Pour la société belge Dreamwall, le chemin vers les législatives françaises n’est pas sans encombres

Un reportage de Laura Lieu (texte) et Johanna de Tessières (photo)

Légèrement en retrait de la route, un haut bâtiment de type industriel se profile au fond du parking bordé par des arbres. En plein centre de Marcinelle, l’endroit passe inaperçu... ou presque ! Le visage de Spirou surplombe l’édifice. L’entrée est modeste mais ne reflète pas l’immensité des espaces intérieurs. Et pour cause, Dreamwall s’est installé dans les anciens entrepôts des éditions Dupuis, maison-mère dont Spirou est l’icône. En dix ans, la société est devenue le studio d’animation le plus important de Belgique et rayonne de Paris à Bollywood.

Autour d’un café matinal, Thibault Baras nous explique en quelques minutes l’histoire de la société. Dreamwall, créé par la RTBF, Dupuis, Wallimages, Sambrinvest et un ou deux privés, est né dans la foulée du tax shelter et de la volonté de créer un centre de compétences en Wallonie. Dreamwall est un studio d’animation qui s’occupe des contacts et de la gestion des projets. Tandis que Keywall est apparu il y a six ans et est devenu un groupe à part entière où sont concentrées les solutions techniques. Il englobe les trois studios utilisés quatre jours sur cinq notamment pour la présentation de la météo (RTBF, TV5 Monde et AB3), la feue émission Vis Ta Mine, Quel temps, les émissions concédées (d’opinion ou philosophiques), Matières Grises, Reflets Sud, Nom de Dieu et Devoir d’enquête. Récemment, la société a réalisé sur demande de la RTBF la reconstitution des attentats de Bruxelles le 22 mars.

Pas moins de 25 bulletins météo par jour

Après cette brève présentation, le general manager nous fait visiter les lieux en commençant par les studios météo. Pas moins de 25 bulletins sont produits quotidiennement. Sandrine Scourneau, présentatrice de la RTBF (No Limit, Sans chichis, météo…), est en plein enregistrement pour TV5 Monde dès 9h30. De son air jovial mais concentré, la présentatrice se démarque sur le fond vert du studio. Elle anime la météo avec une telle aisance et précision du timing que l’exercice en paraît facile.

Chez Dreamwall, c’est l’ingéniosité et la débrouillardise qui ont permis à la société de devenir une référence en Europe. Panneaux transparents sur le plateau pour changer d’écran, Xbox Kinect (prisée des fans de jeux vidéo pour jouer sans manette) pour détecter les mouvements de l’animatrice…
« C’est du bricolage maison qui nous permet de créer de nouvelles scénographies. Souvent, c’est Sylvain, notre McGyver et roi de la débrouille, qui trouve l’idée », explique Thibault.

Chacun produit entre 3 et 8 secondes d’animation par jour

Nous revenons sur nos pas pour découvrir deux salles où l’effervescence règne. Un premier îlot travaille sur le nouveau dessin animé Vic Le Viking. Quelques pas encore et là, c’est une trentaine d’employés qui s’affairent sur Le Petit Poilu. La capacité du plateau peut atteindre 130 personnes. « Entre septembre et avril, ce sera rempli », assure M. Baras.
« Ils produisent tous entre 3 et 8 secondes d’animation sur la journée. Cela peut varier d’une personne à l’autre mais également en fonction de la difficulté des plans. »

Pour le moment, le temps est à la concentration mais pas encore au stress. « Ce dont je suis fier, c’est que malgré des situations difficiles pour certains, tous viennent avec la motivation au travail. Chaque jour, ils ne se lèvent pas pour travailler, mais pour vivre leur passion », assure Thibault en regardant ses employés d’un air comblé. Presque tous sont indépendants : « C’est normal pour cette profession. Ils vont d’un studio à un autre en fonction des projets ».

« J’offrirais un CDI à certains qu’ils le refuseraient. L’indépendance est l’un des avantages du métier ».

La présidentielle française, un premier challenge réussi

Nous traversons cette grande salle pour monter les escaliers vers un autre plateau de travail. Ici, ce sont cinq personnes qui œuvrent à l’habillage télévisuel des législatives françaises.

