Qu'y a-t-il
dans la tête de Christophe Coppens ?

Christophe Coppens a monté pour l'opéra de La Monnaie "Le château de Barbe Bleu" et "Le Mandarin Merveilleux", de Belà Bartók.

Mais avant d'être sur scène, qu'est-il arrivé aux deux oeuvres de Béla Bartók ingurgitées puis retranscrites par Christophe Coppens ?

Le metteur en scène belge a ouvert son cerveau devant nous, à l'époque où il montait le spectacle.

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

Printemps 2018, rue Léopold, Bruxelles. Le classicisme des façades qui entourent la bâtiment rénové de l'opéra de La Monnaie ne laisse rien transpirer de toute la profusion de fantasmagories qui naît derrière les hauts murs du numéro 23, depuis quelques semaines déjà.

Christophe Coppens, qui avait monté l'opéra "Foxie !", l'an dernier à La Monnaie, est de nouveau à la programmation avec une proposition artistique en deux temps.

Partant du fait qu'un Bartók c'est bien, mais deux, c'est mieux, Coppens s'est attaqué à l'opéra "Barbe Bleu" et au ballet-pantomime "Le Mandarin Merveilleux", deux oeuvres du compositeur hongrois Béla Bartók dont la réunion n'est pas une évidence – ce qui n'a pas fait peur à Christophe Coppens, toujours emballé par l'expérimentation.

Depuis dix ans qu'on connaît Christophe Coppens – et à l'époque, nous le suivions dans ses pérégrinations d'homme de mode –, il n'a pas vieilli. L'air de Los Angeles lui a donc réussi. Pas du tout racorni par le soleil californien, il semble toujours guidé par la même volonté de faire aux autres humains des propositions qui pourraient nourrir leur esprit.

Dans le cou d'une girafe

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

Ce matin de mars, il nous amuse par un état d'esprit double et, paradoxalement, pas antinomique. Excité et concentré.

Le metteur en scène, redingote Adidas et sac d'étudiant, va passer d'un étage à l'autre des ateliers de La Monnaie, pour checker l'avancée des costumes, des décors, des lumières et de la scène. On est le 30 mars, et l'opéra se donne dans 70 jours.

L'équipe rassemblée autour de Christophe Coppens n'a pas l'air stressée pour un sou, malgré le boulot à abattre dans ce genre de production riche en détails.

Il faut dire qu'on arrive à un moment délicieux où un cobaye sympathique, Etienne Andreys, responsable des décors, a accepté de se glisser dans le costume de la girafe. Il s'agite littéralement, dans le cou d'une girafe, pour tester la souplesse des mouvements du costume.
Verdict : pas simple d'être dans le cou d'un girafe, pas simple du tout !

Christophe Coppens est là, à observer la girafe tout droit sortie de sa tête. On lui demande qu'est-ce-que c'est que cette histoire... Il répond :

"Dans ma tête, quand on se cache quelques part, on peut bien sûr choisir de passer la petite porte d’une petite chambre, mais, selon moi, on peut aussi se cacher dans la nuque d’une girafe".
Christophe Coppens, metteur en scène de "Barbe Bleu" et "Le Mandarin Merveilleux"

Voilà, quand on vous avait dit qu'on entrerait dans la tête de Christophe Coppens...

Le metteur en scène a beau avoir une imagination délirante, il n'en reste pas moins l'homme d'une certaine rigueur qui cherche, loin du délire artistique, à rendre les deux oeuvres de Bartók les plus contemporaines possibles.

"Selon moi, "Barbe Bleu" est contemporain et non pas moderne. D'ailleurs les costumes ne sont pas des vêtements contemporains, inspirés plutôt d’une certaine fantaisie. On y lit des références médiévales, gothiques. Mais l’histoire principale est universelle. Ce que je montre n'est pas minimal bien sûr, mais teinté d'un certain style. Quant au "Mandarin", tel qu'il a été écrit originellement par Bartók, c’est une histoire qu’on ne peut plus raconter à notre époque. Lui parlait d'une pauvre fille et de trois maquereaux et un mandarin qui danse, c’est désuet.

"Quand on écoute la musique, par contre, il y a beaucoup de possibilités. C’est comme une toile blanche, et j’y ai ajouté des couches".
Christophe Coppens, metteur en scène

Un cerveau peint en couleurs

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

La toile blanche dont parle Christophe Coppens a déjà pris bien des couleurs en ce jour de mars. A commencer par ce rideau de scène, immense, qu'il a choisi de peindre comme la vitre brisée d'une fenêtre ou d'une caméra.

