 2020. Le Whopper américain mange donc le Giant : une page se tourne dans l’histoire d’amour entre la Belgique et ses fast-foods.





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