L'histoire du dandysme :

Quand le paraître devient un art de vivre

Dandy. À lui seul, ce mot évoque à la fois le spleen opiacé de Charles Baudelaire, la répartie acide d’Oscar Wilde et le punk en costume trois pièces d’un Nick Cave. La figure du dandy est parfois galvaudée. Car de quoi s’agit-il au juste ? D’un état d’esprit ? D’un style ? Les deux à la fois. Et plus encore.

Parce qu’il est avant-gardiste par essence, le dandysme est forcément d’actualité. Dans le cadre de votre rendez-vous dominical « Il était une fois », LaLibre.be vous invite à vous plonger dans ce mouvement hédoniste qui mêle mode, soif de liberté et recherche de la singularité.

"Le dandysme est une institution vague, aussi bizarre que le duel"

Charles Baudelaire

L’émergence du dandy, ce pourfendeur de la médiocrité

L’origine du mot « dandy » est, comme sa définition, parée de mystère. L’interprétation du biographe d’Oscar Wilde, Daniel Salvatore Schiffer, semble faire foi. Il faudrait regarder du côté d’une ballade écossaise datant de 1780 dont le protagoniste, Andy, est gentiment moqué, car il se dandine derrière une jeune femme. « Dandy » serait donc un mot-valise entre « dandle » (se dandiner, ndlr) et« Andy ». Le tout-Londres s’appropria le mot bien des années plus tard, vers 1810, au moment des guerres napoléoniennes. Il désigne alors les élégants de la jeunesse dorée savamment habillés. Durant la Restauration, la France est prise d’une fièvre anglomane. Le dandy s’y exporte tout naturellement et sera vite théorisé par de nombreux auteurs français dont Charles Baudelaire, Honoré de Balzac ou encore Jules Barbey d’Aurevilly qui lui donnent ses lettres de noblesses.

Le dandy est un pur produit de son époque. Ou plutôt une réaction à celle-ci. Industrialisation, capitalisme, domination de la bourgeoisie… Au XIXe siècle, les codes sont bouleversés. Le matérialisme et le culte du progrès deviennent des néo-religions. Le dandysme est une révolte.À travers un culte de la beauté et de l’élégance doublée d’une toilette impeccable, le dandy entend fonder une nouvelle aristocratie. Le but ?Pourfendre une médiocrité ambiante dénuée de tout esthétisme. Le philosophe Roger Kempf parle d’un « culte de la différence dans le siècle de l’uniforme », Baudelaire de « combattre et de détruire la trivialité ».

"La véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer"

George Brummell

Être la mode plutôt qu’être à la mode : George Brummell, le plus célèbre des dandys

Si le dandysme compte le poète Lord Byron ou le comte Robert de Montesquiou dans ses rangs, George Bryan Brummell, dit « Beau » Brummell, est l’incarnation même du dandy. Né en 1778, cet Anglais, petit-fils de domestique, fait et défait les modes de son époque, à Londres comme à Paris. Réputé pour son insolence, son ironie et sa science du bon mot, il devient le favori du prince de Galles à 17 ans.

Véritable phénomène, il écume les salons où son nom est sur toutes les lèvres. Vivant à crédit grâce aux charmes de son personnage de dandy, ce joueur invétéré finit par fuir la capitale anglaise pour Calais, puis Caen. L’homme le plus élégant de sa génération y meurt en 1840, ruiné et rongé par la syphilis.

Le chef de file des dandys a bouleversé la mode de bien des manières. Celui qui passait 5 heures par jour à s’occuper de sa toilette – ce vaniteux assumé ne laissait rien au hasard – a popularisé le pantalon étroit (au détriment de la culotte), mais aussi le costume moderne, sombre, bien coupé et sobre.

En effet, George Brummell misait sur la discrétion plutôt que sur les tenues tape-à-l’œil. « Pour être bien mis, il ne faut pas être remarqué », aimait-il à dire. On lui doit aussi l’abandon de perruque, les chemises claires à col replié et le port de la cravate. La légende dit même qu’il cirait ses chaussures au champagne…

"Le dandy est un révolutionnaire sans révolution"

Philippe Sollers

Le dandysme, une philosophie ?

Si on lui prête une réputation superficielle, le dandy aurait pourtant une véritable éthique. Une sorte de code d’honneur. Au point que le dandysme est parfois considéré comme une philosophie à part entière. « Frivole, futile, superficiel, décadent : les notions auxquelles on associe le dandysme ne sont guère flatteuses. Or elles sont trompeuses. […] C’est que le dandy allie la rigueur à la fantaisie, la sévérité au dilettantisme. Épicurien, oui, mais ascète par ailleurs. Hédoniste, sans doute, mais stoïcien », nous dit le philosophe belge Jacques De Decker. Pour lui, le dandy, situé à la croisée de courants philosophiques divers, de Kierkegaard à Nietzsche, nous invite à « l’exploration des profondeurs de l’apparence ».

"Le dandysme et la femme ne sont pas antinomiques"

Christope "Alister" Ernault

Le dandysme n’est pas uniquement masculin !

Lorsque l’on parle des dandys, nous l’avons vu, il s’agit souvent de personnes ou de personnages masculins. Les grands dandys de la littérature – Dorian Gray chez Oscar Wilde, Jean des Esseintes chez Joris-Karl Huysmans – sont aussi des hommes. Mais aujourd’hui, le dandysme semble aussi se conjuguer au féminin. Un nouvel ouvrage, La femme est une dandy comme les autres, écrit par Christophe Ernault de la revue Schnock abonde dans ce sens. « Il y a une modernité dans l'idée de dandy au féminin, car cela parle de la place des femmes dans la société, dans l'histoire, dans la culture, et de leur accès à l'autonomie, l'émancipation, la liberté », explique-t-il au Nouvel Obs.

Le dandy du XIXe siècle, entre décadence, virilité affirmée et esthétisme exacerbé, interrogeait déjà la notion d’identité sexuelle. En 2018, cette réflexion est on ne peut plus actuelle. « La culture androgyne qui a cours à notre époque a remis au jour le dandysme. Entre les stéréotypes de l'homme puissant et de la femme-objet, la fille dandy choisit un entre-deux. On assiste à une virilisation du code féminin », résume ainsi Alice Pfeiffer, spécialiste des questions de genre, toujours pour l'Obs.

Quelles sont les figures de proue du dandysme féminin ? « Amy Winehouse, pour son côté crépusculaire et destroy, et Lady Gaga, pour le travestissement, la face solaire rayonnante et excentrique »estime l’auteur Daniel Salvatore Schiffer. George Sand, Marlène Dietrich et Coco Chanel pourraient aussi figurer dans la liste des femmes dandys.

À sa manière, toujours singulière, le dandysme a inspiré la mode et la littérature, bousculant les codes du XIXe siècle grâce à une vanité toute philosophique. Aujourd’hui, le mouvement embrasse même sa part de féminité. Les dandys de tous horizons n’ont pas fini de faire parler d’eux !