En décembre dernier, le directeur se rend au siège de France Télévisions. « Je savais qu’il allait y avoir la présidentielle. C’était une magnifique opportunité. Je leur ai exposé notre façon de travailler, nos installations, nos compétences. Tout était rassemblé en un seul endroit. Pas besoin de faire appel à d’autres prestataires. Ca les a convaincus. Ce n’était pas une question économique, mais bien de compétences. Et cela, j’en suis très content ». S’en est suivi le marché public, l’appel d’offres et l’attribution du marché pour l’habillage et l’animation en réalité augmentée de quatre émissions.

Présidentielle française, les coulisses. Emission diffusée le 7 mai 2017. ©Dreamwall

Quatre week-ends sur place, des centaines de photos et des milliers d’heures de chipotage plus tard, il est temps de tout installer. Le chemin vers les législatives n’est pas non plus sans encombres : « Par exemple, l’éviction de David Pujadas et la démission de Michel Field sont des mouvements internes chez France Télévisions qui ont des impacts sur les validations et donc sur notre travail. Mais ce n’est pas grave, on avance quand même bien », se dit rassurant Thibault Baras. « On n’a plus la tension de la première émission. »

Ce challenge a néanmoins demandé beaucoup de temps et d’efforts. « J’aimerais en tout cas ne pas revivre ce que nous avons vécu la première semaine. L’un des graphistes sur place a travaillé de 8h du matin le samedi à 12h le dimanche, non-stop. C’était trop. »

La deuxième étape du projet : les législatives. Quatre spécialistes de l’animation se rendront une fois encore à Paris dès le mercredi 7 juin et ce, jusqu’au lundi, afin d’installer le matériel et d’intégrer les différentes scénographies-clés. « Tout l’habillage se prépare en amont. Mais on est obligé d’être sur place pour programmer les résultats en direct ». Dernier round la semaine du 17 juin.

En pleine préparation des élections législatives

Pour la préparation des législatives, le boulot est similaire à celui de la présidentielle mais les décors, eux, diffèrent. Depuis le 8 mai, cinq personnes travaillent à plein-temps sur les législatives en collaboration avec un autre graphiste du groupe France Télévisions. « Justement, notre équipe doit avoir aujourd’hui une téléconférence avec les techniciens sur place », ajoute Thibault.

Cette fois, les téléspectateurs ne seront plus dans le bureau du Président ou dans la cour de l’Elysée, mais bien à l’Assemblée nationale. Les sièges sont déjà créés, un puits de lumière plus vrai que nature donne une profondeur à l’image et le camembert montrant la répartition des sièges est déjà en cours de finalisation. Chacun s’occupe d’un élément de l’habillage.
« Cinq ou six scènes didactiques sont en plein montage. La semaine prochaine, le présentateur viendra afin de répéter les scènes et faire quelques ajustements. Ce qui est important, c’est que la transition entre le réel et le virtuel se fasse de manière naturelle pour le téléspectateur. C’est là qu’est le défi. Pour la présidentielle, c’était assez réussi. Le challenge maintenant est d’être encore meilleur et d’aller à chaque fois un peu plus loin. »

Au final, ce projet est plus important en matière de notoriété que de recettes : « Le contrat représente seulement 100.000 euros pour quatre émissions. Ce n’est finalement pas grand-chose par rapport à nos recettes globales qui tournent aux alentours de 8 millions d’euros. Mais il est clair que cela reste l’un de nos projets les plus remarquables ». En effet, c’est l’un des travaux aboutis dont Thibault est le plus fier, avec Astérix et Obélix. « Le dessin animé a permis à Dreamwall d’acquérir ses lettres de noblesse. Mais les élections françaises sont un réel tremplin. C’est comme si tout ce qui s’était passé avant n’avait jamais existé, comme si c’était une renaissance. »

Astérix et Obélix, Le domaine des dieux ©Dreamwall

Un reportage de Laura Lieu (texte), Johanna de Tessières et Christophe Bortels (photos).