Dans les coulisses de la légendaire prison d'Alcatraz

« Enfreignez les règles et vous irez en prison. Enfreignez les règles de la prison et vous irez à Alcatraz. »

Alcatraz,un nom qui fait frémir encore aujourd'hui. Dans l'imaginaire collectif, cette prison fédérale est vue comme le seul endroit sur Terre capable de mater les criminels les plus dangereux et les plus violents. Un endroit sous haute sécurité d'où il était impossible de s'échapper. Un lieu tellement invivable que les prisonniers attendaient impatiemment la mort qui les libérerait enfin de cet enfer. Entre idées reçues et réalité, voici la véritable histoire d'Alcatraz.

« Vous avez le droit d'être logés, nourris, blanchis, et soignés si nécessaire. Rien d'autre ne vous est dû. »

Article 5 du règlement d'ordre intérieur de la prison.

"C'était l'enfer", résume Darwin Coon, un ancien prisonnier qui a passé 4 ans dans le pénitencier. Comme les autres détenus, il a purgé sa peine dans une cellule de 1,5m de large, 3m de long et 2m de haut dans laquelle s’entassaient une table, une chaise, un lavabo et des toilettes. Un trou de souris qu'il était interdit de décorer. Le soir venu, après l'extinction des feux, il régnait un silence de mort dans les couloirs. Les prisonniers des quelque 300 cellules réparties sur plusieurs niveaux tentaient tant bien que mal de trouver le sommeil dans cette atmosphère pesante.

Certains prisonniers pouvaient apercevoir la baie de San Francisco depuis leur cellule. Une torture. "Ma cellule avait vue sur Berkeley mais je n'ai regardé que deux fois à travers la fenêtre. Une nuit, j'ai regardé dehors, je pouvais voir les phares des voitures, j'ai pensé aux gens qui étaient en train de conduire, je me suis demandé s'ils savaient que j'étais là. C'était le sentiment le plus triste du monde, l’impression que je n'existais pas", raconte Leon Thompson, arrivé à Alcatraz pour avoir menacé de tuer deux gardes de la prison de McNeil.

La baie de San Francisco vue depuis Alcatraz.

La baie de San Francisco vue depuis Alcatraz.

Un endroit supportable...

Malgré cela, certains détenus étaient plutôt contents de leur sort. "Ce que je savais avant d'arriver, c'est que, contrairement aux autres prisons, on avait notre propre cellule, que la nourriture était bonne et qu'on pouvait avoir des privilèges si on se conduisait bien. Je savais aussi qu'il y avait une bibliothèque et que nous devions travailler un jour par semaine. Que vouliez-vous d'autre ?", se demande Robert Luke, un ancien prisonnier arrivé à Alcatraz après avoir tenté de s'échapper du pénitencier de Leavenworth.

Une cellule décorée par des détenus s'étant bien comportés.

Une cellule décorée par des détenus s'étant bien comportés.

En effet, Alcatraz avait à coeur de récompenser les prisonniers qui se conduisaient bien en leur permettant d'aller faire un tour dans la cour, de jouer au base-ball et de recevoir de la visite. Ils avaient également le droit d’emprunter des livres - dont les pages qui contenaient des scènes de sexe et d'évasion avaient été arrachées - ou encore de suivre des cours par correspondance. De plus, la nourriture était l'une des meilleures du système pénitentiaire américain. Les prisonniers et les gardes mangeaient d'ailleurs exactement la même chose. Les repas se passaient dans le réfectoire, l'endroit le plus dangereux de la prison étant donné que les détenus étaient armés de couverts en métal qu'il s'agissait de récupérer par la suite. Malgré toutes les précautions, à plusieurs reprises, les choses ont mal tourné et des meurtres ont eu lieu dans l'enceinte d'Alcatraz.

Un coffret à couteaux destiné à faciliter l'inventaire des ustensiles.

Un coffret à couteaux destiné à faciliter l'inventaire des ustensiles.

