Reportage photo

Discrétion au dehors, folies au dedans

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Le milieu homosexuel est codé, comme une mise en abîme de la société : il y a des femmes et des hommes, des pères et des mères qui prennent sous leurs ailes les nouveaux et les accompagnent jusqu’au mariage. Il y a le droit d’aînesse qui implique le respect des plus jeunes envers les plus âgés. “Parfois, ceux-ci en profitent…”, souligne Cheikh, qui rassemble autour de lui les “crèmes glaces”, son groupe d’amis. “On est ensemble”, revient comme un refrain, une mélodie apaisante. Une ritournelle ponctuant chaque récit de vie, lorsque les langues se délient, qu’une tape est donnée sur l’épaule du voisin alors que sa voix flanche de tristesse, de colère, d’une volonté de lutter. Malgré les risques que les LGBT courent, ils parviennent à se ménager des interstices de liberté.


“Elles” sont neuf et se sont appelées les “crèmes glace”, parce qu’elles sont “appétissantes !”. Elles se retrouvent régulièrement dans la chambre de Sow pour “faire des folies”. Les verres de thé sucré pris couché sur le lit et les moments de tendresse sont des intermèdes à leurs pas de danse endiablés faits sur les rythmes que crache la vieille stéréo. “On est comme ce qu’on dit de la langue et des dents : parfois, elles se touchent mais elles vivent toujours ensemble".

Cissé secoue son foulard comme il le ferait avec une longue chevelure. Dans le secret de la chambre de son “fère", le “voleur de mari”, comme on l’appelle ironiquement, tout en gardant sa délicate timidité, se laisse aller à d’amples gestes.

Faye, c’est le “grillo” de la bande. Celui qui anime. Il en est aussi le “porte-parole”. Sa spontanéité n’a d’égal que son sens de la démonstration. Le "milieu", c'est ma passion. Mais je le quitterai pour me marier, avoir des enfants", explique le couturier de 23 ans. Pourtant, les femmes ne m’attirent pas”. "Ils sont nombreux à se marier pour leur sécurité. Mais on reste ce que l’on est", ajoute Sow.

Les douze associations que compte le pays organisent des séances de sensibilisation au VIH sida et des “causeries” lors desquelles leurs membres peuvent parler "en toute confiance et sans tabou de leur sexualité et des comportements à risque", fait remarquer Ahmed, “pair éducateur”.


Bulle d’air entre quatre murs

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Les femmes sont moins visibles que les hommes. Probablement parce que “la société ne cherche pas à justifier les rassemblements de femmes”, explique Ndeye Kebe. L’homosexualité au féminin existe pourtant et est “de plus en plus stigmatisée”. “Il y a une recrudescence de violence et de rejet à l’égard des femmes homosexuelles”, poursuit cette figure de proue du mouvement LGBT. Yassine, son bras droit, a d’ailleurs eu du mal à convaincre ses amies de se rassembler, ce jour-là, plusieurs arrestations récentes de femmes les poussant à la prudence. Une fois la porte de la chambre de la jeune femme close, elles font tomber les masques, déversent leurs mots et lâchent leurs angoisses.


Adja porte une énième cigarette à ses lèvres. La chambre de Lika, où se disputent coussins et peluches, chapeaux et sacs, photos et posters, devient rapidement un bocal de fumée aux effluves de bière. A l’image de la fumée qu’elles expirent, ce sont les mots qu’elles soufflent à pleins poumons et à gorges déployées dans une cacophonie libératrice. Adja fait figure d’exception. Ses parents sont au courant de son homosexualité. “Je profite de cette chance pour me battre pour la liberté d’expression ; celle qu’utilisent ceux qui nous jugent et nous insultent. Je revendique qui je suis”.

Lika, féminine jusqu’au bout des ongles, est un moulin à parole. Cette jeune mère divorcée à la voix aiguë et au dynamisme hors du commun se dit “fière d’être lesbienne”. Si elle cache à son père son orientation sexuelle, elle pourrait être le visage du mouvement militant de demain. Ses amies ne sont pour la plupart pas prête de franchir ce pas. “Mes parents me demandent pourquoi je ne ramène pas d’homme. Je nie, évidemment. Mais le mariage hétérosexuel est le prix de la liberté”, dit ainsi Nafi, sans cacher son fatalisme.

Tout à l’opposé de la maitresse des lieux, Mame ne dit pas un mot. Son style vestimentaire parle pour elle, dans une société qui considère que l’homosexualité est écrite sur le front, les piercings et les fringues de la personne concernée.

Entre les voix à hauts décibels et le nuage de fumée se dégage celle d’Aïcha. Douce mais déterminée. “Je n’ai eu d’autre choix que d’assumer mon homosexualité. J’ai tout perdu. Je n’ai pas voulu naître comme cela, c’est dans mon sang et j’ai appris en en être fière. Si c’est une partie de mon identité, je ne me résume pas à cela. Pourtant, la société ne nous voit que comme des homosexuelles. Rien de plus. Les mentalités sont rigides. Rien ne changera jamais”. “Pourquoi les gens ne veulent-ils pas comprendre ?”, interroge la jeune Daba.




2016 - LaLibre Dossier - Être homosexuel au Sénégal