Chapitre IV


Potagers sur toits


Sapientia et Virtus. Au cœur de la cité étudiante enrobée d’édifices futuristes, de monuments d’époques et de plantations luxuriantes -, l’Université de Hong Kong arbore fièrement sa devise. Sur les toits de la plus ancienne Université de la Région, s’épanouissent des figuiers, des aubergines, des fraisiers, des asperges, des papayes.

Sur les cours de tennis de l’ancienne colonie britannique, les étudiants ne tendent plus de raquettes mais des arc à flèches. Et s’impliquent dans le potager sur toit de l’Université pour « échanger », « se retrouver », « se ressourcer », indique Céleste Shai, responsable du programme.

« Il s’agit d’un projet sans but lucratif, poursuit l’animatrice. Les étudiants viennent sur base volontaire et peuvent repartir avec ce qu’ils veulent pour leur consommation personnelle. D’autres étudiants, en cuisine par exemple, peuvent également en profiter. Cette petite ferme fournit également le restaurant végétarien de l’Université. »

Photo: Moreau Auréli

Particulièrement long et difficile à mettre en place, ce projet a coûté « très cher ». A Hong Kong, les toitures n’ont pas été conçues pour supporter ce type d’activités. « Les bacs, l’eau, le compost, etc. ça pèse lourd », explique Céleste Shai.

Bruxelles rencontre les mêmes contraintes. « C’est plus facile dans des pays comme le Canada ou les Etats-Unis où les ingénieurs ont pris en considération le poids de la neige pour concevoir les bâtiments, renchérit Valérie De Munter. On ne peut donc pas se contenter de photos aériennes pour recenser la surface disponible. A Bruxelles, comme à Hong Kong, on doit à chaque fois étudier au cas par cas. Qui plus est, toutes les toitures ne sont pas accessibles facilement. Il faut donc adapter les cultures en fonction de l’espace, de l’accessibilité, etc. »

La forte densité de population au sein d’un seul et même bâtiment - ainsi que la particularité du modèle foncier hong-kongais occasionne également des problèmes de copropriété difficiles à gérer. Mais pas impossible à résoudre.

Photo: Moreau Auréli

1104 Km2 (la taille du Brabant Wallon). Sept millions d’habitants (contre 11 millions pour la Belgique). Troisième place financière au monde, après Londres et New York. Hong Kong abrite une concentration d’immeubles délirante. La multiplication des tours, des centres commerciaux, résidentiels, industriels ou institutionnels offrirait toutefois 594 hectares de toitures aux habitants.

« C’est plus ou moins la même chose qu’à Bruxelles », estime Alexandre Lefebvre, assistant de recherche en agriculture urbaine à l’Université de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg).

D’après les recherches récentes, menées par le département d’architecture paysagère de l’Université de Hong Kong, 1400 habitants seraient impliqués dans la gestion d’une ferme sur toit. Occasionnels ou réguliers, amateurs ou connaisseurs, ils se sont réunis « spontanément », assure responsable du département, Matthew Pryor. « Il ne s’agissait pas d’une volonté du Gouvernement mais plutôt d’un mouvement social. L’année dernière, un bâtiment qui abritait un projet de jardin s’est effondré. Depuis, le gouvernement a décidé de réglementer tout ça.»

Selon les études réalisées par Matthew Pryor, les toits de Hong Kong accueilleraient soixante fermes urbaines. « La motivation des habitants se limite encore au plaisir d’apprendre, de se retrouver et de se réapproprier des espaces publics et communautaires. C'est pourquoi ces chiffres restent probablement en dessous de la réalité. Il existe sûrement beaucoup d'autres potagers privés dont nous n'avons pas connaissance. »



Le potager sur toit de l’Université de Honk Kong



Photo: Alexandre Lefebvre

A Bruxelles, en revanche, il ne s’agit plus seulement de développer « des aires de détente », reprend Alexandre Lefebvre. Depuis deux ans, par exemple, l’Université de Gembloux Agro-Bio Tech (ULg) a installé 150 bacs potagers à Bruxelles. « Ils ont été spécialement conçus pour répondre aux contraintes que rencontrent les agriculteurs urbains belges. Ils ont aussi été dimensionnés pour s’adapter au climat belge. C’est-à-dire qu’ils disposent d’un bassin d’orage qui leur permettent de puiser l’eau nécessaire sans la stocker dans la terre, ce qui augmenterait considérablement son poids. Ces bassins d’orage peuvent également contribuer à diminuer le problème des inondations à Bruxelles. »

Objectif ? Développer un véritable outil de production. « Pour l’instant, on teste les bacs. On voit comment on peut institutionnaliser le projet. On se rend compte par exemple que certaines cultures ne sont pas possibles ou seulement dans certaines conditions. Ça va par exemple nous permettre de développer un vrai plan de développement pour répondre aux besoins en alimentation de Bruxelles. »

Les bacs ne peuvent pas combler nos besoins en pommes de terre, en betteraves ou en maïs. Mais ils peuvent contribuer à produire davantage de laitues, de tomates, de fraises, de concombres, de courgettes, de radis. « Au terme de ce projet de recherche, n’importe qui possédant une terrasse à Bruxelles pourra produire pour ses habitants, poursuit Alexandre Lefebvre. On vise évidemment les hôtels, les grands restaurants, les bureaux d’architectes, etc. Mais le projet n’est pas excluant. »