...uniquement pour ceux qui se comportaient correctement

Si les détenus pouvaient être récompensés de leur bonne conduite, le règlement d'Alcatraz savait également punir les plus récalcitrants.Les détenus ingérables étaient placés en isolement ou envoyés au"trou", une cellule plongée dans le noir complet 24h sur 24. Ce traitement durait 19 jours maximum, souvent moins longtemps.

Vue sur l'extérieur depuis "le trou" plongé dans le noir.

Vue sur l'extérieur depuis "le trou" plongé dans le noir.

Jim Quillen fait partie des détenus à avoir expérimenté le trou. "Un jour ressemblait à une éternité. Pour m'occuper, j'arrachais un bouton de mon uniforme et je le lançais en l'air, je me mettais alors à quatre pattes et je le cherchais. Dès que je le trouvais, je recommençais jusqu'à ce que je sois épuisé ou que mes genoux soient trop douloureux pour continuer. Si ma journée n'avait pas été rythmée par les repas que je recevais, j'aurais très bien pu confondre le jour et la nuit".

Le mystère des évadés d'Alcatraz: que sont-ils devenus ?

Bien qu'Alcatraz soit une ancienne forteresse ultra sécurisée,entourée par de l'eau très froide sur 2,4 kilomètres à la ronde et regroupant une densité de gardes impressionnante (3 gardiens pour 1 prisonnier), des détenus ont à plusieurs reprises essayé de se faire la malle.

La plus violente tentative d'évasion est connue sous le nom de"bataille d'Alcatraz". Six détenus ont réussi à quitter leur cellule, à prendre des gardiens en otage et à s'emparer des clés de la prison. Malheureusement pour eux, ils n'ont jamais pu sortir. De rage, certains ont tué deux matons. Pour ramener l'ordre, l'armée a été appelée à l'aide. Conséquence de cette évasion ratée : deux des leaders ont été condamnés à mort.

Des impacts de bombes lancées par l'armée sont encore visibles sur le sol.

Des impacts de bombes lancées par l'armée sont encore visibles sur le sol.

Mais la tentative d'évasion dont tout le monde parle encore aujourd'hui est celle menée par Frank Morris. Une fuite tellement spectaculaire qu’elle a été adaptée au cinéma dans L’évadé d’Alcatraz. Dans ce film, Frank Morris est interprété par Clint Eastwood. Décrit comme un cerveau de génie, ce prisonnier est un habitué des évasions. Alcatraz est donc son défi ultime, la seule prison capable de rivaliser avec sa grande intelligence. Durant des mois,aidé par différents prisonniers et surtout par les frères Anglin avec qui il va parvenir à s’enfuir, il met en place un plan élaboré. Notons qu'un quatrième complice aurait dû faire partie de l’aventure mais le moment venu il s’est rendu compte que la bouche d’aération était légèrement trop petite pour qu’il y passe.

Par où sortir de la cellule ? Frank Morris n’a pas 36.000 possibilités : soit réussir à trouver la clé qui lui permettra d’ouvrir la porte de sa cellule, soit passer par la minuscule bouche de ventilation. C’est la deuxième option qu’il choisit. A l’aide de cuillers et d’une perceuse faite de bric et de broc, le trio agrandit l’ouverture dans leurs cellules respectives. Pour masquer aux matons l’étendue des travaux, ils créent une grille en trompe-l’œil grâce à des bouts de carton. Ils se débarrassent des pans de murs arrachés lors de leurs promenades quotidiennes.

Comment éviter les gardiens ? Une fois le trou assez grand pour qu’ils puissent se faufiler, reste encore à éviter d’alerter les gardiens de leur absence. Ils construisent alors de leurs propres mains des têtes de mannequins à l’aide de papier toilette et de savon, de cheveux récupérés auprès des prisonniers-coiffeurs et de peinture. Des visages rudimentaires mais suffisants pour tromper les gardes qui ont eu la peur de leur vie, le lendemain matin, en découvrant que les têtes roulaient sur le sol et que le trio avait disparu.

