Comment vendre la collection d'un artiste oublié et contesté ?

Considéré par certains comme une figure de proue de la sculpture contemporaine, Olivier Brice, qui a vécu à Schaerbeek, est désormais effacé des mémoires.

Les 200 œuvres enfouies de Brice à Schaerbeek

Français né en Algérie, l’artiste Olivier Brice a vécu une dizaine d’années à Schaerbeek. "Son talent n’a pas laissé notre pays indifférent. M. Brice a exprimé dans ses dernières volontés le souhait de voir sa collection personnelle rester en Belgique", déclarait le bourgmestre de Schaerbeek, Léon Weustenraad, en 1989.

Ce sont donc 200 pièces, estimées à 60 millions de francs belges, que la commune bruxelloise a reçues voilà près de trente ans. Mais cette donation était assortie d’une condition : la création d’un musée.

"Les autorités communales imaginaient à l’époque un musée à Schaerbeek pouvant accueillir ces œuvres ainsi que certaines de la collection communale", indique Véronique Baccarini, responsable de la collection artistique de Schaerbeek.

Or, face aux lenteurs administratives et au manque de subsides alloués à la culture, le projet ne verra jamais le jour.

Enfermées durant de longues années dans divers bâtiments locaux, ces œuvres ont été "cédées", fin 2017, avec approbation du Collège communal. Elles sont désormais aux mains de l’antiquaire Didier Dardenne. "L'art d'Olivier Brice est particulier et interpellant mais la collection reste fort endommagée", pointe l’homme, avec 40 ans d’expérience du métier derrière lui.

Alors comment réussir à vendre une collection d’un artiste étranger dont le nom est oublié et la collection abîmée ?

Qui est Olivier Brice ?

Une vie précaire, imprégnée par la mort

Né à Alger le 9 janvier 1933, Olivier Brice a été élevé par sa mère. "Il ne m’a jamais parlé de son père. Il est peut-être mort ou parti, je n’en sais rien", relève celui qui fut le meilleur ami d’Olivier Brice, Francis Puig.

Dès son enfance, le jeune garçon est plongé dans l’univers du stylisme à travers le métier de couturière de sa mère. Une vie simple et précaire. Attiré par l’art, il décide de se lancer dans des études à l’Académie des Beaux-Arts d’Alger.

Olivier Brice voit sa vie basculer dans les années 60' avec la guerre d’Algérie. Ses proches et lui n’ont pas le choix, ils doivent quitter le pays pour se rendre près de Paris.

C’est en 1972 qu’il expose pour la première fois dans la capitale française. "Olivier Brice n’est pas son vrai nom, c’est juste un pseudonyme", souligne son ami, expert en art qui avait hérité de la collection.

Durant toute sa vie, l’artiste ne cessera d’exposer ses œuvres à travers le monde, de Paris aux Etats-Unis, en passant par Montréal. La dernière exposition remonte à 2011.

Un trône de 2 tonnes pour l’empereur Bokassa

En 1976, un évènement va bouleverser le destin d'Olivier Brice : la rencontre avec l’empereur Jean-Bedel Bokassa, le président de la République centrafricaine.

L’Etat français a lancé un appel d’offres auprès des artistes issus du Nouveau réalisme pour réaliser la décoration du sacre de l’empereur. Parmi les candidats, Olivier Brice est choisi.

Sa mission est multiple et prospère: il doit non seulement créer le trône, mais aussi décorer le carrosse et parer la Cathédrale de Bangui.

"Six mois de mois de travail pour un trône de deux tonnes vraiment digne d’un empereur pétri d’épopée napoléonienne", écrivait l’ancien journaliste Claude Masson dans Ouest-France en 1977.

"C’était le jackpot !", confirme Francis Puig, qui ajoute que son ami n’avait pas beaucoup d’argent.

Olivier Brice s’installe ensuite dans le sud de la France où il continue à travailler sa sculpture tout en dirigeant une petite entreprise de prêt-à-porter.