C'est à travers ce trou béant que va regarder le public de la Monnaie devenu témoin. Et voir aussi, un peu, l'intérieur de Christophe Coppens, tant il livre, dans chacune des parcelles de son spectacle, un partie de lui-même.

Coppens a une idée assez précise de ce qu'il désire montrer."Ici les couleurs doivent être trash, comme un gros pudding, intime-t-il à l'équipe des décors qui recouvre alors des modules géométriques qui apparaîtront dans le "Mandarin". "Cela, par exemple, c'est assez atroce", énonce-t-il devant la teinte issue d'un nuancier, et comme d'un seul homme, l'équipe des décors répond : "Oui, oui, c'est pour cela qu'on l'a choisie".

On saisit alors que les idée de Christophe Coppens, alias CC, ont commencé à germer dans l'équipe de la Monnaie. Tous les cerveaux sont contaminés.Au détour d'un étage, on aperçoit, l'immense scène de trois étages en cours de construction.

Christophe Gspann, assistant décors pour le Bureau d’études, prend le temps de nous expliquer comment fonctionne le mastodonte. "Le décor est assez compliqué : sur trois étages, il est monumental. Il est intégralement recouvert de miroirs, et les objets peints d'argent. Il fonctionne, en quelque sorte, comme un labyrinthe (...) Tout est dessiné, conçu ici. Par ailleurs, tout ce décor est prévu pour être démontable, et faire le tour du monde si besoin. C'est le propre des décors d'opéra".

A la question du stress, Christophe Gspann répond sobrement, les deux mains enfoncées dans les poches de sa veste sans manches : "Le projet est énorme et complexe. Alors on essaie d'anticiper un maximum".

Le bruit doux-dingue dans sa tête

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

Cécile Bourguet, responsable de la production technique pour cette oeuvre, écharpe jaune et air décidé, énonce une question pratico-pratique : la question des lifts. Car, à un moment,Judith, l'héroïne, doit surgir par un lift sous la scène. "Musicalement, a-t-on une idée du temps dont on dispose pour l'ascension ?.. "

La question est super technique, mais CC y a déjà pensé :
- "Je sais, oui, je vais te le dire. Et, en plus, c'est dans un moment où il y a énormément de bruits"...
- Ah oui, comme ça que tu parles de la musique, toi ?.. De bruit ?..". 

A l'atelier costumes, on est plus silencieux. Les vêtements des trois prostituées, tout à fait délirants, sont déjà bien avancés. On sent, à ce moment-là de la matinée, l'excitation presque enfantine de C.C., tournant autour des mannequins de bois. Un emballement lié à son métier passé d'homme de mode.

"C'est presque comme si mon passé resurgissait. Les vingt dernières années de ma vie ont été le carnet de croquis de ce que je fais maintenant".
Christophe Coppens, metteur en scène et ancien designer de mode

- "Etes-vous arrivé là où vous vouliez arriver ?", lui demande-t-on naïvement. 

- "Non pas vraiment. Et j'espère : jamais ! J'ai toujours le sentiment d'être un éternel débutant".

La phrase nous amuse, mais un débutant ne serait pas aussi assuré.

Un esprit brillant

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

© Olivier Papegnies/collectif HUMA

Aux ateliers décors, où tout, absolument tout, est devenu argenté et miroitant, David Bodson, fabricant d’accessoires décors, a une liste longue comme le bras de questions précises à poser à C.C.

A propos, notamment, du poignard (en argent ?) ; de "la jupe de jambes" (avec cellulite ?) ; ou des pies de vache (à sangles ? )...

Une conversation qui, sortie de son contexte, pourrait sembler un peu dingue. Ou bien est-ce Christophe Coppens qui est dingue ? Ou bien le monde de l'opéra ?

C'est la visite aux ateliers accessoires, en fin de parcours, qui nous donnera une partie de la réponse. Au moment où l'on en passe la porte, une question fuse :
- "Qu'est-ce qu'on plante déjà dans un coeur ?.. ".
- "Heu, normalement, rien..."
- "Enfin... Sauf à l'opéra".
On hésite, longuement, entre une dague ou un poignard, jusqu'à ce qu'intervienne, formel, Monsieur Jérôme, responsable de l'atelier chapeaux, masques et bijoux.

- "Si c'est une vierge, c'est une dague !"

Bon, d'accord, on ne discute pas. Ce sera une dague. En argent évidemment.
Comme l'intérieur du cerveau de Christophe Coppens.
Brillant.

A noter dans vos agendas

"Le Mandarin Merveilleux" et "Le château de Barbe Bleu" de Béla Bartók se jouent à la Monnaie jusqu'au 24 juin.

Infos et rés. : www.lamonnaie.be

On lira lacritique du spectacle dans La Libre de lundi 11 juin 2018.