Les têtes de mannequin créées par l'équipe.

Les têtes de mannequin créées par l'équipe.

Par où sortir de la prison ? Les trois prisonniers sont passés par un couloir rempli de tuyaux adossé à leur cellule, et donc à la grille d’aération creusée. De là, ils avaient accès au toit via un ventilateur mal accroché et à l'extérieur de la prison.

Comment traverser l’eau ? Tous les détenus étaient obligés de prendre des douches bien chaudes afin d’éviter qu’ils ne s’habituent à l’eau froide et puissent supporter la traversée des eaux glacées. Morris n’avait donc d’autre choix que d’emprunter une embarcation. Mais comment en trouver une alors que seuls les bateaux gouvernementaux ont le droit de s’approcher de l’île ? Morris décide de fabriquer son propre moyen de transport à l’aide d’imperméables qu’il a gonflé le jour J."John Anglin m’a demandé si j’avais un imperméable,il m’a dit de le mettre pendant la promenade et de lui donner.Voilà comment il a récupéré mon imper qui lui a servi à fabriquer leur radeau", explique Darwin Coon dans un documentaire. Mais peut-on réellement survivre sur un bateau aussi artisanal ? L’émission MythBusters a tenté de répondre à cette question en reproduisant l’expérience qui s’est avérée être un succès. Une autre théorie veut toutefois que les prisonniers aient attendu qu’un bateau arrive pour s’y accrocher et rejoindre la cote en toute tranquillité. Quoi qu’il en soit, il était techniquement possible pour eux de rejoindre la terre ferme.

Sont-ils toujours en vie ? Le mystère reste entier. Malgré la gigantesque chasse à l’homme mise en place dès le lendemain, aucun des trois hommes n’a été retrouvé. De quoi faire penser au FBI qu’ils se sont noyés dans la baie. Cependant, un seul corps (non identifiable) a été repêché dans les jours qui ont suivi, insuffisant pour confirmer officiellement leur mort.

Plus étrange encore, la mère des frères Anglin aurait reçu une carte postale de ses fils trois ans après leur évasion. Dans un documentaire réalisé par History Channel en 2015, les neveux des frères Anglin ont déclaré être capables de prouver que leurs oncles avaient refait leur vie au Brésil. Ils ont d’ailleurs fourni un cliché analysé par un expert qui confirme qu’il est"hautement probable" qu’il s’agisse des frères Anglin. Des proches de leur famille auraient même, toujours selon les neveux, été leur rendre visite au Brésil. Les frères Anglin auraient-ils donc survécu, contrairement à Frank Morris ?Est-il possible que le corps repêché soit le sien ou a-t-il simplement décidé de partir de son côté dans un autre pays ?

La photo des "frères Anglin" au Brésil.

La photo des "frères Anglin" au Brésil.

Cette évasion alimente le mythe de cette prison fédérale qui a été forcée de fermer en 1963 à cause des coûts de fonctionnement trop élevés. Alcatraz reste pourtant plus que jamais sur le devant de la scène étant donné que des milliers de touristes vont visiter chaque année la prison de légende.

Des prisonniers célèbres

Alcatraz n'a accueilli que des prisonniers (et des gardiens) masculins. Des hommes parfois violents, dangereux et qui refusaient surtout d'obéir aux règles des autres prisons. Ce qui les amenaient là? Exclusivement des crimes fédéraux étant donné qu'il s'agissait d'une prison gouvernementale et non d'une prison d’État. En résumé: des kidnappings, braquages de banques ou de fourgons postaux, le passage d'une frontière inter-Etat pour éviter d'être arrêté ou en possession de biens illégaux ou volés, des faits de terrorisme,etc.

