Comment la blockchain, la technologie derrière le bitcoin, peut transformer l'industrie musicale

Impossible d’échapper à la vague vertigineuse des crypto-monnaies. Les bitcoins et leurs concurrents sont partout. Mais il ne s’agit en réalité que de la partie émergée de l’iceberg. Car ce que l’on sait moins, c’est que la monnaie virtuelle est rendue possible par une technologie que certains qualifient volontiers de révolutionnaire : la blockchain. Et si les crypto-monnaies sont indéniablement son visage le plus médiatisé à ce jour, elle ne se limite pas à la finance. Loin de là. Un secteur qui a eu du mal à gérer sa transition digitale semble d’ailleurs déterminé à ne pas rater le coche : l’industrie musicale.

Dans le cadre du rendez-vous dominical "C’est pour demain !", LaLibre.be vous invite à découvrir pourquoi la blockchain peut tout changer pour le marché de la musique, que ce soit pour les artistes, les plateformes de streaming ou les mélomanes.

Réseau, transparence et décentralisation : les trois piliers de la blockchain

"La blockchain fonctionne comme un registre géant, une base de données partagée. Les utilisateurs, mis en réseau, ont tous accès à cette base de données et ont la capacité de la modifier", nous explique Kevin de Patoul, conférencier et formateur sur la technologie blockchain. "La grande innovation, c’est qu’il n’y a aucune autorité au centre, comme une banque, pour vérifier ses lectures et ses modifications. On parle donc de décentralisation." En d’autres termes, la blockchain est un pacte de confiance entre particuliers. Elle se passe ainsi d’un troisième homme qui jouerait le rôle de gendarme. Autre intérêt ? La transparence des données.

Rappelons que la technologie a été mise au point par les cypherpunks dans les années 1990. Ces petits génies des mathématiques prônaient alors une liberté totale – et un brin anarchique – sur internet. Mise en réseau, transparence et décentralisation : ces trois piliers qui définissent la blockchain trouvent trois applications très concrètes dans l’industrie de la musique. Explications.

Une nouvelle relation entre les artistes et leurs fans

La blockchain a vocation à changer la manière dont ceux qui consomment la musique et ceux qui la produisent interagissent. Et qui de mieux placée que Björk pour incarner un tel changement ? Éternelle avant-gardiste, la chanteuse islandaise a été l’une des premières à accepter les crypto-monnaies pour son dernier album, Utopia, sorti en novembre 2017. Jamais un artiste de cette envergure n’avait sauté le pas. Une première qui peut permettre à la blockchain de recevoir l’attention qu’elle mérite. Et à de nombreux curieux de se jeter dans le bain. Il ne faut pas sous-estimer la démarche.

Cette offre pourrait bien rendre la technologie – et l’intégration des bitcoins comme moyen de paiement – mainstream. À l’achat d’Utopia, les fans ont également reçu 100 AudioCoin à dépenser sur de la musique. Le butin virtuel peut être augmenté en interagissant avec le contenu online de l’artiste, en partageant des liens sur les réseaux sociaux ou même en assistant à des concerts. Cette crypto-monnaie taillée pour la musique – elle valait 0,0026 dollars à la sortie de l’album et a rapidement triplé de valeur – permet de "gratifier instantanément les artistes et leur public", explique BlockPool, la start-up britannique qui en est à l’origine.

Le but ? Outrepasser les géants du streaming comme Tidal, Apple Music ou Spotify, et privilégier la rémunération des artistes tout en récompensant les fans en créant un cercle vertueux. Une démarche qui n’a rien d’anodine.

Vers plus de transparence et une meilleure rémunération des artistes

Si les plateformes de streaming sont entrées dans les moeurs et affichent une très bonne croissance, un tremblement de terre pourrait bien profiter à la blockchain. Au début de l’année 2018, Spotify, le leader suédois de la musique en ligne, a appris qu’il était poursuivi par Wixen Music Publishing. La maison d’édition, qui s’occupe des droits de Neil Young, des Doors ou encore de Tom Petty, lui réclame 1,6 milliard de dollars de dommages et intérêts (soit la moitié de son chiffre d’affaires sur l’année 2016). La raison ? Spotify aurait utilisé des milliers de titres sans accord et aurait même sous-traité le recouvrement des royalties auprès d’une société non habilitée à le faire.

Un problème de transparence auquel la blockchain et ses apôtres comptent bien remédier. Parmi ceux-là, on trouve l’entreprise dotBlockchain qui veut utiliser la technologie pour mettre au point un nouveau format audio, le ".bc". Cette alternative au ".mp3" ou au ".wav" regrouperait toutes les informations d’une chanson : auteurs, compositeurs, conditions d’utilisations… Un moyen de mettre fin aux zones grises et de s’assurer, une bonne fois pour toutes, que les artistes sont payés pour la diffusion de leurs œuvres. De son côté la Sacem, la société française de gestion des droits d'auteur, a déjà enregistré les identifiants associés à des millions de morceaux via la blockchain.

La position des différents acteurs du marché

L’industrie musicale peut-elle pleinement embrasser la révolution nommée blockchain ? Les différents acteurs n’y voient pas tous le même intérêt. "Le secteur de la musique est assez opaque, avec beaucoup de secrets des affaires. Il n’est pas évident que les majors aient envie d’avoir des politiques de transparence en utilisant la blockchain. Ce serait l’intérêt des artistes et des sociétés d’auteurs d’aller vers la blockchain, mais les majors vont être plus hésitantes", estime Jérôme Pons qui travaille sur les transformations de la musique liées à cette technologie via sa société Music won’t stop.

Les labels indépendants, eux, voient d’un bon œil cette décentralisation du marché. Est-ce assez pour franchir le pas ? "L’industrie a tout intérêt à utiliser la blockchain pour fluidifier les échanges de données, assurer un partage de la valeur transparent, ou supprimer tout intermédiaire. C’est faisable techniquement, mais il manque une volonté politique", ajoute-t-il.

Grâce aux différents atouts de la blockchain, tout semble être en place pour un nouveau changement majeur dans l’industrie de la musique.