La boxe

Gros plan sur un phénomène de gentrification sportive

La boxe est à la mode. La Belgique a ses grands champions couronnés, Delfines Persoon et Ryad Merhy. Et de plus en plus de sportifs amateurs adoptent ses gants et son esthétique. Gros plan sur un phénomène de gentrification sportive.

La boxe en Belgique a longtemps été un sport d’ouvriers et employés. « Les clubs d’escrime se trouvaient à Uccle, les clubs de boxe à Charleroi, Liège ou La Louvière », explique le sociologue en management des Organisations sportives, Thierry Zintz. Ce n’est plus le cas pour tous les nouveaux adhérents. Certains gagnent bien ou très bien leur vie, ont des postes à lourdes responsabilités, ont entre 25 et 45 ans. « Il fut un temps où le judo était le top des sports de défense, analyse M. Zintz, puis on est passé au taekwondo, au krav-maga, au MMA. On peut parler d'un nouvel effet de mode pour la boxe. »

Cet effet de mode surfe sur la vague de médiatisation de la boxe. Les marques adorent son image. Chanel joue le contraste, un homme aux poings puissants, à la peau parfumée. Audi se veut la voiture de ceux qui la méritent, comme cette intense boxeuse, prête à en découdre. Les réseaux sociaux déversent des centaines de selfies de peoples et « influenceurs » addicts au « Noble Art ».

Des Anges de Victoria’s secrets aux sœurs Kardashian, jusqu’à Michelle Obama, toutes prennent la pose, gants aux poings.

« Entre 10 et 15% » de

nouveaux inscrits en 2017

« Depuis 5 ans, la boxe retrouve des pratiquants, explique Nicolas Vandenbalck, médecin du sport et membre de la Commission médicale de la boxe de la Communauté française, et ça continue d'augmenter ». C’est ce que montre le nombre d’affiliations enregistrées auprès des associations reconnues par les autorités de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Adeps). Entre 2013 et 2016, les effectifs ont grimpé de 12,4%, hommes et femmes confondus. Pour l’année 2017, Marco Guiliani, président de la Ligue Francophone de boxe, attend « entre 10 et 15% » de nouveaux inscrits. Il y a deux ans encore, ce phénomène touchait essentiellement les hommes. Les femmes depuis rattrapent leur retard. En 2016, elles étaient 4,1% de plus à pratiquer ce sport.

Ce retard s’expliquerait pour le Dr. Vandendael par la peur d’un sport considéré comme violent. Il estime que « les hommes sont plus tournés vers la compétition que les femmes ».

Le Champion belge Ryad Merhy contre Ben Nsafoah, le 6 décembre 2014.©JC Guillaume

Le Champion belge Ryad Merhy contre Ben Nsafoah, le 6 décembre 2014.
©JC Guillaume

Stéphane Maréchal, responsable du marketing et de la communication chez Marvelous Marvin Boxing (Uccle), fait le même constat. « Les femmes n'aiment pas monter sur le ring, elles veulent s'entraîner. Les hommes n'ont pas autant ce souci. L'idée de faire mal autant que d'avoir mal peut être difficile à dépasser. »

La Belge Delfine Persoon, célébrant sa victoire 
contre la Française Myriam Dellal, 
 lors du championnat mondial WBC le 11 Novembre 2017.
Elle remporte la ceinture de championne du monde des poids légers pour la sixième fois.

La Belge Delfine Persoon, célébrant sa victoire
contre la Française Myriam Dellal,
lors du championnat mondial WBC le 11 Novembre 2017.
Elle remporte la ceinture de championne du monde des poids légers pour la sixième fois.

Pourtant, à l’inverse de ce que l’on imagine, les blessures sont rares, en boxe récréative. « En course à pied par exemple, on peut souffrir de mal de dos, de problèmes d'articulation aux chevilles, aux genoux, etc. La boxe entraîne tous les muscles, elle les renforce, ce qui protège les articulations. »

Culte du fit, recherche du sens

Ces nouveaux adhérents ne sont pas de nouveaux sportifs. « Ils s'orientent vers la boxe plutôt qu'aller soulever de la fonte ou aller courir, selon le docteur Nicolas Vandenbalck, parce qu’elle présente de nombreux avantages. C'est un sport très complet, qui fait travailler l'endurance, la résistance, la force physique et la technique ».

Et ne parlez pas de self-défense à ses pratiquant.e.s.
Le propriétaire de la salle Marvelous Marvin Boxing, Axel Kuborn, est un mordu de boxe. « La boxe, c’est une démarche de recherche de sens, de recherche de valeurs, de recherche de soi. C'est un peu le contraire du fitness, qui n'a pas vraiment de but, pas de culture, pas de valeur, pas d’icône. Énormément de grands hommes ont pratiqué ce sport. Tout le monde connaît Belmondo, Mike Tyson ou Mohammed Ali. »

Un pied à la salle,
un poing dans le gant

Ces nouveaux pratiquants, plus aisés, sont un marché à conquérir. De nouvelles salles ouvrent leurs portes, et rompent avec les stéréotypes. Parce qu’à 30 euros la séance collective, la boxe récréative est devenue un business lucratif.

Bienvenu à MCboxing.