"Il avait cette fascination pour la mort"

"Ces corps sans sépulture paraissent à mi-chemin entre la vie et la mort. Ils paraissent un peu irréels comme des accidentés de la route couchés sur les bas-côtés ou des cavaliers désarçonnés. Sont-ils encore vivants ou déjà morts ?", s’interrogeait le célèbre critique d’art français Pierre Restany.

Ces sculptures, impressionnantes et gigantesques, ne sont en réalité que de simples moulages, des coquilles articulées sur le vide.

Entre les Hurlevents, les Mutants et les Gisants, une similitude se dessine : cette obsession pour la mort.

"Olivier Brice a été traumatisé par la Deuxième Guerre mondiale et la guerre d’Alger", indique son vieil ami Francis Puig. Ces œuvres sont profondément marquées par son vécu et "cette fascination qu’il avait pour la mort".

Un autre épisode qui l’a bouleversé est la découverte des gisants de Pompéi : "On avait mis au jour à cette période tout un quartier où des êtres humains avaient été ensevelis par la lave de volcan. Les cadavres étaient restés entiers. Olivier avait été impressionné. Il avait envie de créer ça", se rappelle M. Puig.

"Parler de mort, ce n’est pas quelque chose de moche. C’est inéluctable. La mort fait partie de la vie, et donc de l’amour", ajoute l’ancien expert judiciaire qui partage n’avoir jamais abordé le sujet avec son ami. "Mais on avait cette attirance commune", souligne-t-il.

Extrait d’une interview avec Olivier Brice (1977, au Musée des Beaux-Arts, Tours)

Pourquoi ce besoin frénétique d’enfermer les objets ?

C’est sans doute lié au problème de la mort. C’est quelque chose de très intérieur, de très profond chez moi. Je ressens la mort, je la porte en moi. En fait, j’immortalise les objets pour les conserver à travers le temps. Je travaille un peu pour les archéologues du futur. Ce qui m’intéresse, c’est l’empreinte, la trace, la fixation dans le temps.

Pourquoi avoir choisi de draper des Antiques ?

Je voulais leur donner une deuxième vie. Une seconde chance de plaire. Leur classicisme m’ennuyait. J’avais d’ailleurs très envie de créer mon propre musée.

Vos œuvres sont imprégnées par la mort. Avez-vous peur de la mort ?

Non, la mort ne me fait pas peur ! Elle m’accompagne dans tous mes gestes quotidiens. Je m’endors en pensant à la mort ! Je me rase en pensant à la mort ! Je vais pisser en pensant à la mort ! Bien souvent, j’aimerais arriver à l’heure de ma mort pour enfin la découvrir véritablement. Je n’ai pas pour autant d’idée suicidaire. Je suis tout simplement fasciné par la mort. D’ailleurs, je me promène souvent dans les cimetières. Je suis en admiration devant une tombe, devant une allée. C’est tellement beau !

Beau parce que la mort est là ?

Certainement. La mort est radieuse.

Le fils spirituel de Salvator Dali, et pas seulement

A une époque où les interdits sont nombreux, Olivier Brice n’a pas peur d’enfreindre les codes liés à la sexualité. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à mettre en avant les parties intimes masculines. "Il fallait oser tout de même, surtout dans les années 70’", partage l’antiquaire Didier Dardenne.

Dans cette même période, l’artiste rachète la fonderie Valsuani, qui a travaillé pour des artistes comme Rodin, Picasso ou Degas. C’est à ce moment qu’il fait la connaissance Salvator Dali, qui venait faire couler ses bronzes dans la fonderie. "Ils ont alors commencé à se fréquenter", glisse M. Puig. "Dali était bisexuel, il n’est donc pas exclu qu’il y ait eu une petite aventure entre eux. Il l'appelait son fils spirituel."

Olivier Brice a-t-il réellement influencé la sculpture contemporaine ?