Ce qui a fait la réputation d'Alcatraz, ce sont également les prisonniers célèbres qui y ont séjourné dont le mafieux Al Capone. Placé en isolement en raison de sa dangerosité, Scarface a finalement été transféré dans une autre prison après avoir été poignardé par un détenu.

Machine Gun Kelly a, comme Al Capone, été très actif durant la prohibition. Il a passé 17 ans à Alcatraz pour le kidnapping de l'homme d'affaires et magnat du pétrole Charles Urschel. Il avait la réputation d'être un prisonnier modèle.

Robert Stroud, plus connu sous le surnom Birdman (clin d'oeil à sa passion pour les oiseaux), a également séjourné à Alcatraz. Il a été condamné pour avoir tué un homme qui refusait de payer sa petite-amie prostituée après avoir bénéficié de ses faveurs. Normalement, ce genre de crime est jugé au niveau de l’État, non au fédéral, mais, à cette époque, l'Alaska n'avait pas encore son propre système judiciaire. Contrairement à ce que certains films laissent entendre, Birdman ne s'est jamais adonné à des activités ornithologiques à Alcatraz mais plutôt à Leavenworth.

Jolene Babyak, ancienne résidente d'Alcatraz : "L'atmosphère était comparable à celle d'une base militaire"

Il n'y avait pas que les prisonniers qui vivaient sur l'île, mais également la famille du personnel de la prison. Jolene Babyak avait 7 ans lorsqu'elle est arrivée à Alcatraz. Son père, Arthur Dollison, était un employé de la prison, avant de devenir son directeur-adjoint. En tout, elle y a passé trois ans de sa vie, par intermittence. Aujourd’hui, Jolene est l’auteure de plusieurs livres à succès sur Alcatraz et une pointure dans le domaine.

Comment s’est passée votre enfance à Alcatraz ?

J’ai eu une enfance très agréable. Nous avions beaucoup d'amis avec qui jouer. Nous allions à l'école à San Francisco grâce à des bateaux qui faisaient très souvent l'aller-retour. Je me souviens que les parents étaient vraiment très impliqués dans la vie de leurs enfants. Il n'était pas rare de voir des pères et des fils pêcher ensemble ou aller voir des matchs à San Francisco. Nos parents organisaient des fêtes pour nous, pour Halloween par exemple, nous ne nous embêtions pas.

Êtiez-vous complètement libre de vos mouvements sur l'île ?

L'atmosphère sur l'île était comparable à celle d'une base militaire : nous étions libres d'aller et venir en bateau depuis San Francisco, nous pouvions ramener des amis sur l'île.

Aviez-vous tout ce que vous vouliez ?

Oui, nous avions la télé et des journaux. Il y avait deux téléphones payants mis à disposition qui étaient toujours entourés d'adolescents appelant leur amoureux/euse en ville. La plupart des gens aimaient vivre là, c'était très beau de voir San Francisco et la baie. Elle était toujours remplie de bateaux. C'était calme et paisible la plupart du temps.

Vous viviez à l'écart des prisonniers mais votre père, lorsqu'il était directeur adjoint, les côtoyait forcément. S’était-il lié d’amitiés avec certains ?

L'amitié en prison entre les officiers et les prisonniers est très difficile pour tout le monde. Les gardiens faisaient très attention à ne pas être trop proches de certains prisonniers, pour toute une série de raisons. Premièrement, les autres prisonniers auraient pu avoir une fausse impression et croire que ce type d'amitié est une forme de"favoritisme". Deuxièmement, il était important d'avoir une relation purement professionnelle car certains prisonniers étaient des escrocs qui n’hésitaient pas à manipuler. Mon père travaillait avec certains d'entre eux qu'il appréciait, mais il ne les considérait pas comme ses amis.

Sources

Interview de Jolene Babyak réalisée par LaLibre.be
Antenna Productions
Golden Gate NationalParks Conservancy
Documentaire “les énigmes de l’histoire, les disparus d’Alcatraz”
The Telegraph
SF Gate
Photos : Reporters, J.F. et N.C.