Les clubs en demi-sous-sol mal éclairés, mal ventilés, mal fréquentés, très peu pour Maïté. Cette chirurgienne esthétique est tombée dans la boxe il y a douze ans, au point d’ouvrir son propre club dans le même bâtiment que son cabinet.
« L’intérêt de la boxe, c’est d’aller toucher ses propres limites, pouvoir les dépasser, sans laisser le partenaire/adversaire les transgresser. (…) C’est comme la vraie vie, on ne peut pas tourner le dos au problème. »

Toutefois la vraie vie n’a pas l’odeur délicate des huiles essentielles. Le parfum masque l’odeur âcre de la transpiration des boxeurs. Au plus fort de l’entraînement, seuls le souffle bruyant des combattants et les gouttelettes salées longeant l’arrête de leur nez trahiront l’intensité de la session.

À l'échauffement

La séance commence quand le coach accueille la quinzaine de participants. Le coach, c’est le champion bruxellois Ryad Merhy.

Ryad Merhy

Ryad Merhy

Un argument musclé pour la propriétaire de la salle. Situé à Uccle, derrière les réputées Brasseries Georges, le club rutile. Un grand ring noir et argenté occupe le centre de la pièce. Un plafond de néons géométriques l’éclaire, comme une scène. D’autres néons repeignent en bleu les murs immaculés et le sol en béton. Ambiance design, pour Maïté Czupper : « On veut ouvrir la pratique, que les gens n’aient pas peur de rentrer ».

Ryad claque des mains, « Tout le monde prend une corde à sauter. Cinq minutes ! » La musique ne suffit plus à couvrir leurs cliquetis quand elles frappent le sol, le fouettement de l’air à chaque rotation. Certains tiennent, sans trébucher, d’autres s’y emmêlent les pieds. Sur dix hommes et trois femmes, tous ont un niveau différent. Vadim est étudiant en commerce international, il est là pour la découverte, accompagné de son ami Adrien, qui en fait depuis 3 mois. « C’est intense. Et vraiment pas facile de coordonner ses gestes… »

« Il n’y a pas de boxeurs professionnels ici, explique Ryad, les cours sont mixtes, ils progressent à leur rythme. »
« On échauffe le haut du corps ! » Les élèves troquent en vitesse la corde pour des haltères.

Regards fixes, respirations haletantes, les bras boxent dans le vide, gauche, droite, gauche, droite, des petits poids d’un ou deux kilos glissés entre les phalanges qui blanchissent sous l’effort. « Quand les bras chauffent, on pose les poids ! On continue ! »
Personne n’ose, pas même les débutants. Clare fait une tête de moins que les autres, voire deux. Cette quadragénaire est svelte et musclée. Elle rebondit sur la plate-forme plastique du ring, elle ne lâche rien. Quand les bras deviennent lourds, que les corps s’appesantissent, que la cadence ralentit, Ryad les rappelle à l’ordre.

Voix rauque, bourrue. « 20 secondes ! »

« Droite, gauche, gauche, esquive »

Le vrai travail commence. Mickaël, un grand roux fin et tonique, laisse tomber au sol des mètres de bandages qu’il enroule autour de ses mains.

Par-dessus, sa paire de gants.

Ce réalisateur d’une quarantaine d’années fait de la boxe depuis un an. Avant, il pratiquait le MMA. « La boxe m’intéresse depuis l’adolescence (…) J’ai découvert la salle par des amis, on y retrouve le côté ‘noblard’, gentleman de la boxe je trouve. »

La voix du coach résonne : « Mettez-vous par deux, c’est parti ! »
En quelques secondes, les couples commencent à jouer des poings.

Chacun leur tour, les boxeurs cognent les gants de l’autre. Les basses de Nirvana s’effacent derrière les impacts sourds. Trois minutes, et on alterne : « gainage, abdo ou chaise ! ».

Chacun s’installe, 30 secondes et c’est reparti. Cette fois les consignes de Ryad sont plus précises. « Gauche, droite, esquive, esquive, gauche, droite, c’est parti ! »

Un, deux… cinq, six séries, et il annonce :

« Ok, maintenant c’est vous l’chef ! Le prochain, c’est free-style, tout ce qu’on a fait aujourd’hui, vous le faîte avec votre adversaire ! » Ce sont les dernières 3 minutes. Chaussées de Nike ou d’Addidas, les jambes jouent entres elles, se tournent autour, s’éloignent, se rapprochent jusqu’au contact.

Sur les premières notes de « Gonna fly now » de Bill Conti, le thème musical du film « Rocky », tout le monde se mobilise pour faire glisser les sacs de boxe le long des rails, sans un grincement.

Les poings s’abattent sur les 60kg des sacs qui encaissent, immobiles. L’air est lourd et personne n’y prend garde. A quoi pensent-ils quand ils frappent ? « Je me laisse diriger, lâche Clare. Je ne me pose plus de question. Je travaille pour les institutions européennes, je prends beaucoup de décisions. La boxe, c’est une forme de méditation. »

Le long des rails huilés, les sacs retournent dans leur coin. Le silence est revenu.

Ambiance tamisée et musique classique

La propriétaire de la salle arrive. Maïté Czupper éteint la lumière, lance un air classique et délicat de piano sur l’enceinte connectée. Estelle, architecte venue se défouler, se déstresser, étire ses ischio-jambiers, orteils fléchis.

A la dernière note de piano, Ryad applaudit. « Bon cours les gars ». Quelques « merci coach » des élèves épuisés et, une jambe après l’autre, ils entament la volée de marches qui mènent vers la sortie.

Texte : Julie Garrigue
Photos : Christophe Bortels