En 1977, le Bénézit, dictionnaire de référence des artistes, fait apparaître le nom d’Olivier Brice dans son ouvrage et présente une vingtaine de lignes sur le sculpteur.

Dans Le Soir, un article publié en 1989 sur la collection de Schaerbeek décrit Olivier Brice comme "l’un des grands de la sculpture contemporaine". Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

L’art d’Olivier Brice semble fort contesté. Claude Lorent, critique d'art à La Libre, se souvient avoir été confronté aux sculptures d’Olivier Brice. "Des œuvres assez monumentales, plus grandes que nature, de grands drapés, comme des manteaux anciens, longs et amples, largement ouverts. Mais le corps est absent, c'est une coquille vide et c'est grandiloquent."

D'après Claude Lorent, Olivier Brice "n'est pas un grand artiste de son temps et il n’a jamais été considéré comme tel"

Cet avis est partagé par le galeriste et expert en art contemporain Albert Baronian : "Non, Olivier Brice n’a pas du tout influencé l’art belge".

Décédé d’un cancer de la peau en 1989, le nom d’Olivier Brice n’apparaît désormais pratiquement plus dans les galeries, à l’exception de quelques œuvres.

Artiste étranger et peu connu, comment vendre sa collection ?

Le regard du vendeur

C’est le challenge que va devoir relever l’antiquaire Didier Dardenne et la tâche semble périlleuse. D’ailleurs, c’est la première fois que ce sexagénaire, fort d’une expérience de 40 ans, est confronté à ce genre de défi.

"Il se fait que cette collection est en mauvais état", précise-t-il. "Si on vend à l’unité, on n’en écoulera que 10%." Pour lui, les tableaux seront plus faciles à vendre que les grandes œuvres.

M. Dardenne en a conscience : "Il n’y aura qu’une petite partie de la clientèle qui sera intéressée par cette collection et, probablement, le public à atteindre sera la communauté homosexuelle".

La plus grande difficulté qu’il rencontre actuellement est l’état de la collection. Il a évidemment envisagé de rénover les diverses pièces abîmées mais le prix d'un tel travail "serait très conséquent"

C’est donc dans une certaine logique qu’il souhaite vendre la collection entière, "en une fois à un amateur d’art". Si cet objectif ne peut être atteint, il vendra alors à l’unité.

Pour lui, cela ne vaut pas la peine de faire appel à une maison de vente : "Ils n’accepteront pas ce genre de produits, c’est tellement spécifique". En outre, Olivier Brice n’a pas de référence en vente aux enchères. M. Dardenne le sait, il devra donc se débrouiller tout seul.

Actuellement, il rassemble les œuvres afin de monter une exposition dans le Namurois, voire à Bruxelles dans son magasin d’antiquité. "Je compte aussi faire la promotion via un site internet mais surtout via les journaux et magazines spécialisés, notamment en France".

Il mise également sur le bouche à oreille: "Il suffit de tomber sur la bonne personne, un collectionneur par exemple, qui possède un carnet d'adresse".

Le regard de l'expert en art

Expert en art contemporain à Bruxelles, Albert Baronian considère que vendre la collection d’Olivier Brice ne sera effectivement pas une mince affaire.

"C’est compliqué car Olivier Brice n’est pas un artiste reconnu sur le marché. Il a effectivement exposé dans le temps mais il s’est fait oublier", indique-t-il, tout en cherchant les œuvres du sculpteur sur la plateforme web Artnet. "Je viens de trouver des sculptures de l’artiste sur le site mais ce sont des petites ventes souvent, estimé à 600$ par exemple", nuance-t-il.

Il estime, lui, que l’antiquaire qui possède la collection devrait faire appel à des petites salles de vente mais aussi que trouver une galerie ou une salle d’exposition pourrait aider.

Selon lui, il faudrait plutôt viser la France que la Belgique. "Une bonne idée serait de choisir une petite salle d'exposition locale dans une région où l'artiste a vécu et éviter de présenter les oeuvres abîmés", conseille le spécialiste bruxellois.