E-sport: Game, Business, Money

Il y avait le sport, fait d’activités physiques diverses, en solo ou en équipes, doublé du sport "cérébral", allant des échecs aux mots croisés en passant par les grilles de sudoku… Il y a maintenant l’e-sport, qui permet à des fans de jeux en ligne de s’affronter lors de compétitions en réseau (appelés LANs ou Lan party pour local area network party). Par nature, l’e-sport touche des centaines de millions de compétiteurs et de spectateurs, ce qui en a fait une source de revenus non négligeable.

En effet, tout comme les concerts de rock stars ou des matches de foot déplacent les foules, nécessitent des organisations lourdes et des frais à éponger, les championnats d’e-sports sont devenus rapidement un marché à l’échelle mondiale. La presse a suivi qui a ouvert une porte aux championnats divers qui fleurissent partout dans le monde, les télés s’y mettent - les spectateurs sont très nombreux, les entreprises aussi, comme Proximus qui a ouvert un canal dédié et organise même la Proximus Pro league en Belgique pour les joueurs de Fifa 19, le championnat de foot numérique. L’opérateur télécoms propose aussi des affrontements en "League of Legends", très populaire bataille en arène de type heroic fantasy, ou encore Counter Strike, où s’affrontent terroristes et antiterroristes. Même les clubs de foot traditionnels s’offrent les services de sportifs numériques pour les représenter dans les compétitions Fifa 19.

Twitch et YouTube

Les diffuseurs de vidéos en ligne comme YouTube viennent aussi prélever leur part du gâteau digital en hébergeant les exploits filmés et commentés par les équipes et les e-sportifs professionnels qui, en plus des prize money, sont rémunérés par la pub diffusée par YouTube et autres plateformes de type Twitch. Les joueurs amateurs, qui passent du temps à améliorer leur environnement en gagnant des armes nouvelles ou des armures, suivent ces exploits au jour le jour. Le vocabulaire spécifique dont la signification échappe aux non-initiés, crée un climat communautaire supplémentaire. Une part de la vie des joueurs se passe dans une autre dimension, hors du temps.

C’est que, du point de vue des éditeurs de jeux en ligne comme l’américain Activision Blizzard qui a déjà sérieusement ratissé les poches des jeunes avec sa suite "World of Warcraft", il est impératif de créer une dépendance, des communautés, et d’entretenir la passion. Les compétitions d’e-sport sont une des manières de faire grimper les ventes, tout comme la création de nouveaux univers virtuels. Blizzard qui édite aussi les jeux "Call of Duty" et "Overwatch", doit notamment la poursuite de sa croissance à l’émergence de l’e-sport. Et on parle ici d’un solide business : Blizzard pèse quelque 53 milliards de dollars de capitalisation boursière, pour un chiffre d’affaires de plus de 7 milliards.

Paris sportifs

L’e-sport est aussi considéré d’un très bon œil par les sites de paris sportifs qui organisent eux aussi des compétitions dotées de récompenses confortables, comme le Circus e-Sport qui se déroulera l’an prochain en Belgique dans plusieurs villes avec des champions des jeux League of Legends, Counter Strike Go et Hearthstone, pour un prize money global de 36 000 euros. Mais on est là sur le petit marché belge, naissant.

Epic Games, l’éditeur de Fortnite, un jeu en ligne gratuit qui a séduit en moins d’un an plus de 120 millions de joueurs, n’a pas hésité pour sa part à mettre sur la table en mai dernier 100 millions de dollars de dotation pour les compétitions d’e-sport consacrée à son jeu. L’entreprise américaine dégage déjà un chiffre d’affaires dépassant le milliard de dollars rien que sur ce jeu qui est, évidemment, comme ses concurrents, disponible sur mobile. C’est que cette filiale du groupe chinois Tencent bénéficie d’un accès privilégié au marché chinois en pleine croissance.

Sponsors et publicité

L’argent appelant l’argent, le monde de la pub s’est inséré dans l’écosystème e-sport et représenterait selon le bureau d’études américain Superdata, 85 % des revenus d’image de ce marché estimé par le site esports-marketing à 465 millions de dollars pour 2017, pour une audience de quelque 190 millions de spectateurs. Parmi ceux-ci, on recense 145 millions de spectateurs qualifiés d’enthousiastes, donc consommateurs fréquents, soit, à quelques millions près, autant que les amateurs de football américain…

Selon le même site, en 2017, le marché global de l’e-sport aurait représenté 1,1 milliard de dollars, pub comprise, avec une croissance prévue qui ferait passer ce montant à 3 milliards de dollars à l’horizon 2020.

10,5 milliards de dollars

Selon la société néerlandaise spécialisée Newzoo, les revenus (droits TV, publicité, sponsoring, merchandising, ticketing…) issus de l’e-sport dépasseront les 10,5 milliards de dollars (9,2 milliards d’euros) en 2030.

Un business model "révolutionnaire"

"Fortnite" est l’un des jeux les plus populaires. Sa gratuité de base, même sur consoles et PC, n’empêche pas d’importants revenus.

