P.T. Barnum: inventeur du cirque moderne et homme aux mille visages

Phineas Taylor Barnum est considéré comme l’inventeur du cirque moderne et comme l'un des précurseurs de la publicité contemporaine. Son parcours hors du commun a d’ailleurs été adapté au cinéma en 2017 dans la comédie musicale The Greatest Showman. Un film à succès qui a pourtant pris de nombreuses libertés en enjolivant sans vergogne la réalité. En effet, plus qu’un personnage de film hollywoodien, P.T. Barnum peut être considéré comme l’un des plus grands businessmen de l’Histoire mais aussi l’un des plus controversés. Vendeur, politicien, roi incontesté du cirque, écrivain, P.T. Barnum est le héros d’une histoire aux mille visages. Ruiné de nombreuses fois, décrié ou adulé, Barnum intrigue et fascine.

Dans le cadre du rendez-vous dominical « il était une fois », la rédaction de LaLibre.be vous invite à découvrir l’épopée hors du commun du plus grand showman de l’histoire !

Né en 1810 dans le Connecticut, P.T Barnum grandit dans une famille protestante modeste. Il doit son nom à son grand-père tout autant qu’il lui doit cette facilité avec laquelle il se jouera des autres tout au long de sa vie. En effet, son aïeul espiègle de nature ne cessera de le moquer gentiment pendant toute sa jeunesse. L’exemple le plus emblématique a lieu durant le baptême du jeune Phineas qui reçoit de son grand-père la promesse d’un titre de propriété. Il lui fait ainsi cadeau d’une île entière : l’île Ivy.

Pendant les dix premières années de sa vie, le jeune Barnum ne cessera d’admirer la générosité de ce cadeau qu’il n’a pas encore pu visiter. Alors que le futur showman rentre dans sa première décennie, son grand-père l’amène enfin voir cette île mystérieuse. Mettant fin à un comique de répétition long de plusieurs années, le jeune enfant découvre l’étendue de l’humour de son aîné qui lui a en réalité offert un lopin de terre entouré de marécages et qui n’a de joli que son nom.

Une blague à ses dépens qui définit sans doute partiellement le penchant pour le mensonge et l’affabulation qu’il présentera tout au long de sa vie.

Les 500 bouteilles de Barnum

« Tu as acheté quoi !? » a dû s’écrier le gérant du magasin dans lequel travaillait le jeune Barnum fin des années 1820. Et bien peu auraient pu condamner cette colère que ressentit le tenancier de l'enseigne face à son jeune apprenti. En effet, un vendeur retord et bien rodé, profitant de l’absence du patron de l’établissement, réussi à vendre à l’adolescent plus de 500 bouteilles vides complètement inutilisables. Sous la menace du licenciement, et étant la seule source de revenu fixe de la famille Barnum depuis la mort de son père en 1826, l’instinct du businessman qui se révélera être en lui s’éveille et amène une solution. Il organise alors une loterie dont seul le premier prix est véritablement intéressant, tous les autres n'étant que bouteilles vides.

La loterie est un succès et l’avenir sourit au jeune P.T. Barnum du haut de ses quinze ans.

La décennie qui suit transforme doucement ce jeune plein d’ambition en père de famille aux multiples carrières. En parallèle de ses activités de loterie qu’il continue, il lance notamment un journal qui lui vaudra 60 jours d’emprisonnement pour avoir dénoncé dans ses pages l’influence notoire de l’église dans les affaires de l’État. Une retraite forcée, effectuée dans des conditions de conforts peu communes, qui lui vaut une notoriété encore plus grande et une place d’« homme du peuple opprimé par le système » ainsi qu'une forte considération populaire qui lui sert d’ailleurs de tremplin pour se lancer en politique.

L'American Museum

L’année 1834 n’est pas de tout repos pour P.T. Barnum. Alors que l'État du Connecticut interdit toute forme de loterie, son magasin tout comme son journal font faillite. N’ayant plus rien à perdre, P.T. Barnum, sa femme et sa fille partent pour New York des rêves de richesse et de succès plein les valises.

Il faut peu de temps au jeune businessman pour y trouver une nouvelle aventure dans laquelle se lancer, et celle-ci a un nom : Joice Heth. Première des ultérieurement célèbres «curiosités » de Barnum, cette esclave noire, aveugle et handicapée est présentée au public comme ayant 161 printemps, et comme ayant été l’infirmière du célébrissime Georges Washington. Une première expérience de tromperie du public qui fonctionne et qui l'enrichit au-delà de toute espérance. Comble de cruauté, à sa mort, une autopsie a lieu, effectuée face à un public ayant payé pour assister au spectacle macabre. Après avoir produit deux ou trois autres personnages «atypiques », Barnum se lance dans le plus grand pari de sa vie : l’achat de l’American Museum à Manhattan.

Afin d'assurer le prêt à la banque nécessaire à l'achat, Barnum ruse et place en garantie l’acte de propriété de son "île". La notoriété du businessman n’étant plus à faire, la banque ne se rend pas sur place et autorise aveuglement le prêt, il a alors 31 ans et enfile une nouvelle casquette, celle de propriétaire de musée. Son musée, loin de la représentation moderne d’un tel établissement, s’apparente bien plus à un cirque, peuplé d’animaux, de fausses reliques, mais aussi d’êtres humains difformes ou atypiques. Le plus célèbre d’entre eux fut le général Tom Pouce.

Le général Tom Pouce

En novembre 1842, Barnum rencontre Charles Stratton, un jeune garçon d’à peine quatre ans atteint de nanisme. Il en fera l'une des plus grandes stars de l’histoire du cirque et le rebaptise "général Tom Pouce". Ils parcourent ensemble les États-Unis et le monde, le jeune garçon sera notamment amené à se produire devant la reine Victoria. Le succès est au rendez-vous.

Alors que les années 1840 se terminent, Tom Pouce est désormais assez grand et peut se débrouiller par lui-même sans l’intervention de Barnum. L’insatiable showman s’en va donc chercher un nouveau « talent » à exploiter, mais cette fois il veut faire amende honorable et se tourner vers une forme plus noble de divertissement.

Jenny Lind

Partie certes moins controversée de sa longue carrière, Barnum se lance dans la production de la tournée américaine de Jenny Lind, chanteuse d’opéra encensée par la critique en Europe, mais dont bien peu de monde a entendu parler aux USA. Alors que P. T. Barnum ne l’a jamais entendu chanter et ne se fiant qu’à la réputation de la chanteuse, il investit tout ce qu’il possède dans une grande tournée de 150 dates à travers les États-Unis.

Fort de nombreuses années d’expérience, il dépense sans compter pour promouvoir son spectacle. Énormes panneaux promotionnels, concours de poèmes permettant au gagnant de voir son texte être chanté par la chanteuse, mais aussi commercialisation de nombreux objets floqués à son effigie.

Les 150 spectacles afficheront complet, c’est un succès incroyable.

En 1851, c’est une tout autre aventure, immobilière cette fois-ci, qui lui fait perdre l’entièreté de sa fortune et son musée, qu’il parvient tout de même à racheter en 1859.

Huit années plus tard, Barnum lance une version itinérante de son entreprise, lançant son premier cirque, dans le sens contemporain du terme. Il parcourt les États-Unis et finalement rentre à New York à la fin de l’automne afin que ses animaux exotiques (très nombreux à l’époque) puissent passer l’hiver à l’intérieur du Musée.

Alors que le mois de mars 1868 est particulièrement froid, un incendie se déclenche au sein du musée dans la nuit du 2 mars. Les pompiers sont impuissants et ne peuvent que contempler les ruines du théâtre sur lesquels les trombes d’eau déversées ont désormais formé des stalactites dans un mélange de cendres et de glace. Tous les animaux du cirque périssent dans l’incendie.

Trois anneaux pour les gouverner tous

Dévasté, Barnum se retire de la vie publique pour écrire ses mémoires. Mais son deuil est de courte durée, dès 1871, il se lance à nouveau dans l’industrie du cirque qu'il métamorphose complètement, cassant même les codes du cirque européen classique afin de maximiser ses profits.

L’évolution la plus notable se situe ainsi dans l’augmentation drastique de la taille du public grâce à l’arrivée de deux pistes circulaires supplémentaires, faisant des chapiteaux du cirque des entités gigantesques pouvant accueillir plus de 10  000 personnes.

Il vivra sa passion du cirque et du spectacle jusqu’en 1885, il a alors 75 ans.

P.T. Barnum...

...héritage sombre du businessman prodigue

Par ailleurs, l'héritage de ce businessman de génie est entaché de nombreuses polémiques. Que ce soit l'exploitation d'enfants ou de personnes portant un handicap. C'est aussi dans la capture intensive des animaux exotiques présentés au public que le bât blesse. De plus, bien qu'opposé à l'esclavage, les "black face" étaient légions dans ses spectacles.

Alors que les éléphants étaient clefs dans les spectacles de Barnum, ils ont de nos jours été retirés de la programmation du cirque jusqu'alors toujours en activité. Ce fut une grande victoire pour les associations qui luttent pour la défense des animaux. Mais face au désintérêt grandissant de la population actuelle pour cette forme de divertissement, le Cirque Barnum a dû arrêter ses représentations en 2017, après 147 années d'existence.