Un jeu gratuit qui rapporte des centaines de millions de dollars à son développeur, c’est ça, un business model original. Intelligent même. C’est le cas pour Fortnite, qui est devenu un phénomène de société.

Développé par Epic Games, le jeu se décline à la fois sur PC, consoles et mobiles, ce qui est assez exceptionnel. En à peine un an, le jeu a attiré plus de 150 millions de joueurs. La singularité du modèle économique réside donc dans le fait que les joueurs ne paient pas pour l’achat du jeu, ni pour un abonnement, ni pour s’acheter des armes. On peut donc y jouer gratuitement et avoir autant de chances de gagner que ceux qui paient. Mais si on veut personnaliser son personnage, s’accaparer des pass ou des skins plus originaux, on doit sortir le portefeuille. Les joueurs peuvent même acheter des "danses" que leur personnage effectuera. C’est donc principalement esthétique

Attirer, puis faire payer...

Alors, un jeu auquel on peut jouer gratuitement et qui rapporte de l’argent, ce n’est pas nouveau. Particulièrement sur mobiles, où les jeux gratuits qui poussent à réaliser des achats pendant l’utilisation sont légion. Mais sur console et pc, avec ce genre d’achats, là, c’est rare. Surtout pour un public cible relativement jeune, avec un pouvoir d’achat limité et un attrait pour tout ce qui est, justement, gratuit.

L’autre originalité du jeu qui en fait son succès, c’est l’un de ses modes de jeu. Les joueurs se livrent bataille dans l’univers virtuel qui peut regrouper jusqu’à 100 joueurs où, petit à petit, la zone de combat se réduit. Et c’est la dernière personne encore en vie qui l’emporte. Pas question ici de tuer le plus de monde, mais il faut survivre. Rester le dernier debout.

Enfin, fini le gore, le jeu mise plus sur un aspect comics, qui fait que le style de jeu et son apparence répondent aux attentes des plus jeunes (ou de leurs parents), mais aussi des moins jeunes

Des métiers "classiques" dans un monde à part

Animateurs, coaches, directeurs d’écoles, joueurs pro et salaires mirobolants

L’e-sport, c’est aussi des métiers à part, qui sont assez peu connus du grand public. Un exemple : Pomf&Thud. Derrière ce duo se cachent deux jeunes Français, deux frères, deux animateurs : Alexandre et Hadrien Noci. Si vous ne suivez pas l’e-sport, ces noms ne vous diront sûrement rien. Pourtant, ils ont connu une popularité très importante dans le milieu. Ils avaient d’abord lancé en 2010 une chaîne Youtube où ils ne faisaient que commenter des matchs entre joueurs. On ne parle pas ici de se filmer en train de jouer, qui est une tendance à la mode aussi (beaucoup de Youtubeurs très populaires le font), mais bien de commenter les matchs. Comme il existe des commentateurs de football, de boxe, de tennis… Et en 2010, les deux comparses ont vu leur chaîne exploser et arriver en tête des chaînes les plus populaires de France. Petit à petit, ils en ont fait un métier. Les millions de vues cumulés attirent les sponsors, et des événements sont très vite organisés. Aujourd’hui, la chaîne n’est plus active, mais les deux frères ont de la suite dans les idées et restent actifs dans le milieu.

Hadrien est désormais directeur d’école, car il en a créé une en 2017 afin de former des joueurs professionnels d’e-sport. Son nom? La ROG School, qui est sponsorisée par Asus. Quatre de ses élèves ont d’ailleurs déjà signé un contrat pro. Et il ne s’agit pas de juste passer du temps devant son ordinateur, c’est un travail à temps complet pour les jeunes joueurs. Logés sur place la semaine, rémunérés, ils suivent un cursus précis et, comme pour des sportifs professionnels, ils s’entraînent, physiquement, mentalement et techniquement pour s’améliorer. Dans ce cadre, ils participent à des compétitions à travers le monde et espèrent par la suite intégrer une équipe professionnelle.

Et lorsqu’on pose la question du salaire à certains joueurs d’e-sport professionnel, comme c’est le cas de Twikii (le joueur qui représente le Standard de Liège… Mais en jouant au jeu Fifa), la réponse est : "no comment". Il n’a pas le "droit" de le dire. Mais il est rémunéré mensuellement.

Par contre, lorsqu’on regarde les sommes décernées aux gagnants lors de compétitions internationales, il y a de quoi faire rêver les plus jeunes. Un joueur a gagné cette année plus de 4 millions de dollars de prix. En 2015, une récompense dépassant les 18 millions a même été décernée à une équipe. "Scream", l’un des joueurs professionnels belges les mieux rémunérés, aurait gagné plus de 235 000 euros en jouant à Counter-Strike. Rentable, non ? Certains pays ont d’ailleurs décidé de légiférer sur cette pratique, en donnant un cadre légal sur l’aspect sportif mais aussi financier.